“Ecouter, c’est pourtant tout ce qu’il y a de mieux pour bien entendre.” Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais savait-il seulement, au moment de prononcer ces quelques mots, que ces paroles pourraient s’adapter parfaitement à la situation du nationalisme au 21ème siècle ?
Depuis la symbolique et emblématique accession de trois députés « Pè a Corsica » au Palais Bourbon, le mouvement nationaliste apparaît désormais comme la grande force politique de l’île. Les premières fissures locales à Porto-Vecchio en 2011 et à Bastia en 2014 ont fragilisé d’anciens édifices, la victoire aux territoriales sonnait pour d’aucuns comme une alerte dans un contexte particulier de forces traditionnelles dispersées, la confirmation de ce scrutin législatif finit de convaincre jusqu’au plus sceptique.
Naturellement, une fois le verdict du suffrage universel rendu, les députés élus sous la bannière de l’actuelle majorité territoriale se sont efforcés d’entamer les discussions nécessaires à la constitution d’un groupe parlementaire, ce dernier présentant l’avantage de mettre l’élu dans de meilleures conditions politiques.
Derrière la légitime image d’une construction politique victorieuse existe cependant aussi quelques discours plus réservés sur une supposée incohérence à faire d’une priorité l’élection de députés nationalistes à l’Assemblée nationale ou à constituer un groupe parlementaire en compagnie d’autres parlementaires « non-nationalistes ».
En réalité, à travers ces arguments se cachent les grandes difficultés que doivent affronter les nationalistes désormais : réussir à concilier la poursuite d’un idéal qui doit rester intact tout en exerçant un pouvoir politique et des responsabilités électives qui imposent à chaque instant le principe de réalité.
Ce défi, chaque grand courant politique au socle idéologique conséquent et fondateur l’a vécu. Il est celui des grandes formations qui doivent garder la plume du philosophe tout en empoignant l’outil du bâtisseur. Le mouvement nationaliste s’est en effet fondé sur des principes philosophiques nourris et sur l’image d’une vague révolutionnaire. L’exercice du pouvoir ressemble davantage à cette rivière au cours de laquelle il faut habilement naviguer pour en détourner le courant et la renforcer plus encore.
Comment dès lors poursuivre un idéal de société, révolutionnaire et à long terme, tout en étant efficace dans une gestion à court terme et soucieuse de continuité ? C’est une complexe question qui ne pourra trouver de réponses qu’à travers les faits et le déroulement des événements.
Dans cette grande mutation du nationalisme, le risque de décevoir les militants enracinés dans ce rêve révolutionnaire initial est réel. Il doit être entendu.
En revanche, il faut admettre que les cadres nationalistes et les partis ont, dans leur immense majorité, annoncé ce changement et cette nécessaire rationalisation.
Dès le début des années 2000, le mouvement nationaliste a commencé, par la voix d’une minorité assumant ce discours, à amorcer un virage décisif. L’objectif de ce nouveau siècle, de ce nouveau millénaire était désormais d’inscrire le nationalisme dans une logique d’application des principes qu’il édicte depuis des décennies.
Trois piliers sont venus solidifier et structurer cette aspiration : le choix exclusif de l’action publique, l’ambition d’exercer des responsabilités politiques, l’aspiration à gouverner aux côtés de Corses qui ne partagent pas toutes les thèses nationalistes.
À l’origine, pendant quelques temps, cette nouvelle donne était considérée par certains comme un renoncement. Aujourd’hui, elle est devenue la nouvelle ligne majoritaire. Sur le plan électoral et politique, son succès est franc, total, massif. Il faudra attendre les effets de cette réalité inédite pour voir si l’essai est transformé sur le plan sociétal et citoyen.
Ainsi, malgré les interrogations légitimes, il convient de reconnaître que chacune de ces étapes a fait l’objet de choix politiques assumés et annoncés et qu’aucun ne peut prétendre avoir été trompé.
Le nationalisme a aujourd’hui fait le choix de la réconciliation et non de la rupture, sur la base des trois piliers énoncés (action publique, exercice des responsabilités, construction avec tous les Corses).
La relative incompréhension ne vient donc pas de ce qui a été fait mais de ce qui a été compris. En effet, d’aucuns ont peut-être cru que ce discours visait uniquement à acquérir une respectabilité, à se construire une image « politiquement correct ». En réalité, les discours publics n’étaient pas le fruit d’une stratégie et d’une manœuvre visant à susciter la confiance du plus grand nombre mais bel et bien l’expression d’une mutation lente et certaine.
C’est pourquoi cet objectif de réconciliation de la Corse, par le biais de l’autodétermination et de la paix, devient la boussole actuelle à l’aune de laquelle nous pouvons nous repérer. Cette grille de lecture ne doit pas reléguer au second plan les critiques et les demandes de ceux qui souhaiteraient que la rupture redevienne l’horizon souhaitable. Chaque voix doit être entendue même si pour ma part, je me réjouis de ce choix de la réconciliation entre des peuples et des pays qui ne peuvent plus être ennemis.
Car, pour reprendre une autre expression de Beaumarchais, « sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur ».
Vincent Gambini
Une réflexion sur “TRIBUNE LIBRE : ÉCOUTER, C’EST POURTANT TOUT CE QU’IL Y A DE MIEUX POUR BIEN ENTENDRE”
Les commentaires sont fermés.