TRIBUNE LIBRE : LA PRÉPARATION DES TERRITORIALES. GUERRE PICROCHOLINE OU MALÉDICTION DES PHARISIENS ?

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Dans un récent billet publié sur son blog (http://www.pgp-web.com/cn/?p=2168) Pierre POGGIOLI fustige les chats et entrechats (figures de danse classique) auxquels se livrent les diverses composantes de l’ensemble nationaliste, en cette période de préparation des territoriales de décembre 2015.

Il rappelle ensuite deux évidences qui semblent, pour le moment, échapper à tous les futurs candidats :

-les électeurs veulent connaître les grandes lignes de leur action future : le fameux programme souvent rédigé par quelques uns sur un coin de table ;

-et leur stratégie pour le second tour : les regroupements à opérer pour arriver en tête des suffrages et obtenir la prime majoritaire de 9 sièges, les 42 autres étant attribués en fonction du nombre de suffrages obtenus.

J’élargirai cette réflexion à la totalité de la représentation politique de l’île tant elle me semble pertinente, et pour cause….

À droite s’est tenue une réunion secrète avec indiscrétions savamment distillées, sur fond de berlines froissant le gravillon, dans une fraîche nuit du centre de la Corse. Il y aurait en l’état trois listes.

À gauche, il s’en dessinerait cinq : celle du Président de l’exécutif ; celle qui lierait Bonifacio, Afa et la conseillère municipale socialiste de Bastia ; celle issue du duo des malheureux candidats aux dernières municipales d’Ajaccio et de Bastia ; celle formée par une éventuelle alliance entre Corse social démocrate et le MCD représenté par le Président du SYVADEC et pour clore l’ensemble, une liste communiste.

Chez les nationalistes il s’en esquisserait trois : CORSICA LIBERA, FEMU et même une troisième liste…

Enfin il ne faut pas oublier le FN. Ce qui nous donnerait 12 listes, 612 candidats et pas un seul programme pour le moment… Espérons que septembre, propice à la floraison de la bruyère soit également propice à l’éclosion des programmes.

Comment expliquer cette agitation générale et désordonnée dans la préparation de cette échéance électorale ? Je propose deux lectures : une fondée sur la guerre picrocholine, l’autre sur la permanence de la malédiction des pharisiens.  

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 I – RAPPELS

Afin de ne pas désorienter le lecteur il convient d’effectuer quelques rappels sur ces deux notions.

 1 – La guerre Picrocholine

C’est un épisode qui figure dans le GUARGANTUA de Rabelais écrit au 16ème siècle.

Une querelle locale, oppose bergers de Grandgousier (grands gosiers) et fouaciers (boulangers) d’un bourg proche. Les torts ne sont pas tout à fait partagés : les bergers souhaitent acheter des « fouaces » (fougasses). Sans explication aucune les fouaciers répondent par des insultes et frappent les bergers. Et le conflit s’envenime : les bergers frappent à leur tour et s’emparent des fouaces, tout en les payant. Jusque là la balance penche en faveur des bergers.

Mais au lieu de calmer ce qui n’est qu’une petite querelle, le roi des bergers, PICROCHOLE, déclare la mobilisation générale, et attaque le pays de Grandgousier sans lui avoir déclaré la guerre. Face aux méfaits de la guerre le roi de Grandgousier envoie un ambassadeur pour faire entendre raison à PICROCHOLE. Celui ci interprète la démarche comme un geste de faiblesse et s’engage plus avant dans le combat. Mais son armée est tellement désorganisée qu’il perd le combat et s’enfuit en y laissant même ses vêtements.

Grandgousier réagit comme un roi : mansuétude pour les peuples, refus de l’annexion du domaine de PICROCHOLE qui reviendra à son fils et punition des responsables de la guerre, les fouaciers et les mauvais conseillers de PICROCHOLE.

L’expression guerre picrocholine est donc utilisée pour qualifier un conflit local, dont l’enjeu est minime, mené avec une totale démesure par des hommes aux grands gosiers ne sachant pas faire la part des choses, c’est à dire distinguer l’essentiel de l’accessoire.

2 – La Malédiction des Pharisiens

Cette fois le texte a 2000 ans et figure dans l’Evangile de Matthieu (Nouveau Testament)

J’en cite la partie qui s’applique à notre interrogation : « Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites! Parce que vous …dites : Si nous avions vécu du temps de nos pères, nous ne nous serions pas joints à eux pour répandre le sang des prophètes. Vous témoignez ainsi contre vous-mêmes que vous êtes les fils de ceux qui ont tué les prophètes. Comblez donc la mesure de vos pères ». (Matthieu 23-29 à 23-32).

Personnes imbues du savoir religieux, les Pharisiens, sont dans une stricte observance de la Loi Mosaïque, ce qui leur fait commettre des excès. En effet, par souci d’un respect minutieux de la Loi, ils méprisent les pauvres gens qui ne connaissent pas cette Loi et les empêchent de la connaître. Ce sont d’ailleurs eux qui composent la majorité du Sanhédrin, (Jean 11-47) c’est à dire de l’instance suprême de la communauté juive qui prononce le jugement que l’on sait, avant que Pilate ne l’acquiesce, tout en s’en lavant les mains.

Mais l’essentiel est contenu dans la phrase : « comblez la mesure de vos pères ». Ceux qui ont tué les prophètes et les sages qui ont précédé Jésus et dont parle l’Evangélise, ne sont pas les parents directs des pharisiens à qui est adressée la Malédiction. Mais ce sont leurs lointains ascendants. Les pharisiens auxquels Jésus parle sont les descendants de ceux qui ont commis ces meurtres et les dénoncent même. Cependant, par déterminisme historique ils ne sauront échapper à leur propre destin : faire comme leurs ascendants et condamner Jésus.

Ils « combleront la mesure de leur pères », ils seront à la mesure de leurs ascendants, ils feront comme leurs ascendants en condamnant Jésus, comme Jésus le leur annonce en ce verset.

L’expression malédiction des Pharisiens est donc relative à un déterminisme[1] historique qui puise ses racines dans le passé commun d’un groupe humain. Ceux qui le composent reproduisent les comportements véhiculés par leur commune histoire, malgré la dénonciation qu’ils en opèrent.

II – TRANSPOSITION À LA PRÉPARATION DES TERRITORIALES

1 – La lecture Picrocholine

A cette aune les similitudes sont multiples.

La querelle est locale : il s’agit, d’un point de vue national, d’une consultation qui concerne 320 000 personnes, soit la plus petite des futures régions. Celle qui est à l’avant dernière place, tant en population qu’en PIB, est le Centre – Val de Loire avec 2,6 millions d’habitants. Elle a un PIB de 69,6 milliards d’€ alors que celui de la Corse est de 8,2 milliards d’€. Mesurons l’écart !

La démesure est totale : 12 listes potentielles, 612 candidats et pas de programmes à part quelques rares esquisses ici ou là, mise à l’encan de quelques uns, querelles déclarées irréparables, roulements de tambours, regroupement de bataillons, réunions publiques avec démonstration de force, etc.

Les comportements ressemblent à ceux de bergers de Grandgousier : « coups politiques » entre voisins idéologiques, que ce soit à droite, à gauche ou chez les nationalistes, prises de positions destinées à se démarquer plutôt qu’à construire, stratégies tous azimuts, alliances officieuses ressemblant au mariage de la carpe et du lapin, etc.

Mais l’essentiel n’y est pas : absence de grandes lignes de l’action future et défaut d’affichage clair des alliances de second tour. Tout se passe en off : conciliabules, coups de fils et réunions plus ou moins secrètes.

2 – La lecture Pharisaïque

Tous disent qu’en ce 21ème siècle il s’agit de rompre avec les habitudes anciennes, les accords entre clans et faire passer l’intérêt de la Corse avant les querelles partisanes.

Et pourtant tous « comblent la mesure de leurs pères », reproduisent les comportements électoralistes anciens.

La droite qui se dit libérale, donc par définition respectueuse de la volonté et de la créativité individuelle, est dans un schéma pyramidal (pour ne pas dire dans un centralisme démocratique) avec deux grands généraux et un jeune colonel qui donnent la mesure à leurs potentiels électeurs.

La gauche qui se dit porteuse de progrès face au conservatisme, est empêtrée dans une querelle de chapelle, digne de figurer dans Astérix en Corse. On sent bien que le progrès et la vision moderne n’ont pas le même sens en Corse que chez Jaurès

Les nationalistes qui ont longtemps repris le refrain d’un célèbre groupe engageant les uns et les autres à ne pas aller voter pour des Grandgousiers avides de « fouaces », sont en train d’adopter les mêmes comportements que ceux qu’ils dénonçaient : le billet de Pierre POGGIOLI l’illustre à merveille.

En somme, les politiques Corses, quelle que soit la couleur de leur engagement, n’échapperont pas à la malédiction des Pharisiens : tout indique aujourd’hui, qu’ils combleront à leur tour la mesure de leurs pères, même en ce 3ème millénaire !

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3 – Conclusion

Ces deux lectures se complètent et sont, malheureusement, encore d’actualité dans notre île. Il faut reconnaître que la représentation politique ne manque pas d’imagination pour la stratégie, les déclarations d’ordre général, mais qu’elle est plus avare en matière de mesures concrètes et d’axes de développement pragmatiques.

Ce n’est pas le PADDUC, qui s’est transformé en document d’urbanisme, avec une partie relative au développement économique reléguée au second plan qui y pourvoira, d’autant que le document semble promis à une dense et riche jurisprudence constitutionnelle et administrative.

Les 22 000 demandeurs d’emploi et les 64 000 personnes vivant sous le seuil de pauvreté, eux, attendent. Les électeurs aussi, sont dans l’expectative.

Espérons donc que le mois de septembre, fera floraison de contenus programmatiques sérieux et argumentés ainsi que de clarté politique.

Roger Micheli

[1] déterminisme : comportement humain dont la cause relève des antécédents, du vécu du groupe.

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