Telle est la question qui est soulevée au gré de nombreuses discussions dans l’île. Mais au fait « indépendante » qu’est-ce que cela signifie ?
L’indépendance d’un pays se caractérise par l’absence de soumission à une puissance supérieure. Le pays est alors reconnu comme « souverain ». C’est-à-dire qu’il peut exercer à l’intérieur de son espace, son pouvoir, au travers d’institutions et d’un système de règles de droit pour peu que ce soit une démocratie.
C’est François 1er, le bien nommé, qui a pour la première fois, formalisé les prérogatives qu’exerce le « souverain » par des lettres de 1524. Elles concernent : la défense, la justice, le gouvernement et l’administration, la législation, la fiscalité et les grâces.
Puis un juriste favorable à l’absolutisme, Jean Bodin (1530-1596) formalise les principes sur lesquels est fondée la souveraineté d’un pays. Pour ce partisan de la royauté il appartient en propre au souverain de : « donner et casser les lois, décider de la guerre et de la paix, nommer tous les agents de l’Etat, juger en dernier ressort et exercer le droit de grâce ».
Ces grands domaines, à la source de la tradition constitutionnelle française, sont qualifiés de pouvoirs régaliens de l’Etat. Ils relèvent du domaine de la loi et sont décrits par l’article 34 de la Constitution.
On peut les résumer par :
-la justice ;
-la politique étrangère ;
-la défense et la sécurité ;
-la monnaie.
S’y rajoutent d’un point de vue fonctionnel, des missions de protection sociale (sécurité sociale, solidarité) et des misions de régulation (réglementation, éducation et formation, aides).
Mais qu’en est-il au quotidien, car la France est liée par des traités internationaux et fait partie de l’UE ?
1 – S’agissant de la justice
La France n’est plus souveraine car elle a ratifiée en 1974 la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Le justiciable peut donc faire appel des décisions de justice rendues en France devant la Cour européenne des droits de l’homme (CDEH), chargée de veiller au respect de la dite Convention.
La CDEH a par exemple condamné la France dans l’affaire TOMASI (arrêt du 27 août 1992) pour traitement à caractère inhumain et dégradant et dépassement du délai raisonnable de la procédure. Mais il existe bien d’autres condamnations qui sont accessibles sur le site de la CDEH à l’adresse suivante : (http://www.echr.coe.int/Pages/home.aspx?p=home&c=fra).
La souveraineté de la France en matière de justice n’est donc pas absolue, mais relative.
2 – S’agissant de la politique étrangère
Chaque État membre de l’Union européenne (UE) conserve une entière souveraineté dans la conduite de sa politique étrangère.
La politique étrangère et de sécurité commune (PESC), instaurée par le traité de Maastricht en 1992 n’est, elle, pas opérationnelle. Par exemple dans le conflit Russie-Ukraine, l’UE poussée par la Pologne, les États baltes et les USA, applique des sanctions pour faire plier Poutine. Mais l’Allemagne et la France s’interrogent aujourd’hui sur le bien fondé de cette politique tant leurs intérêts économiques les poussent à renouer avec la Russie, partenaire économique historique.
La tendance profonde de la diplomatie française est la fin de l’affichage d’une démarcation systématique vis-à-vis des USA. Depuis le retour dans l’OTAN en 2009, la diplomatie française ménage sa bonne relation avec le camp occidental (Israël inclus), malgré la reconnaissance en 2012 du statut d’observateur de la Palestine à l’ONU.
Avec l’arrivée de Laurent Fabius aux affaires étrangères, la diplomatie n’obéit plus au seul primat du politique mais a intégré une dimension économique : le commerce extérieur et le tourisme sont sous tutelle des affaires étrangères. Le pragmatisme d’une diplomatie au service des emplois l’emporte sur les positions idéologiques nationales, à rebours du discours politique habituel tenu auprès de l’opinion publique.
La souveraineté de la France en matière de politique étrangère est donc pleine et entière.
3 – S’agissant de la défense et de la sécurité
La politique de défense vise à protéger les intérêts vitaux (intégrité du territoire national et protection de la population), les intérêts stratégiques (maintien de la paix sur le continent européen, en Méditerranée et dans les espaces d’échanges commerciaux) et les intérêts de puissance (dotée de l’arme nucléaire, la France est membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies avec « droit de véto »).
Les interventions militaires sont encadrées à l’exception de l’évacuation de ressortissants français (Zaïre en 1993, République démocratique du Congo en 1998). Elles se font sous mandat de l’ONU (Bosnie en 1992, Rwanda en 1994) de l’OTAN (Kosovo en 1999, Irak en 2003, Lybie en 2011) ou dans le cadre d’accord bilatéraux (Mali en 2013). C’est dans ce dernier cadre (accords de défense avec le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Tchad et Djibouti) que la France entretient encore des troupes en Afrique.
A l’exception de l’évacuation de ressortissants pour des raisons de sécurité ou d’une hypothétique attaque du territoire national, la souveraineté en matière de défense est strictement encadrée.
4 – S’agissant de la monnaie
En ce domaine l’affaire est simple. En 1999 les banques centrales nationales de onze États, dont la France, puis celles de 18 Etats au 1er janvier 2014, ont transféré à la Banque centrale européenne (BCE) leurs compétences en matière monétaire.
La politique monétaire a pour objectif la stabilité des prix par le biais de mesures monétaires classiques : dès que l’inflation s’élève la BCE restreint l’accès au crédit, par une hausse des taux d’intérêts. En cas de déflation (baisse généralisée des prix et des salaires se traduisant par une forte augmentation du chômage), la BCE facilite l’accès au crédit par une baisse des taux d’intérêts.
La France ne dispose donc plus de la souveraineté monétaire, celle qui lui permettait de dévaluer sa monnaie, afin que tout ce qu’elle produisait soit moins cher à l’exportation et provoque une relance de l’activité économique intérieure et la création d’emploi.
5 – S’agissant de protection sociale
La France dispose de sa souveraineté mais elle est limitée par des contingences inhérentes au système de santé et de solidarité. Si celui ci est en déficit comme c’est les cas actuellement (sa dette s’élève à 225 milliards d’€ et représente 11 % du PIB), elle devra prendre des mesures pour que le remboursement de cette dette n’influe pas sur la qualité de son système de santé.
Sous cette réserve, elle reste maîtresse chez elle et dispose donc de sa souveraineté.
6 – S’agissant de régulation
Il en va de la régulation comme de la monnaie.
La France est dans l’obligation d’adapter son dispositif juridique aux directives de Bruxelles et les tribunaux le lui rappellent bien souvent en annulant une transposition infidèle ou incomplète (CE, Sect., 28 avril 2003, Fédération française des courtiers d’assurance et réassurance, n° 233343) ou en contradiction avec des dispositions précises et inconditionnelles (CE, Sect., 27 juillet 2001, Compagnie générale des eaux, n° 229566).
Il en va de même en matière de droit du travail (le contrat nouvelle embauche de 2005 a été jugé contraire à la convention n°158 de l’Organisation internationale du travail). S’agissant du régime des aides il n’est qu’à voir la série de décisions sur les aides versées à la SNCM pour comprendre que la France a perdu sa capacité décisionnelle en l’affaire.
En matière de régulation, la souveraineté de la France n’existe donc plus.
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Remarquons pour conclure que 66% de la dette publique de la France est détenue par des non résidents et qu’il en va de même pour près de 50 % du capital des plus grandes entreprises françaises (celles qui sont cotées au CAC 40).
La conclusion est donc rude pour les cocardiers de tout poil : mise à part la politique étrangère, dans tous les autres domaines la souveraineté de la France est inexistante, contrainte ou encadrée.
Ce qui signifie que la souveraineté de la France, c’est-à-dire les pouvoirs régaliens qu’elle est en mesure d’exercer en tant que pays indépendant, est une illusion.
Vient donc la question qui est sur les lèvres de chaque lecteur : qu’en serait-il si l’on remplaçait le mot France par celui d’une région que nous chérissons ?
Fidèle à sa tradition, I CHJASSI DI U CUMUNU ne prétend pas imposer une position.
Mais les arguments présentés ci-avant sont, eux, de nature à permettre à chaque lecteur, en conscience, d’y apporter sa réponse.
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