Les discussions sur la place du village ont parfois de drôles de conséquences. L’une d’entre-elles fut pour moi d’être amené à lire les œuvres d’Ernest Renan. En effet, un de mes cousins éloignés voyant que j’étais intéressé par les femmes et les hommes capables de bousculer les idées préconçues et qui voient l’avenir dans la science ; m’offrit un ouvrage écrit de sa main et retraçant la vie de ce personnage hors-norme[1]. À partir de ce jour, Ernest Renan est entré dans ma vie. Ses ouvrages sont devenus des sources de réflexion car ses pensées me semblent transcender le temps et les époques.
Cet article essaye humblement de synthétiser un texte de cet homme[2], souvent cité mais que très peu ont réellement lu. Texte publié pour la première fois en 1869 et qui, vous le verrez, bouscule quelque peu les idées préconçues et distillées par la classe politique ici et par delà la Méditerranée.
Renan qui es-tu ?
Renan est né en 1823 à Tréguier petit village de Bretagne, suit des études au petit séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet à Paris de 1838 à 1841 puis au grand séminaire d’Issy-les-Moulineaux de 1841-1843 et au séminaire de Saint-Sulpice à Paris, perd la foi en 1845, est licencié ès lettres en 1846, est reçu premier à l’agrégation de philosophie en 1848, obtient une thèse de Doctorat en 1852, est élu à l’Académie française en 1878, est administrateur au Collège de France en 1883 et meurt le 2 octobre 1892. Ses obsèques furent alors organisées par l’État.
Renan est considéré comme le maître à penser de plusieurs générations. Historien et philosophe, il fut détesté par les « bien-pensants » et encensé par les savants. Ses ouvrages furent des best-sellers de l’édition. Par exemple, son ouvrage « Vie de Jésus » publié en 1863 fut un triomphe dans toute l’Europe mais déclencha le plus grand scandale des années 1860. Ses discours au Collège de France se tenaient souvent à guichets fermés. Cet homme a eu un itinéraire exceptionnel et atypique. Deux de ses citations ont retenu plus particulièrement mon attention : « Le plus haut degré de culture est de comprendre l’humanité » et « On dira ces pensées et on les reconnaîtra vraies après moi, et on ne saura pas que je les ai eues».
La définition de nation donnée par Renan
Le texte dont je vais vous parler fait partie de cette famille d’écrits qui ont la particularité de n’être quasiment pas lus mais très souvent cités ! Ainsi, des morceaux de phrases sont parfois sortis du contexte et mis en avant sans tenir compte des éléments qui les ont motivés. La pensée de cet auteur ne peut être résumée par quelques formules. « Qu’est-ce qu’une nation ? » est un texte concis dans lequel Renan donne une définition positive de la nation. Dans son introduction, ses propos sont révélateurs de son état d’esprit : « Tâchons d’arriver à quelque précision en ces questions difficiles, où la moindre confusion sur le sens des mots, à l’origine du raisonnement, peut produire à la fin les plus funestes erreurs. Ce que nous allons faire est délicat ; c’est presque de la vivisection ; nous allons traiter les vivants comme d’ordinaire on traite les morts. Nous y mettrons la froideur, l’impartialité la plus absolue ».
La méthodologie utilisée par cet auteur pour traiter le sujet fut, dans un premier temps, de s’atteler à reconsidérer d’autres définitions communément utilisées et qui s ‘appuient sur :
- La race.
- La langue.
- La religion.
- Les intérêts.
- La géographie.
Pour Renan, les choses sociales (langues, religions) ou physiques (races apparentes[3], géographie) ne pourront jamais dessiner les contours d’une appartenance à une nation. Pour lui, il faut impérativement réintroduire l’action des hommes des siècles passés pour définir cette entité singulière issue de la manifestation de la volonté des femmes et des hommes du présent. Pour autant, une nation ne peut-être vue que comme le simple produit de volontés. Il faut donc absolument introduire la profondeur historique car elle ne résulte pas exclusivement d’intérêts communs.
La nation est la composite de deux éléments :
- La mémoire d’un passé commun (d’actions : faits et œuvres mémorables).
- La réaffirmation d’une volonté de vivre ensemble.
Renan avance que la mémoire est obligatoire car, sans elle, il n’y a pas de réunion possible des individus en une nation. De plus, la volonté ne peut surgir en l’absence de passé ! Néanmoins, il insiste sur la nécessité des deux car si la volonté n’existe pas dans le présent, la nation ne peut tenir. Il avance même que si cette volonté n’existe plus, la nation ne doit pas être maintenue contre la volonté des hommes. La nation est donc mortelle ! Elle est historique et politique et non une entité qui s’imposerait. Le principe politique issu de ce raisonnement est le suivant : « c’est, en dernière instance, au peuple de décider à quelle nation il appartient ».
En effet, Renan avance qu’une nation est une âme, un principe spirituel. « C’est une solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposé à faire ». Cette phrase résume bien sa vision. Il est même plus précis : « Une nation n’a pas plus qu’un roi le droit de dire à une province : Tu m’appartiens, je te prends. »
Et l’État dans tout cela ?
Il y a un mot que Renan évite soigneusement, c’est celui d’État. L’État nécessite aussi un sentiment d’appartenance mais il dispose d’un pouvoir qui peut agir et contraindre. À l’époque, Renan utilise donc le terme de nation pour préparer à la notion moderne d’État. La nation pour lui n’était qu’un moyen transitoire, mais nécessaire, pour déboucher sur la forme politique de l’État. L’État étant pour lui la seule forme politique moderne à même d’incarner la réalité de la citoyenneté.
Conclusion
La postérité a retenu que Renan avait défini la conception « française » de la nation. Que dirait cet homme s’il avait la possibilité d’écouter aujourd’hui les propos tenus par ceux qui s’en prévalent à l’encontre de certaines revendications formulées en Corse? Les mêmes qui se drapent dans la vertu républicaine pour nier notre histoire, notre langue et notre droit à l’autodétermination ? Nous ne pouvons qu’inviter tous ces jacobins à relire soigneusement ses textes. À réfléchir à leur portée, ils ne pourront qu’être meilleurs pour gérer l’avenir de leur pays.
Jean-Louis Rossi
[1] Francis Mercury. « RENAN ». Olivier Orban, 1990. ISBN 978-2-84205-178-5
[2] Ernest Renan. « QU’EST-CE QU’UNE NATION ». Olivier Orban, 1990. ISBN 978-2-85565-590-1
[3] Renan est ambigu quant à la définition qu’il donne au terme « race ». Pour lui : il n’est jamais de race pure, encore moins originelle. Chaque population est faite de constants mélanges, ce qui rend l’identification même d’une race quasi impossible.
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