TRIBUNE LIBRE : PEUPLE CORSE, COMMUNAUTÉ DE DESTIN ET LAÏCITÉ

 

PREAMBULE

En préambule au développement de notre analyse et de nos propositions, nous tenons à affirmer que nous nous adressons ce jour bien évidemment à l’Etat et à ses représentants en Corse, mais également à la majorité territoriale et au premier chef à MM. Les Présidents du Conseil Exécutif et de l’Assemblée de Corse.

Aujourd’hui, il faut donc affirmer que la société corse n’échappe pas au danger islamiste, lequel phénomène venant s’ajouter à d’autres évolutions auxquelles la Corse se trouve confrontée depuis la fin de la seconde guerre mondiale, et plus encore depuis les 30 dernières années.

Aussi, nous ne pouvons pas faire l’économie d’identifier ce qui fait que, du point de vue social, sociétal et donc culturel, la Corse et le Peuple Corse ne sont plus tout à fait ce qu’ils ont pu être ; en effet, des phénomènes nouveaux, des tendances lourdes imprègnent la société corse, la bousculent et viennent contester ses fondamentaux.

I – CONSTATS

Bien évidemment, avant de tenter de nous engager vers des propositions, nous devons nos attacher à dresser, sans faux semblants, ni faux fuyants, les constats relatifs à ce qui alimente au quotidien le « mal être » de la société insulaire.

Ceux-ci sont bien évidemment inhérents aux ressorts profonds de la société corse, mais sont également induits par des causes exogènes.

A / LES CONSTATS INHERENTS A LA SOCIETE CORSE :

Le phénomène premier induisant le « mal être » évoqué, réside en premier lieu dans le basculement culturel de la Corse, correspondant à la fin de la Corse rurale, et de sa civilisation agro-pastorale, amorcées lors du premier conflit mondial et achevée à l’aube des années 70.

En effet, outre l’exode ultra marin des Corses des années 1920/1930, ce phénomène a ensuite été aggravé, ces 40 dernières années par « un exode intérieur » des villages vers les villes insulaires.

On a, dès lors, pu assister à une fragmentation sociologique, sociale, sociétale, culturelle et démographique de la Corse.

1°) La fin de la Corse rurale et les inférences de ce phénomène :

Ainsi donc, de 1914 à nos jours, les villages et les campagnes se sont vidés, et parallèlement, nos bourgs sont devenus des villes, et nos villes ont connu une croissance exponentielle, ce double phénomène induisant des fractures profondes et des évolutions contraires à nos fondamentaux culturels :

* une dilution du « bain culturel corse »,

* une concentration de populations urbanisées,

* une communautarisation de l’habitat urbain,

* une juxtaposition de référents culturels, excluant des pans entiers de la culture corse « traditionnelle »,

* une « ehpadisation » des vieilles générations,

* l’apparition de nouveaux faits de culture venant en opposition avec « l’usu corsu » :

◘. L’exclusion des anciens, voire leur néantisation (« l’antenati », « l’anziani », « i nostri vechji », autant de locutions qui attestent du respect profond que la culture corse attachait aux anciens, aux personnes âgées, aux vieux, qui sont simplement devenus une catégorie sociale « à gérer tant bien que mal » par une forme de ghétoïsation…

◘. L’éclatement familial et la dilution des liens familiaux,

◘. Le culte de l’enfant roi,

◘.Le culte de l’argent roi, de l’argent facile, du paraître,

◘.La toxicomanie,

◘.L’individualisme, l’égotisme, dans une société structurée de façon multi séculaire, sur des solidarités transcendant l’individu (famille, clan, communauté villageoise, …)

◘.L’impudeur érigée en modèle dans une société profondément pudique,

◘ Le consumérisme outrancier, dans une société profondément frugale,

Ces bouleversements induits par une population devenant très majoritairement urbaine, ont bien évidemment mis à mal « l’usu».

2°) La fin de « l’usu », la fin de la Corse du XVIIIème siècle:

De fait, nous assistons à la fin de l’usu, « di cio chi si faci e cio ch’un si faci micca »qui cimentait la vie sociale, individuelle et collective, de par ses caractéristiques propres :

– l’usu cadrait l’ordonnancement social, au travers de codes oraux, il n’autorisait aucun arrangement avec la pratique individuelle et en assurait une transmission codifiée :

◘ la place des enfants et leur positionnement dans l’espace familial, leur relation avec le monde des adultes,

◘ les relations hommes femmes, épouse/époux, couple/famille,

◘ les codes de langage,

◘ les modalités de règlement des conflits,

◘ l’organisation de la cohabitation entre groupes sociaux (sgiò, pastori, propriétaires terriens, commerçants, agriculteurs, journaliers, etc…),

◘ la transmission patrimoniale,

◘ les codes « d’apacciamentu », et la place des « paceri », etc

L’usu permettait  « l’évolution », tout en garantissant la préservation des fondamentaux.

Autre phénomène taillant en brèche ces mêmes  fondamentaux, l’apparition de « l’homo economicus ».

3°) L’« homo economicus » a pris le pas sur l’« homo politicus » :

En effet, les causes contemporaines au délitement social, sociétal et culturel trouvent aussi leur fondement dans un phénomène qui n’est pas propre à la Corse mais inhérent à l’édification d’une nouvelle gouvernance mondiale dont le ressort premier est l’économique, et plus encore le financier.

Sous son effet, notre monde passe depuis une vingtaine d’années, d’une ère millénaire animée par une seule et unique préoccupation politique, celle de « la gestion des hommes » à une nouvelle ère uniquement préoccupée par celle de « l’administration des choses », cette évolution se traduisant notamment par :

– l’abandon du fil historique de l’histoire des peuples (notion de « fin de l’Histoire »),

– « l’accessoirisation » de l’humain au profit de la croissance et du profit ;

– l’arrêt des constructions historiques communes et à termes leur disparition progressive ;

– l’apparition de la notion de « Nation ouverte » faisant table rase des peuples et nations et donc à terme, de la théorie du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes »,

– l’instauration du principe de la « page blanche historique et culturelle ».

L’économique et l financier prennent donc en charge la direction du monde et le sort de l’humanité, et dans cette logique, le lien social, l’histoire des hommes et des peuples, leur devenir sont bien peu de choses.

La Corse n’est pas épargnée par cette évolution planétaire, et son combat émancipateur se trouve, de fait, aux antipodes des logiques de gouvernance mondialisée.

Ce sont ces éléments exogènes qui contribuent bien évidemment au « mal être », à la crise sociale et sociétale.

B / CONSTATS INDUITS PAR DES ELEMENTS EXOGENES :

Au premier rang de ces éléments exogènes, les inférences de la prédominance, voire de la mainmise de l’économique sur le politique ;

1°) La mainmise de l’Economique et du Financier sur le Politique est déclinée à toutes les strates de la vie politique, sociale et démocratique :

En Europe en général, et en Corse en particulier, ce phénomène se traduit notamment par une tendance à la neutralisation des revendications d’émancipation territoriale et culturelle et à « la valorisation »des politiques d’arasement des spécificités devenues des freins potentiels au développement de cette nouvelle construction politique mondialisée.

Il est à noter qu’au début des années 90, ces mêmes revendications étaient au contraire soutenues voire suscitées car elles permettaient de fragiliser des visions stato-nationales aux antipodes du grand projet fédéraliste européen.

Ce phénomène touche également l’ensemble du corps social ainsi que toutes les solidarités transverses (famille, mouvement syndical, mouvements politiques, mouvements associatifs, etc…°) ; il se décline au travers du développement de faits de culture consuméristes et individualistes, mais également au travers de la contestation de la démocratie représentative, inadaptée, par ses lourdeurs décisionnelles et formalistes, à un monde où les décisions se prennent dorénavant à la vitesse d’un « clic de clavier» et par un très petit nombre de décideurs.

Ce phénomène se manifeste enfin, au travers d’une immanence généralisée (privilégiant « l’auto-suffisance » intellectuelle), traduite par certains éléments de langage très actuels tels que : « c’est ma vie », « c’est mon choix », etc… ; bien évidemment cette propension à privilégier l’immanent, outre qu’il sous-tend l’individualisme, l’égoïsme, voire l’égotisme (culte du Moi) et l’immédiateté (aux antipodes des référents culturels corses), rejette dans le même temps toute référence à la transcendance qui place, elle, l’individu en situation de dépendance à des cadres qui lui sont supérieurs (famille, religion, clan, peuple, etc…), autant d’éléments caractéristiques de la Culture corse, mais combattus par les stratèges de la gouvernance mondialisée.

Ainsi que nous avons pu le voir, les fondements culturels corses sont mis à mal « par les deux bouts » ; ce constat nous conduit à nous interroger sur les réponses qu’il conviendrait d’apporter à tous ces grands questionnements, afin de tenter de rééquilibrer une société insulaire bouleversée, fragilisée et, par là-même, de dégager des perspectives d’avenir.

II – REPONSES D’HIER ET D’AUJOURD’HUI

Des réponses ont pu être déjà apportées, mais ont souvent trouvé leurs limites :

A / LES REPONSES D’HIER ET D’AUJOURD’HUI

Les réponses d’hier à l’intégration correspondent, tant à des contingences spécifiquement corses qu’à l’influence de l’action de l’Etat français depuis la IIIème République.

1°) Les anciens vecteurs d’intégration :

* Il convient tout d’abord d’identifier ce que l’on pourrait qualifier de vecteurs d’intégration au travers de la sphère privée :

  • La Langue corse au premier chef :

Celle-ci, pendant très longtemps, a constitué le lien intime, quotidien, affectif entre « Corsi nativi » et « Corsi ghjunghjitici » ; c’était la langue des cours d’école, de la rue, des évènements de la vie, des bonheurs, des malheurs, des tribunes de stades, des petites et des grandes émotions, qui faisait que qui parlait corse, était corse, sans exclusion aucune.

Ce bain culturel a assuré, durant des siècles, la constitution d’une véritable « communauté de destin », qui a permis que Grecs, Toscans, Piémontais, Lombards, Russes Blancs, Serbes, Catalans et Espagnols fuyant la dictature franquiste, Sardes, Napolitains, « Pinzuti », et « Peri Neri », sans tourments, sans fractures, sans heurts, deviennent Corses par le cœur, et l’âme.

C’est envie de destin commun a concerné également la première génération de migrants d’Afrique du Nord des années 60/70, puis la source s’est progressivement tarie ; une raison simple : le bain culturel corse est entre-temps devenu minoritaire, voire résiduel.

* Il convient également d’identifier ce que fut l’intégration dans la sphère publique : l’Instruction Publique :

  • l’Ecole de l’Instruction Publique:

Celle-ci a permis à des générations entières, toutes origines confondues, d’accéder au savoir pour une vie meilleure. Les enfants de paysans, de bergers, de pêcheurs, de travailleurs journaliers, de maçons, de petits fonctionnaires, de petits commerçants, à parité avec les enfants de sgiò, purent durant des décennies s’élever socialement et consolider la communauté de destin par l’ouverture de droits et de devoirs accessibles à tous, sur un pied d’égalité, arasant ainsi les inégalités originelles.

C’est ainsi que des générations entières de jeunes Corses ont pu accéder à des études supérieures au même titre que les enfants de familles aisées qui, des siècles en arrière, étient les seuls à ppouvoir fréquenter les universités de Pise, Florence, Aix, etc…

* Il convient de prendre en compte un autre vecteur d’intégration de la sphère publique : la laïcité.

  • La laïcité sous « l’imprimatur paoliste » :

Celle-ci, en Corse, ne fut pas une « laïcité militante » ni une « laïcité combattante »puisque, historiquement, l’idée de la séparation de l’Eglise et de l’Etat (au sens de « la chose publique »), avait été portée durant toute la période des « révolutions de Corse », de 1729 à 1769, et en particulier durant le Généralat de Pasquale PAOLI et l’Etat Corse.

Cette « laïcité tranquille », de fait, a toujours imprégné les Corses qui n’ont jamais confondu leur relation privilégiée avec la religion et séparation, voire indépendance, de l’Etat avec l’Eglise.

La Reine de la Corse, « a Santa Reghjina » est une reine symbolique, relevant uniquement du domaine religieux, et u Babbu di a Nazione se revendiquait de ce royaume virtuel, mais exerçait le pouvoir temporel, au travers des institutions dont la Corse s’était dotée.

Plus près de nous, combien de « hussards noirs de la Républiques » se faisaient les porte-paroles d’une République laïque pure et dure, bien qu’au sortir de leurs Etablissements, ceux-ci s’accommodaient de pratiques religieuses tenant plus de la tradition ou du fait de culture.

Ce type de relation à la religion se retrouvait également parmi des membres éminents des partis de gauche, et en particulier du Parti Communiste Français…

2°) La laïcité extrême et combattante d’aujourd’hui:

Aujourd’hui, la notion de laïcité, est devenue beaucoup plus agressive, coercitive, militante, exclusive du fait des évolutions sociologiques et démographiques ; en effet, depuis quelques années, pour la première fois depuis les lois de 1905, dites de séparation de l’Eglise (catholique) et de l’Etat, la société, mais aussi le Pouvoir politique, se trouvent en situation d’intégrer dans une architecture prévue pour l’Eglise catholique une religion nouvelle, l’Islam.

Mais au-delà, le Pouvoir se trouve également en situation d’affronter un problème politique majeur, à savoir l’islamisme auquel l’Etat tente aujourd’hui d’opposer uniquement la notion de laïcité, en donnant à cette dernière des objectifs e des fondements autres que ceux qui avaient présidé à sa création.

En effet, la laïcité française, à l’origine, a constitué un moyen pour la République de contrecarrer les velléités d’ingérence politique de l’Eglise catholique qui ne s’était pas encore totalement résignée à renoncer à son pouvoir temporel ; ainsi, la laïcité devait définitivement cantonner l’Eglise catholique dans le registre spirituel et religieux, dan la « sphère privée ».

Or, aujourd’hui, le Pouvoir tente d’aller au-delà de cette finalité initiale, en s’efforçant de contraindre une certaine expression du spirituel et du religieux, par une réponse dévoyée de ces principes originels, engendrant, en réaction, une amplification du phénomène contre lequel le Pouvoir politique s’efforce de lutter, et en généralisant son action à des phénomènes ou des faits religieux, depuis longtemps apaisés et sécularisés (christianisme, judaïsme).

Sur l’ensemble de ces problématiques, les réponses d’hier et d’aujourd’hui ne sont plus en mesure d’assurer, seules, un équilibre social et sociétal ; il nous appartient de tenter de dégager, pour la Corse et à partir de la Corse, des perspectives d’avenir en inscrivant, plus généralement, l’ensemble des composantes de la société corse dans une histoire commune.

B / LES PERSPECTIVES DANS LE CADRE DE L’APPROPRIATION D’UNE HISTOIRE COMMUNE :

Il y a en effet urgence à faire en sorte que les, Corses, « nativi » et « ghjunghjitici », se réapproprient le lien charnel avec leur Terre ; car on n’est pas « Corse de passage », on est encore moins « Corse de papier », ou « Corse du sol ».

Pour ce faire, quelques pistes possibles :

1°) La solidarité de tous sur une terre :

Développer le sentiment que «  NOUS SOMMES TOUS DE CETTE TERRE », la terre de Corse, notamment en associant tous les Corses de toutes origines aux évènements historiques, culturels, religieux, sociaux, qui scandent la vie de la Corse, et qui font de la SOLIDARITE le ciment des jeunes générations.

2°) L’appropriation d’une Histoire commune :

Apprendre à ces nouvelles générations que « TOUTE LES PAGES DE L’HISTOIRE DE L’ILE » sont les leurs, de la « Dame de Bonifacio » aux élections de décembre 2015… et ce, quelles que soient les appartenances sociales, culturelles, religieuses ; leur apprendre également qu’eux-mêmes écrivent l’Histoire d’aujourd’hui et de demain, l’Histoire de leur terre, l’Histoire de leur Peuple.

Outre cette volonté de s’approprier un passé commun et de partager un présent et un avenir à construire collectivement, de façon très prosaïque, l’Histoire de la Corse devra être enseignée de façon obligatoire dans tous les établissements scolaires de Corse.

3°) Une Langue pour tous :

Dans le même esprit, le développement de la Langue corse doit servir de vecteur fondamental à l’émergence d’une Corse solidaire, d’une conscience d’appartenance collective, de la réapparition d’un lien affectif et charnel entre tous au travers de la Langue corse.

Pour ce faire, celle-ci ne peut plus ghétoïser les corsophones dans une pratique de témoignage ; au contraire nous devons faire en sorte que toutes et tous la pratiquent au quotidien et se l’approprient ; en ce ses, l’architecture actuelle fondée sur le bilinguisme et les sites bilingues ne suffit plus.

4°) Combattre l’émergence des « narcissismes identitaires » :

Ces trois axes de réflexion, par la voie de l’appropriation d’une Terre, d’une Histoire, d’une Langue communes, devront nous permette de mobiliser positivement l’ensemble de la société corse, l’ensemble du Peuple corse contre l’émergence des « narcissismes identitaires » qui grondent en Europe et dans l’Hexagone, et commencent à poindre chez nous, au premier rang desquels l’islamisme et le populisme (alimenté par le premier).

La plus actuelle, et l’une des plus aigües, concerne une mutation profonde ayant touché le Peuple Corse et ayant fait apparaître une forme nouvelle de Communauté, sur fond de déséquilibre culturel, de fragilisation de la capacité d’intégration, de recul de la volonté d’ouverture.

Or, si la Corse a connu, ces 30 dernières années, du point de vue démographique, des évolutions considérables, elle est pourtant restée très longtemps, depuis plus de 2.000 ans, terre de brassages, de mouvements de populations, d’émigration et d’immigration.

C / LES CAUSES DE L’ECHEC ACTUEL DE L’INTEGRATION  :

Incontestablement, si la Corse, durant des siècles, a toujours su trouver les équilibres

et « fabriquer des Corses », aujourd’hui, en 2016, ce n’est plus vrai.

En effet, il en va de la Corse comme d’autres contrées ; la mécanique de l’intégration s’y est grippée alors que pendant très longtemps, elle n’a pratiquement connu que des intégrations réussies :

* les immigrations coloniales de Rome à Gênes, phénomène remontant à plus de 2.000 ans,

* les « immigrations politiques » : les Grecs de Paomia, puis de Carghjese, les Juifs de la période paoline ou des périodes plus récentes,

* les « immigrations traditionnelles » : les Piémontais, Lombards, Toscans, Napolitains, la liste n’étant pas exhaustive,

* les « immigrations économiques » plus contemporaines : les Sardes,

les immigrations de réfugiés politiques : Russes Blancs, Serbes, Espagnols, Catalans, rapatriés d’Algérie (malgré les heurts originels).

La Corse connaît en revanche aujourd’hui des intégrations moins aisées :

* c’est notamment le cas de l’immigration maghrébine, pour la période récente ; cette situation ne concernait pas, au demeurant, la période initiale de l’immigration maghrébine, celle des années 60/70 ;

* sous une autre forme, c’est également le cas de l’immigration portugaise qui, insensiblement, s’est constituée en communauté spécifique et autocentrée.

Alors pourquoi ces difficultés d’intégration ?

Parce que « nous ne sommes plus sûrs de nous-mêmes »,

ou bien parce que « nous ne sommes plus nous-mêmes ».

Les causes de cette incapacité à intégrer, de ces difficultés d’intégration, sont bien évidemment plurielles ; mais, fondamentalement, elles viennent du fait que les Corses ne sont plus sûrs d’eux ; alors que lorsqu’ils l’étaient, ils intégraient et intégrèrent durant des siècles.

Le sentiment communément ressenti aujourd’hui par les Corses est celui de se voir « vider de leur substance vitale » (langue, minoration démographique, effondrement culturel, perte de valeurs et de repères), ce sentiment induit un comportement de repli et accentue une incapacité réelle à intégrer, cette mécanique s’érigeant en véritable « cercle infernal ».

Mais cette incapacité à intégrer a bien évidemment d’autres sources tout aussi significatives.

1°) Au premier rang de ces difficultés d’intégration : l’oubli ou l’ignorance de nos « mythes fondateurs » de « la Corse faite Nation », notamment parmi les jeunes générations et les « néo-arrivants », à savoir :

* Les mythes fondateurs de la Corse des Lumières et plus particulièrement le Paolisme et son élan démocratique, patriotique, émancipateur,

* Les mythes fondateurs de la France des Lumières : l’Humanisme et l’aspiration à la Rès Pubblica,

* La référence mariale et sa subtile imbrication dans une vision de la laïcité spécifiquement insulaire, mêlant sentiment religieux symboliquement et culturellement assumé, non ingérence de l’Eglise en tant qu’institution dans le champ politique et démocratique, et émancipation citoyenne,

* Les mythes fondateurs du « Riacquistu » et la réappropriation de la Langue, de l’Histoire et de la Culture corses en tant que patrimoine commun.

2°) Autre source de l’incapacité à intégrer : l’effacement du passé :

Ce constat d’ignorance, voire d’oubli des « fondamentaux » par les jeunes insulaires et par les populations nouvellement installées conduit à l’émergence d’un phénomène d’effacement du passé :

* du fait des évolutions liées aux inférences de la mondialisation,

* du fait des refondations culturelles et comportementales qui en découlent,

* du fait, parfois aussi de la Loi en tant qu’expression de la souveraineté nationale, et de son acception jacobine intégrant de façon indifférenciée ETAT-NATION-PEUPLE,

* du fait des caractéristiques de la démographie insulaire de ces dix dernières années, induisant la dilution du « bain culturel autochtone » (40.000 habitants de plus en 10 ans, dont les 2/3 de néo arrivants, et 50. 000 nouveaux foyers – soit 150000 personnes –  dans les 10 années à venir) et l’apparition d’autres repaires historiques, sociétaux, culturels ayant tendance à devenir prégnants et dominants.

 

Cause supplémentaire de cette incapacité à intégrer :

l’absence de construction culturelle et sociale commune :

Les freins objectifs à l’intégration que nous venons d’évoquer, font qu’il n’y a pas ou plus de construction culturelle commune ; ici, comme ailleurs, nous évoluons vers une « somme d’individus », lesquels individus se regroupent par affinités, sociales, culturelles, voire ethniques, s’ignorent les uns les autres, et s’érigent en communautés, néantisant ainsi le passé de la Terre de Corse, puisque n’envisageant aucunement la construction d’une culture, d’une société communes et donc d’une Histoire commune, celle du Peuple Corse.

Une prise de conscience s’avère nécessaire :

la culture, au même titre que la société, se construit sans cesse, sans effacer le passé.

Chaque Corse se doit de l’assumer et en écrire chaque jour de nouvelles pages.

En effet, il ne peut y avoir d’avenir que dans une construction commune, permanente, volontaire, assumée et partagée ; il ne peut y avoir non plus de construction commune sans référence aux fondements culturels, sociaux historiques originels, à la condition que ceux-ci soient perçus et considérés comme une force pour la construction d’un destin commun.

Cela suppose que l’on ne peut réussir une construction commune de façon « jacobine », unilatérale, purement législative et réglementaire.

En effet, on ne peut :

* faire référence au fantasme de « l’homogénéité originelle » et penser la reconstituer,

* recourir à des décisions politiques prétendument fondatrices d’un avenir commun (les « abécédaires du vivre ensemble » par exemple) empruntant les voies antidémocratiquement marquées de la « rééducation de masse »,

* croire au mythe de la « feuille blanche de la culture », en faisant table rase du passé (en l’occurrence, celui de la Corse).

Un vieux rêve aujourd’hui poussiéreux pourrait venir étayer la construction d’un destin commun, celui de la « communauté de destin », à condition de ne pas en faire une relecture façon « mainstream » en oubliant ce qui a conduit à l’élaboration de ce concept historiquement daté.

Pour une « COMMUNAUTE DE DESTIN »

et non pour une « COMMUNAUTE DE DESTINS » ?

La revendication corse de ces 50 dernières années a identifié un élément clef, la condition absolue d’une émancipation réussie, il s‘agit de la « communauté de destin ».

Afin d’éviter les récupérations politiques, les contre-sens historiques ou les anachronismes idéologiques, il convient de rappeler que cette notion apparue à la fin des années 80, est effectivement et sociologiquement datée.

Elle remonte à une époque où la Lutte de Libération Nationale, dite « LLN », au travers du FLNC, considérait que quiconque s’inscrivait dans une volonté d’émancipation collective du Peuple Corse, était considéré comme Corse, quelle que soit ses origines. L’adoption de la notion de « communauté de destin » permit alors à nombres de Corses, dont les parents n’étaient pas nés en Corse, de rejoindre les rangs du Mouvement National.

La notion de communauté de destin était donc intimement liée au combat pour « l’autodétermination individuelle et collective »  (autre thème qu’il convient de rapprocher), ainsi que pour « la libération sociale ».

Cette notion de communauté de destin s’inscrivait également dans la volonté de voir la Langue et la Culture corses imprégner cette communauté.

Or, si aujourd’hui, cette revendication, cet espoir, ce vieux rêve, est remis au goût du jour, il semble l’être en totale déconnexion de ce qui l’avait profondément motivé, à savoir l’émancipation du Peuple Corse.

Or, on peut penser que, bercés par l’air du temps, d’aucuns envisageraient plutôt de voir l’émergence future d’une communauté éthérée, la juxtaposition de destins parallèles, la cohabitation de citoyens hors sol ignorant ce qui a fait et fait encore « l’âme corse », à savoir, son histoire, sa langue, sa culture, ses combats d’hier, d’aujourd’hui et de demain…

Cette ambigüité sur la notion même de communauté de destin participe à la crise profonde que connaît la Corse, alors qu’elle pourrait, si elle était pensée et interprétée dans le droit fil de ses motivations originelles, contribuer à nous accorder collectivement, au-delà des constats, sur des réponses possibles et souhaitables pour tous.

Enfin, outre ces questions afférentes aux modalités et aux conditions d’édification d’une communauté de destin, il convient d’aborder une question de plus en plus prégnante, à savoir la montée en puissance de l’islamisme. Nous nous devons d’engager une réflexion sur cette question centrale et apporter des réponses cohérentes, concrètes et originales.

La condition expresse, c’est de nommer les choses de nous démarquer catégoriquement des approches contre-productives opérées par Paris, les médias, du monde intellectuel et de la Droite extrême.

Tony Fieschi

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