CONTRIBUTION : LES BATEAUX QUI VONT SUR L’EAU…

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Avant d’aborder le débat sur la compagnie régionale, il faut rappeler que la Corse a besoin de transports fiables, de prix raisonnables, le tout reposant sur une saine gestion.

I – ÉVOLUTION DU TRAFIC

Le trafic passagers (France et étranger) est passé de 4,5 à 4 M de 2011 à 2015, (sources ORTC[1] 2011 et 2015 en fin de document), la baisse étant respectivement de 12 % et 3 %. La baisse du trafic passagers avec la France est portée par l’ex-SNCM :

Tab. 1 : Trafic passagers (France et étranger) pour 2011 et 2015

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Le trafic fret a diminué dans les mêmes proportions, – 9 %, passant de 2,4 millions de tonnes à 2,2 millions de tonnes.

Tab. 2 : Trafic fret (France et étranger) pour 2011 et 2015

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La baisse est équivalente sur les deux types de trafic : normal et spécialisé.

Tab. 3 : Trafic total (France et étranger) pour 2011 et 2015

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Conclusion : le trafic fret et passagers est sur une tendance baissière de l’ordre de 10 %. 

II – CONSTAT ENTREPRENEURIAL

Sans entrer dans la recherche de responsabilités on note que la SNCM, mal gérée, a perturbé par ses grèves à répétition, de manière continue et importante la vie économique de l’île et ruiné nombre d’entreprises. Les deux autres compagnies qui opèrent sur la Corse (CMN et CORSICA FERRIES[2]) sont bien gérées et ne connaissent pas ces grèves.

A partir du moment où la SNCM disparaît se pose la question de son remplacement et sur cet objectif, émerge l’idée de compagnie régionale. Il convient de l’examiner au regard des données économiques.

On constate tout d’abord l’existence de deux compagnies qui fonctionnent bien et un recul de l’ordre de 10% du transport de passagers et de fret.

Les deux compagnies en bonne santé absorbent les deux tiers du fret, hors trafic spécialisé (hydrocarbures, gaz et ciment), dans un mouvement global à la baisse faut-il le rappeler :

Tab. 4 : Tonnage hors fret spécialisé pour 2011 et 2015

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Les deux compagnies en bonne santé qui absorbaient les 2/3 du trafic passagers en 2011 en détenaient plus de 72 % en 2014.

Tab. 5 : Nombre de passagers hors croisières pour 2011 et 2014

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Remarque : Les données 2015 des compagnies ne sont pas encore publiées, mais suivant la publication de l’ORTC de décembre 2015 (en fin de document), la CF progresse de 206 345 passagers et la SNCM diminue de 276 062, ce qui la ramène à 360 000 passagers transportés, c’est à dire à hauteur de la MOBY.

Tab. 6 : Extrapolation du nombre de passagers hors croisières pour 2015

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On peut donc estimer que les deux compagnies en bonne santé assurent plus de 75 % du trafic passagers avec une compagnie majeure (CF) qui en assure 70 %.

Conclusion :

  1. Les deux compagnies en bonne santé absorbent 66 % du fret, hors trafic spécialisé (hydrocarbures, gaz et ciment).
  2. Les deux compagnies en bonne santé assurent plus de 75 % du trafic passagers avec une compagnie majeure (CF) qui en assure 70 %.
  3. Les deux trafics fret et passagers sont sur une tendance baissière bien affirmée, puisqu’elle est de 8 % pour le fret (hors fret spécialisé) et de 10 % pour les passagers sur 5 exercices : 2011 à 2015 inclus.

Se pose donc, en mettant pour l’instant de côté le problème social, la question de la viabilité économique d’une troisième entité, régionale ou pas.

III – VIABILITÉ D’UNE TROISIÈME ENTITÉ

            1 – Dans un futur proche

Un bouleversement de la tendance baissière est inenvisageable, compte tenu de la persistance de la crise économique. Au mieux aura t-on une légère amélioration, ce qui ne change guère l’analyse macroéconomique.

Les liaisons maritimes restant en l’état, la troisième entité a comme marché potentiel moins de 33 % du trafic fret et moins de 25 % du trafic passagers, puisqu’une partie est assurée par la SAREMAR qui opère sur la Sardaigne.

Au surplus la concurrence évolue puisqu’à compter du 1er juin 2016, les bateaux jaunes vont :

  • desservir le port secondaire de Porto-Vecchio depuis Nice et Toulon,
  • et instaurer des liaisons européennes et trans-îles avec un départ de Toulon vers Porto-Torres (Nord Ouest de la Sardaigne) et depuis Nice vers Golfo Aranci (Nord Est de la Sardaigne) cette destination comprenant une escale à Porto-Vecchio

La troisième entité devra donc aller conquérir des parts de marché sur l’existant (CF et CMN), ce qui semble difficile au regard de leur fiabilité, principal critère de choix des utilisateurs, ou s’ouvrir vers l’étranger.

            2 – À moyen terme

La pérennité d’une troisième entité ne peut donc être assurée que par un trafic vers l’Italie, sur la base d’une continuité territoriale européenne et d’une aide aux exportations, après que toutes deux soient autorisées par l’UE[3], afin de redresser la balance commerciale de la Corse, déficitaire à hauteur de 75 % de ses échanges.

Donc toute évolution ne viendra que d’une discussion sérieuse avec l’UE, d’autant :

  • qu’il reste un préalable à lever (la discontinuité économique de la future entité avec l’ex-SNCM, faute de quoi elle sera redevable des amendes de 440 M€)
  • et que demeure l’hypothèque de remporter ou pas le marché dont disposait la groupement CMN-SNCM, avec un montant d’aide de 95 M€ par an dont 55 M€ pour la SNCM, car il sera désormais attribué ligne par ligne.

Compte tenu de ces éléments, cette troisième entité ne peut se construire qu’autour d’un partenariat avec la CMN, qui assurerait une base de recettes et une image de fiabilité.

Mais la Commission européenne a rejeté cette solution avec une interprétation néolibérale de la concurrence, en affirmant que la discontinuité (donc l’annulation des amendes de 440 M€) n’était pas assurée si la CMN revenait dans le jeu, car elle était partie au consortium assurant le service public des transports lors de la DSP[4] qui se termine en octobre 2016, ce qui est absurde en soi, car la commission punit la gestion vertueuse de la CMN.

            3 – Une compagnie régionale ?

Bon nombre de Corses seraient heureux de voir une compagnie régionale, car elle permettrait de résoudre un problème social majeur, 900 CDI[5] en cause, et qu’elle représenterait une juste utilisation de l’argent de l’enveloppe de la dotation de continuité territoriale (DCT) de 187 M€ par an, qui n’a, pour le maritime, que très modérément profité à la Corse.

Reste le problème de la fusion des deux entrepreneurs privés (le repreneur désigné et le consortium d’entrepreneurs Corses), qui doit être avalisée par le Tribunal de commerce de Marseille et demeure suspendue à d’éventuels recours.

À supposer que cette fusion se fasse, elle ne sera viable qu’avec des navires modernes, alors que le parc actuel comprend 3 navires désuets :

Tab. 7 : Parc actuel de la flotte (ex-SNCM et CMN). Avec N : Nœud[6]

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Un schéma de développement économiquement viable consisterait à remplacer les deux plus anciens cargos mixtes.

Pourquoi deux seulement ?

L’actif de l’ex-SNCM (4 cargos mixtes, en gras sur le tableau, dont 2 anciens et 2 ferries anciens : D CASANOVA et MÉDITERRANÉE) est évalué à 230 M€. La valeur des 2 cargos mixtes encore exploitables de l’ex-SNCM, propriété des entrepreneurs est de 130 M€. La vente du reste de l’actif, 100 M€, permettrait d’acquérir, avec un emprunt modeste un nouveau cargo mixte qui vaut 150 M€.

La CTC[7] participerait à ce projet en achetant elle aussi un cargo mixte, (150 M€ sur 15 ans), amortissable par les 11 M€ de reliquat annuel non consommés de la DCT[8], ce qui lui permettrait d’entrer au capital de cette société mixte maritime.

En effet, l’examen du CA 2014 de l’OTC[9], montre que les recettes sont de 187 M€ au titre de la DCT. 

Ils ont consommés à hauteur de 1,6 M€ par les charges de personnel et les charges courantes et à hauteur de 174 M€ pour assurer la continuité territoriale. Le total de la consommation est arrondi à 176 M€. Le reliquat est de 11 M€.

Pour mémoire, les 174 M€ se répartissaient alors comme suit :

  • 58 M€ à l’ex-SNCM,
  • 42 M€ à la CMN,
  • 39,5 M€ pour la desserte de Paris,
  • 34,5 M€ pour le bord à bord.

La nouvelle entité régionale aurait donc :

  • 4 navires modernes (PAOLI + PIANA+ 2 ACQUISITIONS)
  • et deux cargos anciens ( CASANOVA et MEDITERRANÉE),

pour démarrer son activité depuis la Corse.

IV – CONCLUSION

Le problème n’est pas, comme on le pense généralement, d’ordre financier mais politique et juridique !

Bien évidemment l’État, qui n’a guère brillé par sa qualité de gestionnaire de l’ex-SNCM en son temps, est pour des raisons politiciennes (la victoire des nationalistes) aux abonnés absents pour soutenir la CTC à Bruxelles.

Or la solution est pour partie à Bruxelles où la triple problématique à résoudre est la suivante :

  1. la commission est-elle sensible au sort des 900 familles qui vivent de l’activité de l’ex-SNCM (après un plan social concernant 600 salariés) ?
  2. Va t-elle revenir sur sa vision néolibérale de la concurrence avec une dissociation des deux entités (CMN et ex-SNCM) qui assuraient le service public des transports, pour permettre à la CMN de participer à la nouvelle entité ?
  3. Si oui, permettra t-elle une continuité territoriale européenne et une aide aux exportations, faute de quoi la Corse sera un marché d’importation plus important encore sur le court terme.

L’autre partie se situe à Paris.

  1. l’État va t-il maintenir la DCT à 187 M€ sachant que son utilisation au titre de la compensation de la continuité territoriale va diminuer ?

Il est en droit de le faire car il en a déjà gelé le montant de la DCT à 187 M€ depuis de nombreuses années.

La compagnie régionale est donc loin d’être acquise, d’autant que la future DSP ou les futures OSP[10], devront entrer en vigueur le 1er octobre 2016.

Roger Micheli

[1] ORTC : Observatoire Régional des Transports de la Corse

[2] CORSICA FERRIES : notée dans le document CF

[3] UE : Union Européenne

[4] DSP : Délégation de Service Public

[5] CDI : Contrat à Durée Indéterminée

[6] 1 Nœud = 0,514 mètre par seconde

[7] CTC : Collectivité Territoriale de Corse

[8] DCT : Dotation de Continuité Territoriale

[9] OTC : Office des Transports de la Corse

[10] OSP : Obligations de Service Public

Il est possible de demander un article au format pdf à l’adresse :  ichjassi@gmail.com

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