CONTRIBUTION : PRÉCISIONS SUR LA NOTION DE RÉSIDENT BIS

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Les conclusions du rapporteur public du 28 janvier 2016

Le 24 avril 2014 l’Assemblée de Corse (AC) approuve une délibération relative à la protection du patrimoine foncier et au statut de résident[1]. Par suite, le préfet adresse une lettre au Président de l’exécutif de Corse en avançant les moyens pour lesquels, selon lui, cette délibération est incompatible tant avec les principes constitutionnels de la France qu’avec le droit de l’union européenne[2] :

La méconnaissance des principes constitutionnels porte, suivant le préfet, sur :

-la méconnaissance du principe d’égalité,

-le défaut de respect du principe de non discrimination,

-l’atteinte au droit de propriété,

-l’atteinte à l’article 34 de la constitution[3], matière réservée au législateur.

La méconnaissance du droit européen porte selon lui sur :

-la restriction à la liberté d’installation des personnes,

-l’atteinte à la libre circulation des capitaux,

-l’atteinte à la libre prestation des services.

Peu de temps après, les communes de GRANACE, LOPIGNA, ORTO et AMBIEGNA décident de mettre en œuvre la délibération précitée de l’AC et d’instituer un statut de résident.

Comme ces communes n’ont pas donné suite au courrier du préfet leur demandant de retirer les dites délibérations qu’il estimait illégales, celui-ci a saisi le Tribunal administratif (TA) de Bastia de demandes tendant à leur annulation.

Le TA de Bastia ne prononcera son jugement que le 28 février 2016, mais le rapporteur public, a lui déjà rendu ses conclusions le 28 janvier 2016[4]. Elles tendent bien évidemment à l’annulation des dites délibérations.

Cependant ses conclusions sont riches d’enseignement, et certains points avancés mettent à mal l’interprétation préfectorale.

En effet sur les 7 moyens avancés par le préfet, 4 seulement ont été considérés comme fondés par le rapporteur public.

Et sur ces 4 moyens, seulement 2 soulèvent de réels problème dans l’objectif futur de mettre en œuvre un mécanisme de protection du foncier, tel que celui du statut de résident.

Examinons les conclusions du rapporteur public

I – LES MOYENS RELATIFS A LA MÉCONNAISSANCE DES PRINCIPES CONSTITUTIONNELS

1 – La méconnaissance du principe d’égalité.

Ce premier moyen est considéré par le rapporteur public comme étant fondé. Cependant la motivation de ce dernier est bien plus intéressante que sa conclusion.

En effet s’il est considéré comme fondé, ce n’est pas parce que le statut de résident tel que défini par les quatre communes, méconnaît le principe d’égalité, parce qu’il aboutit à une limitation du statut de résident à un territoire restreint : celui des 4 communes.

Suivant le rapporteur public qui base son argumentation sur les articles 1 et 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) de 1789 et l’article 1er de la Constitution de 1958 : « le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que l’autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’elle déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général ».

NB 1: C’est exactement ce qui était avancé dans la tribune libre intitulée « précision sur la notion de résident[5] ».

Suivant le rapporteur public  la différence de situation est justifiée par le fait que : «  les personnes primo arrivante sur un territoire donné ne sont placées dans la même situation que les personnes résidantes sur ce même territoire »..

NB 2 : Argument également avancé dans la tribune précitée.

Il faudrait donc pour justifier la mise en œuvre du statut de résident :

-prouver l’existence d’une situation différente entre personnes,

-et démontrer que la dérogation est faite pour des raisons d’intérêt général.

Selon le rapporteur public des mesures portant sur « la situation fiscale, l’identité régionale, la spéculation immobilière, la protection de l’environnement et la protection du patrimoine culturel » répondent à un motif d’intérêt général.

D’ailleurs les 3 dernières nommées (protection contre la spéculation immobilière, protection de l’environnement et protection du patrimoine) ne souffrent d’aucune contestation sérieuse pour définir l’intérêt général.

Face à cette cascade argumentaire en faveur de l’intérêt général, il juge cependant que la demande du préfet est fondée car la motivation qui repose sur l’intérêt général perd sa substance dès lors qu’elle concerne seulement le territoire de quelques communes.

La limitation de l’intérêt général à ces communes rendent les délibérations en cause illégales car elles traitent de manière différentiée la protection de l’intérêt général suivant le lieu d’application.

Elles sont donc contraire au principe constitutionnel d’égalité.

On peut donc en déduire que le statut de résident appliqué à l’ensemble de la Corse, écarterait le motif de méconnaissance du principe d’égalité.

2 – La méconnaissance du principe de non discrimination et du droit de propriété

Le principe de non discrimination a déjà été étudié dans la tribune précitée.

Ce principe, consacré en tant que tel en droit européen (article 18 du TFUE[6]) ne l’est pas en droit national.

C’est d’ailleurs ce que reproche en premier lieu le rapporteur public au préfet. En droit interne le principe de non discrimination n’est pas expressément consacré, il n’est qu’un corollaire du principe constitutionnel d’égalité, comme l’a reconnu le Conseil constitutionnel[7].

Le rapporteur reformule alors le moyen invoqué par le préfet.

La question est seulement de savoir si les délibérations portent atteinte au droit de propriété, qui fait, lui, partie des libertés publiques. Et en tant que liberté publique, le droit de propriété ne peut pas être appliqué de manière disparate sur le territoire national.

La question est alors de savoir si le droit d’accès à la propriété, qui se trouve en effet limité par le statut de résident, est une composante essentielle du droit à la propriété, et donc une liberté publique. Dans ce cas, étant une liberté publique, il ne saurait être appliqué de différente façon au sein du territoire national.

Cependant et comme le dit le rapporteur public, selon l’article 17 de la DDHC consacrant le droit à la propriété, « c’est la propriété acquise qui est protégée et non le droit d’accéder à la propriété. »

En effet selon la DDHC en ses articles 2 et 17, le droit de propriété ne vise pas la protection de l’accès à la propriété, mais la protection de la dépossession, dépossession qui doit être motivée par des raisons de nécessité publique et compensée par des indemnités.

Des lors, le droit d’accès à la propriété, n’étant pas une condition essentielle du droit à la propriété, il ne peut être considéré comme une liberté publique, et n’est donc soumis que d’une manière minimale au principe constitutionnel d’égalité et donc au principe de non discrimination.

Il est donc possible d’avoir une application différente du régime d’accès à la propriété au sein du territoire national.

Aussi le rapporteur public considère t-il ce moyen d’annulation comme infondé.

On peut alors en conclure, qu’un statut de résident qui respecte les modalités ci avant décrites, pourrait être mis en œuvre en Corse sans contrarier le principe constitutionnel d’égalité ou celui de non discrimination.

3 – La méconnaissance de l’article 34 de la Constitution

Suivant l’article 34 de la Constitution : « la loi détermine les principes fondamentaux du régime de propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales ».

Comme le remarque le rapporteur : « un régime d’accès à la propriété fondé sur la durée de résidence sur le territoire Corse…. intervient dans une matière réservée au législateur »

En effet l’article 34 affirme que le droit de propriété est une matière exclusivement réservée au législateur. Ce qui signifie que les organes délibérants de la commune qui n’ont pas de capacité à établir la loi, n’ont pas le droit de prendre de telles délibérations.

C’est certainement sur ce moyen que les délibérations des 4 communes seront annulées, ce qui est conforme au droit.

Mais si la Corse est reconnue dans la Constitution, au surplus si cette reconnaissance est motivée, entre autres, par les motifs d’intérêt général explicités plus haut, le statut de résident en sa finalité de protecteur du foncier, appliqué à l’ensemble du territoire de l’île, n’altèrera en rien la légalité.

Personne n’est dupe sur le sujet : le fait que l’Assemblée de Corse a voté la délibération sur le statut de résident n’est que le premier pas vers une protection du foncier. Elle a pour mérite d’ouvrir la voie à la définition d’un intérêt général s’appliquant à la totalité du territoire de l’île.

 

II – LES MOYENS RELATIFS A LA MÉCONNAISSANCE DU DROIT EUROPÉEN

Le préfet appuie son recours sur une seconde série de moyens tiré de la méconnaissance des principes du droit européen, éléments qui vont sans doute poser plus de problèmes pour l’établissement d’un statut de résident.

 

1 – La restriction à la liberté d’installation des personnes

L’article 21 du TFUE interdit les mesures nationales ou locales qui empêchent ou dissuadent les ressortissants d’un Etat membre de quitter celui-ci afin d’exercer leur droit à la libre circulation à l’intérieur de l’Union Européenne (UE).

Le rapporteur public relève que le statut de résident « ne contrevient nullement à cette disposition européenne… elle n’empêche pas un citoyen d’un autre Etat membre de l’Union de venir séjourner en Corse, voire y résider pendant 5 ans et à la suite devenir propriétaire ».

Le rapporteur public estime ainsi le moyen comme infondé, considérant que le statut de résident n’empêche en rien les ressortissants des Etats membres de séjourner ou de s’installer en Corse, ou tout du moins que la restriction ne porte pas une atteinte suffisante à la liberté d’installation des personnes.

Il semble cependant que le rapporteur public omet un point important sur le sujet, point qui sera peut être relevé par le TA lors de son jugement du 28 février.

En effet le principe de la liberté d’installation des personnes a deux conséquences :

-ne pas dissuader les citoyens des Etats membres de s’installer ;

-ne pas dissuader les citoyens des états membres de quitter le territoire sous peine de se voir retirer, dans ce cas ci, la qualité de résident. (Ceci reste pure spéculation dans le sens ou le statut voté par l’assemblée ne prend pas en considération le cas de la personne qui après avoir acquis le statut de résident décide de quitter le territoire insulaire).

La question a déjà été abordé dans une décision de la CJUE du 8 mai 2013 concernant la législation flamande[8] (affaires C‑197/11 et C‑203/11).

La dite législation nécessitait la qualification d’un « lien suffisant » avec la commune pour pouvoir y acquérir un bien immobilier. Or en cas de départ de la personne, ce lien disparaît et est donc de nature à le dissuader de quitter la commune.

Cela a été jugé comme portant atteinte à la libre circulation des personnes au sein de l’UE et à la liberté d’installation.

Dans le cas ou le problème se poserait avec le statut de résident, des solutions pourraient être apportées à cet écueil.

Solution 1 : une personne a acquis le statut de résident, mais décide de quitter le territoire insulaire pour telle ou telle autre raison. Il n’est pas nécessaire de lui retirer sa « qualité de résident », mais seulement de la suspendre. La personne ne pourrait alors plus acquérir de bien immobilier sur l’île, du moins tant qu’il n’établira pas être de retour durablement. Dès lors la mesure de suspension du statut de résident pourrait être levée sans avoir à justifier de nouveau une résidence de 5 ans.

Solution 2 : on peut également penser que le statut pourrait être retiré à une personne qui manifeste expressément sa volonté de ne plus s’établir durablement. Le cas échéant, c’est-à-dire si la personne a quitté l’île, c’est à l’administration ou l’organisme chargé du contrôle qu’incombera la charge de la preuve, c’est à dire qu’elle devra établir un faisceau d’indices lui permettant de penser que la personne s’est effectivement durablement établie ailleurs.

Ces exemples montrent qu’il est possible de résoudre de manière légale le problème de l’atteinte à la libre circulation des personnes, en ce qu’elle peut les dissuader de quitter le territoire.

Le problème est d’ailleurs relevé par le préfet dans son courrier de 2014.

Abordons maintenant les deux points relatifs au droit européen qui méritent un examen de fond au regard de leur incidence sérieuse quant à la mise en œuvre d’un statut de résident :

-l’atteinte à la libre circulation des capitaux

-l’atteinte à la liberté de prestations de services

2 – L’atteinte à la libre circulation des capitaux

Selon l’article 63 du TFUE : « Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites,…. toutes les restrictions aux paiements entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites. »

En outre, et comme le rappelle le rapporteur public, on ne peut mettre en œuvre des mesures qui ont pour effet de dissuader les résidents des états membres de l’Union, de faire des investissement immobiliers en Corse, ou à rendre ceux-ci moins attrayants.

Et on ne peut nier que la mise en œuvre d’un statut de résident, produirait exactement ce type d’effets.

Cependant des exceptions à ce principe sont posées par le TFUE. Encore faut-il entrer dans l’un des cas prévus. Ce qui hélas n’est pour le moment pas le cas du statut de résident. C’est pour cela que le rapporteur considère, sur ce point, le moyen du préfet fondé.

Aucune des délibérations des communes dont l’annulation est demandée, ne répond aux restrictions admises par le traité.

Cependant, il semble possible d’envisager un cas avec lequel le statut de résident pourrait s’accorder.

L’article 65 §1 a) dispose que :

« 1. L’article 63 ne porte pas atteinte au droit qu’ont les États membres:

  1. a) d’appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis; »

Difficile d’aller plus avant sur ce point sans éléments supplémentaires. Cependant cet article prévoit qu’il est possible de déroger en partie à la libre circulation des capitaux, à condition que soit établie une « distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation ».

Et on a déjà vu qu’il existe, sans conteste, une différence de situation entre les personnes résidant déjà sur le territoire insulaire et les citoyens des Etats membres n’y résidant pas. Le rapporteur public lui-même le reconnaît.

Une piste de recherche est alors ouverte sur ce point. Mais la question demeure en suspend car elle nécessite une étude plus approfondie. 

3 – L’atteinte à la libre circulation des services

C’est le second et dernier point posant réellement problème.

Selon l’article 56 du TFUE : « ….., les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union sont interdites à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation. »

Pour être plus clair, il ne faut pas que les mesures prises dans le cadre d’un statut de résident, entravent l’exercice des activités des entreprises du secteur de l’immobilier (construction,vente et location), tant celles qui résident en Corse que les autres.

Et en effet il parait logique qu’un statut de résident puisse entraver l’exercice des entreprises, en ce qu’il limiterait le nombre de nouvelles constructions et les transactions afférentes.

Deux possibilités existent pour écarter cet écueil :

-Etudier l’impact du statut de résident sur l’activité des entreprises en matière notamment de construction. Le but serait alors de démontrer, si possible, que le statut de résident ne serait pas de nature à entraver de manière disproportionnée, l’activité des entreprises, locales comme étrangères. La question est soumise aux économistes bien plus au fait de la question.

-L’existence d’exceptions admises par la jurisprudence générale de la cour de justice de l’UE, en plus des exceptions expresses posés par le traité, dans le cas « de raisons impérieuses d’intérêt général ». Si l’intérêt général a été développé par le rapporteur public, la question suppose une nouvelle étude, et toute aide sur la question est la bienvenue.

Ces questions ne sont certes pas résolues, mais de pistes de recherches restent ouvertes.

III – CONCLUSION

Que peut-on retenir des conclusions du rapporteur public ?

1 – Les atteintes du statut de résident aux dispositions de la Constitution ne sont pas incontournables.

Comme on l’a vu, aucun des moyens invoqués par le préfet ne semble bloquer définitivement la mise en œuvre du statut de résident.

D’ailleurs les seuls moyens retenus par le rapporteur public, reposent plus sur le fait que ce sont quatre communes qui ont :

-adopté des mesures sans en avoir le pouvoir (article 34 de la Constitution),

-porté atteinte au principe constitutionnel d’égalité, car concrètement, seules 4 communes se voyaient appliquer les dispositions d’un statut de résident (sous entendu, appliqué à l’ensemble de l’île cela est possible).

2 – En revanche les atteintes au droit européen sont plus sérieuses.

Deux points restent pour le moment en suspend, et méritent des études plus poussées :

-l’atteinte à la libre circulation des capitaux,

-l’atteinte à la libre prestation des services.

Attendons maintenant la délibération du Tribunal administratif de Bastia du 28 février 2016. Nous verrons alors si ce dernier suit, purement et simplement, les conclusions du rapporteur public, ou s’il adoptera une ligne plus restrictive.

Cardi Stefanu

[1] Rapport N° 2014/O1/051 de l’Assemblée de Corse des 24 et 25 avril 2014

[2] http://www.corse-du-sud.gouv.fr/IMG/pdf/lettre_P_Giacobbi.pdf

[3] http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/la-constitution/la-constitution-du-4-octobre-1958/texte-integral-de-la-constitution-du-4-octobre-1958-en-vigueur.5074.html#titre5

[4] http://bastia.tribunal-administratif.fr/content/download/54176/479140/version/1/file/1400765%2C%201400766%2C%201400944%20et%201500012%20Prefet%202A%20Collectivite%20territoriale.pdf

[5] https://ichjassidiucumunu.com/2016/01/10/tribune-libre-precisions-sur-la-notion-de-resident/#more-1078

[6] TFUE : Traité de fonctionnement de l’Union Européenne

[7] (CC, 09/04/1996, LO portant statut de la Polynésie française, n° 96-373 DC).

[8] http://curia.europa.eu/juris/liste.jsf?num=C-197/11&language=FR

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