CONTRIBUTION 2, RÉUNION DU 20 0CTOBRE 2016

Coordinateur : Pierre Poggioli

En Corse : Une immigration essentiellement méditerranéenne

La présence italienne et espagnole, résulte d’un flux d’immigration ancien, tendant à se tarir aujourd’hui. Les Portugais, en revanche, en progression, sont issus de courants migratoires très récents. À cela s’ajoute une immigration récente mais en progression de personnes issues des pays de l’UE (Allemands, d’un niveau de vie a plus aisé, mais aussi Polonais Roumains ou autres des Pays de l’Est venus travailler dans l’île).

En Corse, les natifs d’un des trois pays du Maghreb (Maroc, Tunisie, Algérie) forment, de loin, la plus grande communauté immigrée de l’île, avec une proportion nettement plus élevée que pour la moyenne hexagonale. Ils sont les plus nombreux parmi les immigrés toutes origines comprises (Un immigré sur deux d’origine maghrébine). Parmi eux les natifs du Maroc représentent la plus forte proportion ( 80 % de natifs du Maroc dont le nombre est resté à peu près stable entre 1990 et 1999, (9 % des natifs marocains ont alors 60 ans ou plus et 1 % a 70 ans ou plus). Leur nombre a augmenté à partir des années 2000 (comme pour toutes les personnes de toutes origines). L’importance de ces nouveaux arrivants originaires du Maghreb (dont nombre ont transité par l’Hexagone) parmi lesquels nombre de personnes jeunes en augentation, s’inscrit dans un accroissement de la population insulaire depuis les années 2000 découlant notamment des arrivées d‘hexagonaux français mais aussi d’autres origines. L’île est alors devenue une des destinations les plus prisées et une des “Régions françaises” connaissant une forte augmentation démographique, (retraités mais aussi nombreux jeunes dont des couples avec enfants, venus dans l’île à la recherche de meilleures conditions de vie ou la sécurité) issue essentiellement de l’immigration, (toutes origines confondues) et non d’un solde positif naissances-décès.

Une administration en Corse sans les Corses

Depuis le fameux Rapport Glavany (sept. 1998) dénonçant le trop grand nombre de fonctionnaires corses dans l’île et la période désastreuse du préfet Bernard Bonnet  (fin des années 90) la politique de « décorsisation des emplois » s’est poursuivie et amplifiée avec le Préfet Pierre René Lemas et ses successeurs (Plus de 60% des fonctionnaires ne sont pas nés dans l’île selon des études officielles). Aujourd’hui les fonctionnaires et les cadres corses, des grandes entreprises publiques ou privées, sont très minoritaires.

Nombre de fonctionnaires arrivent en Corse avec leurs conjoints, eux aussi mutés d’office avec eux dans l’île. Certaines catégories d’entre-eux bénéficient souvent d’emplois et de logements réservés, notamment ceux dépendant des ministères de la défense, de la justice, de l’intérieur (armée, police…) dans une île qui a le plus fort contingent de forces de police et de gendarmerie en proportion à sa population. D’ailleurs nombre de ces fonctionnaires en service en Corse en profitent pour y préparer leur retraite qu’ils prendront dans l’île après avoir fait construire.

Minorisation des Corses

La démographie insulaire a totalement changé depuis deux décennies. La politique de colonisation de peuplement se poursuit et s’amplifie, tendant au fil des ans à remplacer les Corses (« paisanni ou nati qui », habitants d’origine ou nés dans l’île) par d’autres venus d’ailleurs ? Depuis le début des Années 2000, la population de l’île a augmenté considérablement (l’île est une des régions françaises les plus attractives). En une décennie, sa population est passée de 250000 hab. à plus de 315000 hab. (5000 nouvelles inscriptions annuelles sur les listes électorales depuis l’an 2000) dont 80 % de personnes venues de l’extérieur, cette augmentation ne  résultant pas d’un solde démographique naturel lié aux naissances en Corse.. et ce alors que les vieilles générations corses disparaissent, alors que nombre de Corses, dont des jeunes à la recherche d’un emploi, s’expatrient à nouveau. Le profil du corps social de l’île a été ainsi totalement bouleversé, et la culture corse peine à s’épanouir.

Les Corses entre le marteau et l’enclume

Ce changement de peuplement est aussi le fait de l’installation de personnes venues de l’Hexagone (dont beaucoup venues du quart monde français) du Maghreb (Corse-matin du 26 juillet 2013 « Ramadan estival pour 42000 musulmans ») ou des Pays de l’Est, fuyant la misère de leur terre d’origine et/ou appâtés par le mirage du développement touristique corse.

L’emploi dans le tourisme et les secteurs en dépendant

Le chômage augmente en Corse, et cela n’est pas prêt de s’inverser. La faute à un développement économique et un tout-tourisme anarchique, qui encourage les jeunes Corses à l’exil. En 2012, les services officiels se gargarisaient des bons chiffres de l’emploi en Corse, l’île étant alors citée comme une des rares régions françaises créatrices d’emplois et résistant le mieux à la crise économique mondiale ! En 2013, il a fallu déchanter, le chômage battant tous les records dans l’île (supérieur à la moyenne française). En été 2013, 15000 à 20000 saisonniers sont arrivés dans l’île pour y chercher du travail (France 3 Corse- 18 sept. 2013) dont une majorité venue de l’Hexagone. Depuis peu, la mode est aux filières des pays de l’Est.

A la fin de la saison estivale, une grande partie de ces travailleurs saisonniers ne repartent plus, s’inscrivant au Pôle Emploi (administration peu sensible à la notion de corsisation des emplois pour les locaux, même à compétences égales), ce qui est reconnu officiellement depuis peu. Souvent les patrons et chefs d’entreprise les incitent à s’inscrire au Pôle emploi, leur promettant une éventuelle priorité d’embauche à la belle saison (surtout dans le secteur du tourisme). Ces travailleurs saisonniers qui rejoignent la liste déjà longue des chômeurs locaux sont  orientés par le Pôle emploi et autres administrations vers les services sociaux (Falep ou autres) ou les circuits de formation professionnelle, censés « œuvrer pour la formation professionnelle des jeunes Corses » (stages AFPA ou autres) en attendant de trouver mieux pour s’installer définitivement dans l’île où ils pensent que la misère sociale se vit mieux au soleil.

D’où, avec la crise qui touche aussi la Corse, le chômage connait ainsi une progression fulgurante, en dépit des tripatouillages de chiffres pour le relativiser (Cette année, même en cours de saison estivale, le chômage n’a pas diminué et est  supérieur à la moyenne française) malgré les miettes retirées du mirage du tout-tourisme.

À noter aussi qu’à la différence de la situation des grandes villes françaises (Nice, Marseille, Paris, Lyon…) où il y a engorgement des demandes d’inscription et une attente beaucoup plus longue, les démarches administratives apparaissent relativement moins compliquées dans l’île et plus rapides à accomplir.

LCI news – 25 septembre 2013 : Pour la 1ère fois, Pôle Emploi dévoile  la qualité du suivi des demandeurs d’emplois dans chaque département, montrant que les demandeurs d’emploi ne sont pas tous logés à la même enseigne. D’une agence à l’autre, le suivi des chômeurs reste inégal, selon des données communiquées par Pôle Emploi (à la demande du Monde). En moyenne (sauf DOM-TOM), un agent accompagne 116 chômeurs en France.  Ce chiffre s’avère très variable d’un département à l’autre, et peut même passer du simple au double. Des données variables qui montrent qu’il vaut mieux être chômeur en Corse…. où  un conseiller suit en moyenne seulement 66 dossiers, quand la Creuse affiche un portefeuille moyen de 150 demandeurs d’emploi.  

Si certains emplois sont difficiles à pourvoir par des locaux, les faibles salaires de cette main d’œuvre (pagati incù a sfrombula), sa malléabilité et ses conditions de travail (en règle générale) n’attirent guère ces jeunes locaux, dont beaucoup, diplômés ou non, quittent à nouveau l’île pour trouver du travail ailleurs.

La responsabilité du secteur privé dans l’île

Au-delà de la fonction publique ou des grandes entreprises publiques, le secteur privé dans l’île compte le plus grand nombre de salariés (ces dernières années, les patrons, commerçants, artisans, agriculteurs… et chefs d’entreprises corses ne sont plus très majoritaires dans ce secteur où même les responsabilités syndicales ou socio-professionnelles leur échappent  de plus en plus). Ces patrons préfèrent de plus en plus faire venir leurs employés d’ailleurs au détriment des jeunes locaux (paisanni ou nati qui) même à compétences égales (il y aurait même des promesses d’embauche avec des contrats qui ne seront pas honorés mais qui ensuite par un recours aux Prud’hommes permettent à ces salariés non embauchés comme promis d’acquérir un certain pécule, en attendant de trouver un autre emploi sur place). A noter aussi l’apparition de boîtes d’Intérim proposant de fournir aux patrons de Corse, des salariés qualifiés venus d’autres pays (voir sur Porto-Vecchju, Corse-matin-25 sept. 2013, ce type d’annonce en liaison avec un cabinet qualifié du Portugal).

L’immigration en Corse selon l’INSEE  en 1999

En 1999, il y a  14 ans déjà, d’après les chiffres d’alors (recensement – sources INSEE), les populations immigrées, « définies comme l’ensemble des personnes étrangères nées étrangères hors de France et entrées sur le territoire national au cours de leur vie« , sont 26.000 en Corse, soit un taux régional de 10% (taux national de 7,4%). Un chiffre qui place l’île au 2ème rang derrière l’Ile-de-France (1er rang en proportion pour les primo-arrivants à scolariser). Les enfants nés en France de parents immigrés, donc de nationalité française, étaient un peu de plus de 5.000 en Corse en 1999, (par définition ne font pas partie de la population immigrée) souligne l’étude réalisée par l’INSEE. L’étude ne compte pas dans les 26 000 immigrés étrangers, les naturalisés (dont les 5 000 enfants nés en France) et les clandestins… Parmi les immigrés résidant en Corse en 1999, 5.500 avaient acquis la nationalité française, soit une proportion de 21%. L’immigration dans l’île est essentiellement méditerranéenne, avec une prépondérance des Maghrébins et surtout des Marocains, qui représentent 42% du total, contre seulement 12% au niveau national. Avec près de 11.000 personnes, ils forment de loin la plus grande communauté immigrée de Corse, devant les Italiens (4.876) et les Portugais (3.201). En Corse, les hommes constituent 57% de la population immigrée. Un enfant sur cinq vit dans une famille immigrée. Si plus de 2/3 des immigrés sont d’âge actif (deux tiers d’ouvriers), 23,8% d’entre eux sont au chômage, soit 6 points de plus que la moyenne française. Depuis d’autres étrangers (filières de l’Est) sont arrivés et d’autres enfants sont nés français. En 2011 (Corse-matin : 3 juin 2011) les immigrés sont 27 400 (9 % de la population) avec une communauté marocaine qui reste majoritaire et une forte augmentation de Portugais. Aujourd’hui que dans l’île le nombre  de résidents immigrés ou issus de l’immigration se situe entre 35 000 et 40 000 (malgré l’absence de chiffres fiables sur l’immigration clandestine et illégale), soit environ 15 % de la population.

La misère et la précarité en Corse : Cf. Corse-matin – 1er déc. 2012 : Titre à la une : 50000 personnes (soit un hab. sur 6, près de 20 % de la population) touchées par la précarité. Travailleurs pauvres, mères isolées, titulaires du RSA en augmentation…sans compter les jeunes exclus, les retraités, les chômeurs non répertoriés… Mais ce chiffre est vraisemblablement en deçà de la réalité, s’appuyant surtout sur de statistiques réalisées dans le monde urbain, les Corses des villages, non répertoriés, éprouvant majoritairement une certaine pudeur à se déclarer indigents ou dans le besoin…

En fait le chiffre des 60000 personnes en situation de précarité semble aujourd’hui plus proche de la réalité. Ajaccio compte plus de 16000 personnes (Assises de la pauvreté:  Corté, octobre 2013) vivant au seuil de pauvreté (- 917 euros par mois) sur près de 65000 habitants.

Les services sociaux et les associations caritatives (secours populaire, catholique, croix rouge, restos du cœur  et autres sont débordés par l’afflux des demandes («émanant même de Corses », ce qui est reconnu et mis en avant cette année par leurs responsables !)

Selon des chiffres officiels, il y a désormais près de 500 SDF recensés dans l’île, dont beaucoup arrivés ces dernières années dans l’île à la recherche d’une vie meilleure au soleil, et loin de l’insécurité de la rue dans les grandes agglomérations françaises.

Une jeunesse en péril : Sur fond d’urbanisation anarchique et de développement du tout-tourisme, avec la perte de certaines valeurs et le manque de repères, de multiples fléaux guettent notre jeunesse : Alcoolisme, drogue, délinquance, précarité, exclusion, manque de formation…la liste n’est pas exhaustive. Les services officiels mettant souvent en avant le rang peu enviable qu’elle occupe dans certains secteurs liés à la santé (obésité, alcoolisme, hépatites, sida….).

Et le peuple corse dans tout ça ! La notion de communauté de destin a été mise en avant dans les années 80, les Corses étaient alors majoritaires et le mouvement nationaliste s’inscrivait dans une stratégie de prise de pouvoir… Depuis il y a eu les affrontements entre nationalistes, les retombées de l’Affaire Erignac… et l’affaiblissement (durant les années 90-2000) de l’idée nationale, tandis que la population de l’île évoluait vers une minorisation des Corses. (Motion déposée par le groupe «Pà un’avenna corsu» (UPC-Cuncolta Naziunalista) et adoptée à une très large majorité le 13 oct. 1988. L’Assemblée de Corse avait adopté une motion affirmant l’existence d’une « communauté historique et culturelle vivante regroupant les Corses d’origine et d’adoption : le peuple corse »).

Aujourd’hui, avec la mondialisation et ses conséquences économiques et sociétales qu’elle impose, comment la Corse et les Corses peuvent-ils s’adapter aux nécessaires mutations sans se plier aux modes de vie et de pensée venus d’ailleurs et sans  perdre leur âme ?  Comment faire pour que la Corse puisse encore fabriquer des Corses ? Avec l’arrivé aux responsabilités à la CTC d’une majorité nationaliste, comment appréhender ses nouvelles problématiques et tenter d’apporter des réponses que les Corses attendent souvent avec inquiétude ?

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