La chambre de commerce et d’industrie de Corse (CCIC) fait partie de l’association Alpes Méditerranée qui est composée des CCI régionales suivantes :
Le concept d’ euro région, à la base de la création de ce regroupement associatif, a pour but d’offrir aux entreprises du territoire franco-italien de l’Eurorégion Alpes – Méditerranée de nouvelles opportunités de développement et mieux faire connaître une réalité économique qui dépasse les frontières.
J’y suis intervenu lors d’une récente réunion à Turin en m’inspirant des idées développées par votre cercle de réflexion, notamment le statut des îles et la continuité territoriale. Toutes deux ont reçues un accueil très favorable et mes collègues m’ont assuré de leur appui pour porter ces idées auprès de Bruxelles.
Aussi afin de restituer un peu de la réflexion que vous avez mise à ma disposition, je vous livre le discours préparé pour cette intervention, après l’avoir modifié en y entrant la Toscane et en y ôtant Rhône-Alpes, Piémont et Val d’Aoste pour rester dans le droit fil de votre réflexion.
« Mesdames, Messieurs,
C’est avec beaucoup de joie que je suis devant vous et c’est avec humilité que je vais vous présenter mon île : la Corse.
Je dois préciser que comme tous les habitants d’une île, je suis amoureux de mon île. C’est une chose qui n’est pas facile à comprendre pour ceux qui vivent en des lieux qui permettent de se déplacer sans limite. Mais les îliens partagent ce sentiment qui les attache à leur bout de terre bordé par la mer.
La Corse n’a pas marqué les débuts de la civilisation comme l’ont fait la Crète, Rhodes et les iles grecques.
Nous, nous sommes arrivés bien après, avec Pascal Paoli qui a posé les principes démocratiques modernes et son contemporain Napoléon qui a jeté les bases de l’Etat français.
Enfin, je dois vous préciser que nous sommes, avec la Sardaigne, la plus jeune des îles de Méditerranée avec 11 000 ans à peine. En effet, c’est vers 9 000 avant JC que la montée des eaux nous a séparées. Auparavant nous ne formions que la grande île Corso-Sarde.
1 – Vous présenter la Corse c’est d’abord faire un peu d’histoire.
De ce point de vue, 1962 est une date importante. Avec 180 000 habitants la Corse est au niveau de 1806, le niveau qui était le sien sous Napoléon, un an après son sacre comme empereur.
Depuis la population de l’île avait progressé de 1 300 habitants par an, porté par le progrès du 19ème siècle : hygiène, alimentation, médecine et échanges extérieurs.
Mais à compter de 1962 la population progresse de 2 700 habitants par an, soit plus du double que celle du 19ème siècle. Comme les Corses ont quitté l’île pour chercher meilleure fortune dans l’empire colonial, ce sont de nouveaux venus qui peuplent l’île.
Cet afflux considérable et le bouleversement qu’il entraîne provoque la recherche de notre socle commun, des valeurs et de l’âme qui ont fait notre île. Cette recherche est portée par le vaste bouillonnement intellectuel qui caractérise la décolonisation à l’échelle européenne.
Il est incarné par le régionalisme qui trouve dans cet accroissement brutal de population, qu’il ressent mais ne mesure pas tout à fait, le catalyseur de son expansion.
La Corse a alors connu une période difficile. S’opposent en termes physiques et parfois meurtriers, d’un côté la survalorisation de l’identité et de l’autre côté la négation de l’identité.
La situation a désormais changé avec une acceptation de l’autre, conformément au fil de notre histoire car la Corse a toujours fabriqué des Corses, quelle que soit leur origine ethnique ou géographique.
Mais je tiens à le réaffirmer, c’est la progression démographique, avec ses conséquences économiques, sociétales et comportementales qui explique les soubresauts récents de notre histoire.
L’expansion démographique de près de 140 000 habitants, c’est-à-dire une progression de ¾ de la population de l’année 1962 repose sur un grand vecteur : la prépondérance du solde migratoire[1] sur le solde naturel[2],
Désormais l’accroissement de notre population par des arrivées continues et élevées est un élément constitutif de notre société.
2 – Vous présenter la Corse c’est aussi la comparer à notre ensemble.
En 2013, suivant les données d’Eurostat, avec 320 000 habitants, nous sommes la moins peuplée des cinq régions ici représentées :
-la Ligurie et la Sardaigne en ont 5 fois plus, soit 1,5 à 1,6 M
-la Toscane en a 12 fois plus , soit 3,7 M
-PACA en a 15 fois plus, soit 5 M.
Toujours en 2013, nous sommes celle qui a le plus faible PIB, 8,6 Milliards d’€ :
-celui de la Sardaigne est 4 fois supérieur : 3,1 Milliards d’€
-celui de la Ligurie est 6 fois supérieur : 4,8 Milliards d’€
-celui de la Toscane est 12 fois supérieur : 10,8 Milliards d’€
-celui de PACA est 18 fois supérieur : 15,3 Milliards d’€.
Pour le revenu annuel des salariés, tous secteurs confondus, les statistiques qui datent de 2010, ne doivent pas avoir subi de bouleversement. La Corse est la région dont les salariés, disposent du revenu global le plus faible, car ce sont les moins nombreux :
-seulement 4,1 Milliards d’€ à réinjecter dans le circuit économique
-la Sardaigne en a 3,5 fois plus : 14,4 Milliards d’€
-la Ligurie en a 4,2 fois plus : 17,1 Milliards d’€
-la Toscane 10,2 fois plus : 41,9 Milliards d’€
-PACA en a 17,4 fois plus : 71,5 Milliards d’€.
Il n’y a que pour le chômage, cette fois en 2013, que nous abandonnons notre dernière place à nos amis Sardes qui ont 17,5 % de chômage. Nous suivons avec 12,4 %. Viennent ensuite PACA avec 10,8 %, la Ligurie avec 9,8 %, la Toscane avec 8,7 %.
3 – Vous présenter la Corse c’est aussi en dresser quelques grands traits
La Corse est en train de subir un vieillissement important de sa population. Elle ne fonde son économie que sur une activité saisonnière et cette économie est assise sur trois rentes toutes fragiles :
-la 1ère rente qui est la rente foncière est dépendante de règles d’urbanisme mal définies ;
-la 2ème rente qui est la rente du commerce, de l’hébergement et de la restauration est dépendante des transports et le pire est à craindre avec la disparition prochaine d’une compagnie importante ; au surplus elle est en concurrence avec des destinations moins chères ;
-la 3ème rente, celle du suremploi public est menacée par la baisse des dépenses de l’Etat afin de maîtriser le déficit public.
Le secteur privé (pourvoyeur de 62 % des emplois) est composé à 95 % de TPE qui sont immédiatement impactées par la crise économique en raison de leur taille.
Enfin la Corse n’arrive à couvrir que 30 % de ses besoins, malgré ses ressources naturelles (eau, énergie, beauté des sites).
Pour conclure je dis que la Corse est en situation d’échec économique : elle n’arrive pas à développer une économie qui fournisse de l’emploi (taux de chômage supérieur à la moyenne nationale depuis 2000) et 20 % de sa population vit sous le seuil de pauvreté (950€ /mois).
4 – Y a t-il donc, en Corse, une vie hors de la rente ?
Je vais vous rassurer, oui ! Mais cette vie est fragile. Chacun sait, même si le rêve de l’emploi dans le secteur public perdure, que l’emploi futur se trouvera au sein des entreprises.
Or les entreprises du secteur privé, qui pourvoient à 62 % des emplois, sont composées à 95 % de TPE, de très petites entreprises de moins de 10 salariés qui sont ballotées par la crise économique en raison de leur taille.
Elles produisent cependant près de 70 % de la richesse de l’île !
Vient donc la question de leur pérennité, qui ne semble préoccuper personne…..
La pérennité des entreprises repose sur deux grands moteurs mal connus :
→l’investissement public pour leur activité,
→et le financement bancaire pour accompagner leur développement.
Eh bien ces deux moteurs sont au ralenti en Corse !
Premier moteur, L’investissement public repose à 70 % sur les collectivités locales.
Mais les collectivités de Corse, privilégiant la conservation du pouvoir, augmentent inconsidérément leurs dépenses courantes et notamment leurs dépenses de personnel. La conséquence est terrible ! En agissant de la sorte elles se privent de la possibilité de dégager une épargne conséquente pour pouvoir investir.
L’exemple le plus flagrant en est la consommation du plan exceptionnel d’investissement (PEI), fond mis à la disposition de la Corse pour rattraper son retard en infrastructures.
Alors que 1 940 M€ sont à la disposition du développement de l’île et donc en mesure d’alimenter l’économie, moins de 700 M€ ont été consommés à la fin 2012. Aujourd’hui nous sommes sur une consommation tendancielle de 90 à 100 M€ par an, ce qui donne 900 M€ de consommés fin 2014. Il faudra donc encore de longues années pour consommer les 1 000 M€ qui restent.
La raison découle de la faible capacité d’apport propre des collectivités locales qui ont diminué leur capacité d’épargne et limité ainsi leur possibilités d’investissement qui doit être de 30 % des 2000 M€ du PEI. Les entreprises et leurs salariés attendent…
S’agissant du second moteur, le financement bancaire, le constat est aussi particulier que le statut dont est dotée l’île. Suivant la banque de France, la Corse a été contributrice nette aux crédits accordés aux entreprises du reste du pays.
Ainsi entre 2008 et 2013, il y a eu 7660 M€ de dépôts bancaires qui ont quitté l’île faute d’utilisation. Cela équivaut à 4 PEI qui ont alimenté l’investissement hors de Corse.
Une des causes de cet échec réside en la sur-administration de l’île censée faciliter la vie des entreprises. En réalité cette sur-administration n’est qu’une machine qui auto alimente son activité, aidée en cela par l’Etat et les banques.
J’affirme ici que la Corse est sans gouvernail et ce n’est pas un récent plan de développement de plus de 3000 pages, plus long que la Bible, ou les actions économiques n’apparaissent qu’accessoirement, qui y remédiera.
5 – Dans cet océan de difficultés quelle conduite adopter ?
Après ce constat inquiétant, je vais vous donner ma vision du futur.
Il nous faut une vision qui remette les régions au centre du développement économique et l’Etat français avec son histoire centralisatrice multiséculaire n’y est pas prêt.
Je ne prétends pas détenir à moi tout seul, les clés du futur. Mais j’estime, en qualité de porte parole des entreprises et de leurs salariés, qu’il m’appartient d’apporter ma contribution.
Un renversement de la pente sur laquelle nous sommes repose sur des actions conjuguées portant sur :
→Le retour de l’investissement public au travers d’une charte proposant aux collectivités locales de consacrer la majorité de leurs recettes à l’investissement alors que c’est le contraire qui l’est actuellement ;
→Le retour de l’investissement privé avec une structure économique regroupant les décideurs territoriaux et les banques, sous le contrôle de l’Etat, afin d’orienter l’épargne vers des projets sérieux ;
→La formation des hommes avec une adaptation de la formation professionnelle aux besoins de l’île, une formation des élus avant de prendre leurs fonctions et une professionnalisation de l’économie sociale et solidaire ;
→Une maîtrise des transports extérieurs, un développement des transports intérieurs et une continuité territoriale européenne ;
→Une exploitation des richesses respectueuse de l’environnement en agissant sur le patrimoine, l’agriculture, le tourisme et le traitement des déchets des activités humaines ;
→Une fiscalité encourageant l’esprit entrepreneurial, j’ai bien dit l’esprit entrepreneurial et non la spéculation ou l’affairisme, en fonction des secteurs d’activités ;
Mais je crois au plus fort de moi même que la solution ne pourra venir que de l’Europe.
6 – Pour une solution européenne
Il a fallu attendre 1998 pour que l’insularité soit introduite dans nos règles communes : « Afin de promouvoir un développement harmonieux de l’ensemble de la Communauté,…. la Communauté vise à réduire l’écart entre les niveaux de développement des diverses régions et le retard des régions ou îles les moins favorisées, y compris les zones rurales». (Article 158).
Cependant, le Parlement européen, dans un rapport de 2007 « sur les contraintes insulaires, naturelles et économiques dans le contexte de la politique régionale » considère que « dans le cas des régions insulaires… les dispositions adoptées n’ont jamais été appliquées ».
Certes des actions spécifiques existent : les aides d’Etat à finalité régionale et les politiques de tourisme. Mais c’est à mon sens traiter le problème par le bas.
Je sollicite votre aide pour porter une vision par le haut, c’est-à-dire une définition d’un statut des îles au parlement européen.
Il aurait le mérite de s’imposer sur les lois nationales, sans être limité par les règles constitutionnelles nationales.
Pour la Corse il permettrait de transférer des pouvoirs qui ne peuvent l’être actuellement, comme une partie de la fiscalité dynamique ou l’adaptation des lois aux réalités locales. En voici un exemple au travers des transports maritimes, essentiels pour les îles.
7 – L’exemple des transports
Le dispositif de transport est régi par la règle de la continuité territoriale. Elle a pour objectif de réduire les contraintes de l’insularité et d’assurer la libre circulation des personnes et des biens à l’intérieur des Etats membres.
Ce dispositif a été mis en œuvre le 1er janvier 1976 pour les liaisons maritimes, puis en 1979 aux liaisons aériennes. Il est encadré par plusieurs règlements et directives communautaires, transposés en droit français, afin d’éviter toute distorsion de concurrence entre les transporteurs.
Ce système qui n’a pas été revu depuis 40 ans, a arrimé la Corse au seul continent Français.
De fait la Corse n’a été en mesure de développer des liens commerciaux qu’avec Marseille. Les autres régions méditerranéennes continentales ou îliennes de l’UE, qu’elles soient françaises, italiennes ou espagnoles ont été ignorées.
C’est le défaut de conception jacobin de ce dispositif qui a fait de la Corse un marché captif de consommation.
Conséquence 1 : les exportations de la Corse représentent en moyenne ¼ de ses importations. De plus cette tendance est à la hausse.
Conséquence 2 : le système productif corse a été limité à un marché de production qui ne vit que sur des niches. Ces niches se situent dans l’agro-alimentaire,le bois, quelques services informatiques et dans l’industrie avec une entreprise sous traitante d’Airbus.
On arrive ainsi à une Europe à deux vitesses :
–l’une ouverte aux autres pays, constituée par les régions continentales de l’UE ;
–l’autre composée des îles méditerranéennes qui sont économiquement bornées aux pays dont elles sont une partie administrative.
Or faut-il le rappeler, la Méditerranée est le creuset de ce que l’on a coutume d’appeler « la civilisation occidentale ». Cette civilisation, construite par le siècle des Lumières n’existerait pas sans l’apport culturel et l’héritage d’Athènes et de Rome, ni sans les échanges commerciaux qui y ont lieu depuis lors.
Or en réduisant ces échanges aux relations entre les îles et leurs seuls Etats, le dispositif de continuité territoriale est la négation de notre culture commune, ainsi que la négation de l’histoire et de la géographie de la Méditerranée !
8 – Ma vision
Pour la Corse il convient d’avoir une vision plus pragmatique : c’est celle de la mise en place d’une continuité territoriale entre territoires proches, autres que PACA.
Il s’agit de la Sardaigne, de la Toscane (Florence) et de la Ligurie (Gênes). Commençons donc par la Sardaigne.
Pour converger vers cette unité, les transports maritimes ont un rôle primordial à jouer comme facteur d’intégration régionale
Aussi l’avenir de nos deux îles réside dans la maîtrise complète des transports et dans une plus grande intégration européenne et méditerranéenne.
Cependant le développement économique conjugué de ces deux îles ne se décrète pas. Pour qu’il surgisse, il faut créer les conditions sur la base d’une position stratégique claire et simple : celle d’une initiative méditerranéenne de croissance et de développement durable !
Elle repose sur 4 axes.
Et j’ai développé les quatre axes que vous avez présentés :
Axe 1 : Une action internationale
Axe 2 – Un sommet économique Sardaigne – Corse annuel
Axe 3 : Une continuité territoriale européenne
Axe 4 : Une stratégie économique avec des actions communes
-en matière d’intelligence économique
-en matière de recherche et le développement économique
-en matière de fiscalité
J’ai conclu en précisant qu’un statut fiscal spécifique aux îles doit permettre le renforcement de l’investissement des entreprises et l’établissement de zones franches, paradis fiscaux exclus s’entend….
Ce statut permettra de favoriser les financements innovants, car ils transformeront les deux îles en acteurs de leur propre développement par leur action de proximité.
Enfin, cette dynamique devra se poursuivre par un élargissement de cette stratégie aux régions continentales de l’UE.
Plus nous serons nombreux, plus nous serons économiquement forts et plus nous serons entendus à Bruxelles et dans les diverses capitales de l’UE.
Mesdames et Messieurs,
J’espère tout d’abord avoir pu vous présenter mon île avec ses difficultés et ses potentiels immenses.
J’espère ensuite avoir pu vous faire partager la passion que je nourris envers mon île et pour son développement.
Pour conclure, je crois fermement que notre futur dépend de l’UE, au travers d’un statut européen des îles.
Je vous remercie de votre attention ».
Antoine MONDOLONI
[1] Solde migratoire : différence entre le nombre de personnes venant résider en Corse et celles allant résider hors de l’île.
[2] Solde naturel : différence entre le nombre de naissances et le nombre de décès enregistrés au cours d’une période.
Les personnes désireuses d’avoir le texte sous un format PDF peuvent en faire la demande à l’adresse mail suivante : ichjassi@gmail.com.
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