Le référendum d’autodétermination organisé le 4 novembre 2018 en Nouvelle Calédonie, a eu pour conséquence de verser dans le débat public une thématique, l’autodétermination, qui, au moins en France, intéresse fort peu l’opinion, mais également les politiques.
Ce constat n’a rien de surprenant dans un pays forgé par 225 années de jacobinisme, dans un Etat unitaire ne reconnaissant qu’un seul « peuple de droit », le Peuple Français.
Pourtant l’autodétermination, déclinaison du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, constitue un principe juridique central pour la communauté internationale et ce depuis 1945.
GENESE DU DROIT DES PEUPLES A DISPOSER D’EUX-MEMES :
Le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », ou plus communément appelé « droit à l’autodétermination », est un principe issu de droit international selon lequel chaque peuple dispose d’un choix libre et souverain de déterminer la forme de son régime politique, indépendamment de toute influence étrangère.
DE LA SDN A L’ONU
LA SOCIETE DES NATION ET LE SYSTEME DU MANDAT :
Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, comme les droits de l’homme, est engagé dans un lent processus de concrétisation ; ce droit collectif fut mis en œuvre dès la Première Guerre mondiale, il fut ensuite repris en 1919 par la Société des Nations (SDN).
En effet, proclamé pendant la Première Guerre mondiale, ce principe ne fut pas équitablement appliqué par la Société des Nations : seuls quelques peuples d’Europe centrale en profitèrent, mais d’autres s’en virent exclus (interdiction faite aux germanophones d’Autriche-Hongrie de s’unir à la République de Weimar, refus de faire droit aux revendications irlandaises ou ukrainiennes…) et ce fut aussi le cas de la totalité des peuples colonisés.
L’article 22 du Pacte de la Société des Nations reprenait en fait le principe d’une « mission sacrée de colonisation ».
Le premier paragraphe de cet article 22 postule qu’il existe :
« des peuples non encore capables de se diriger eux-mêmes dans les conditions particulièrement difficiles du monde moderne. Le bien-être et le développement de ces peuples » (concrètement, leur européanisation) « forment une mission sacrée de civilisation».
Le deuxième paragraphe de cet article 22 poursuit sur cette base et dans un esprit foncièrement colonialiste, introduit le système du mandat qui permit de soumettre des peuples, communautés et territoires à la tutelle des « nations (dites) civilisées ».
Est ainsi confiée « la tutelle de ces peuples aux nations développées qui, en raison de leurs ressources, de leur expérience ou de leur position géographique, sont le mieux à même d’assumer cette responsabilité et qui consentent à l’accepter ».
Le système du mandat était l’aboutissement d’un compromis politique entre les partisans d’une annexion pure et simple des colonies, à l’image de Jan SMUTS pour l’Union sud-africaine et les partisans d’une administration internationale.
Les mandats furent attribués à des puissances mandataires, qui assuraient l’administration des territoires. En théorie, cette compétence était exercée au nom et sous le contrôle de la SDN.
À l’exception des mandats de type A, utilisés pour des « communautés » déjà dotées d’une constitution (Syrie, Liban, Palestine, Irak, Transjordanie) et appelées à accéder rapidement à l’indépendance, le système des mandats s’opposait donc radicalement au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, tant en principe qu’en fait, les mandats étant très difficilement révocables.
Ce dispositif ne visait en aucun cas à mettre en place la décolonisation.
Il fallut attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que le concept soit introduit dans les règles du droit international et de la diplomatie par les signataires de la charte des Nations unies, en 1945.
L’ONU ET LE DROIT DES PEUPLES A DISPOSER D’EUX-MEMES :
Le principe a ensuite été réaffirmé après la Seconde Guerre mondiale dans la Charte des Nations unies de 1945, mais ne fut pas appliqué par l’Organisation des Nations unies car les accords entre Alliés étaient prioritaires, et ils ne mentionnaient pas les peuples colonisés et stipulaient toute une série de mesures qui ne tenaient nul compte des éventuelles préférences des populations, comme l’établissement de la frontière occidentale de l’Union soviétique sur la ligne du Pacte Hitler-Staline de 1939, le partage de l’Europe en « zones d’influence » ou encore le déplacement de la Pologne de 300 km vers l’ouest.
LES TEXTES FONDATEURS :
Le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est acquis depuis son inscription dans l’article 1er alinéa 2 de la Charte des Nations Unies qui stipule :
«Les buts des Nations Unies sont les suivants :
(…) développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, et prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix du monde ».
Il s’agit en fait d’un principe fondamental du droit international auquel est conféré une dimension juridique.
Le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes a des racines libérales et démocratiques. Non seulement il exclut pour un peuple toute forme de cession et d’annexion forcées, mais il établit un lien entre son consentement et la structure étatique dans laquelle il doit se développer et trouver son bien. Ce principe est consacré d’une manière expresse dans l’article 1er de la Charte des Nations Unies qui stipule que l’un des buts de l’O.N.U. est de « développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, et de prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix dans le monde ».
D’autres textes font également mention du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Dans l’article 1er du Pacte International relatif aux droits civils et politiques adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 2200A du 16 décembre 1966, il est stipulé que :
« 1. Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel.
- Pour atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, sans préjudice des obligations qui découlent de la coopération économique internationale, fondée sur le principe de l’intérêt mutuel, et du droit international. En aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance.
- Les Etats parties au présent Pacte, y compris ceux qui ont la responsabilité d’administrer des territoires non autonomes et des territoires sous tutelle, sont tenus de faciliter la réalisation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et de respecter ce droit, conformément aux dispositions de la Charte des Nations Unies. »
DROIT DES PEUPLES A DISPOSER D’EUX-MEMES ET DROIT A l’AUTODETERMINATION :
Pour la plupart des théoriciens, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est nécessairement associé au « droit à la libre disposition », « droit à l’autodétermination interne » (le droit d’obtenir le statut de son choix à l’intérieur d’un pays) et au « droit à l’autodétermination externe » (le droit à l’indépendance) qui reconnaît à une population la possibilité de se séparer d’un État pour s’ériger en Etat indépendant, ce qui entraîne comme conséquence inévitable la sécession.
Tout ce qui se dit ou s’écrit depuis le dix-neuvième siècle sur « le droit des peuples non constitués en États » à disposer d’eux-mêmes est entièrement dominé par la question de la sécession.
En conséquence, on ne peut valablement entreprendre l’étude du droit des peuples à déterminer librement leur statut politique qu’en partant de l’hypothèse de la sécession, de l’indépendance et qu’en mettant en évidence, au préalable, les données principales de ce problème.
L’issue à priori automatique de la sécession amène certains auteurs à imposer des limites au droit des peuples à l’autodétermination, au travers de statuts intermédiaires.
C’est dans cet esprit que le 24 octobre 1970 a été adoptée la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies, qui précise notamment :
« La création d’un État souverain et indépendant, la libre association ou l’intégration avec un État indépendant ou l’acquisition de tout autre statut politique librement décidé par un peuple constituent pour ce peuple des moyens d’exercer son droit à disposer de lui-même ».
Comme nous pouvons le constater, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes s’appréhende avant tout comme un principe juridique.
L’AUTODÉTERMINATION DES PEUPLES COMME PRINCIPE JURIDIQUE :
L’examen de la doctrine montre qu’il existe un courant important, parmi les auteurs, pour imposer des limites à l’application du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Dans cette approche, il convient de prendre en considération et à opposer aux « peuples », aux « nationalités », les intérêts des États où ils se trouvent et ceux de la communauté internationale. Les « peuples » devront, si nécessaire, renoncer à l’indépendance et se contenter de ce que le président américain définissait comme étant le minimum des droits d’une nationalité : « une sauvegarde inviolable de l’existence, du culte et du développement social et industriel »
Le Président des USA Woodrow Wilson participe a à cette nouvelle lecture, en déclarant le 11 février 1918 :
« (…) toutes les aspirations nationales bien définies devront recevoir la satisfaction la plus complète qui puisse leur être accordée, sans introduire de nouveaux ou perpétuer d’anciens éléments de désordre ou d’antagonisme, susceptibles, avec le temps, de rompre la paix de l’Europe et, par conséquent, du monde(…) ».
Ces déclinaisons du principe d’autodétermination des peuples mettent évidence que le droit des peuples à l’autodétermination externe s’oppose à l’État, c’est-à-dire à son droit à l’unité tel que stipulé dans l’article 2 § 7 de la Charte des Nations Unies.
Cette opposition donne souvent lieu à des conflits de toutes sortes, le conflit entre la population qui désire se séparer et l’État qui veut à tout prix maintenir sa domination ; tout ceci constitue en fait « le fond du problème de la sécession ».
Car il est manifestement difficile de concilier le droit de l’État à l’unité et à la conservation avec le droit d’une partie de sa population à la sécession, c’est-à-dire à l’exercice de son droit à la libre disposition.
L’AUTODETERMINATION,
PRINCIPE DIFFERENCIE LIE A LA LIBERATION COLONIALE
DROIT DES PEUPLES A L’AUTODETERMINATION ET PEUPLES COLONIAUX :
Dans la pratique, chaque fois que fut soulevé le problème des tentatives séparatistes extra-coloniale, c’est le principe de l’unité de l’État qui a prévalu :
Quand s’est posée la question de la sécession, la pratique internationale y a répondu avec un bel ensemble : les « populations coloniales » ont le droit de disposer d’elles-mêmes et d’accéder à l’indépendance, les autres, définies en creux comme « populations non coloniales »ne l’ont pas.
Apparaît là un conflit prégnant depuis la fin de la période de décolonisation ayant essentiellement concerné les ex colonies africaines ou asiatiques, à savoir celui opposant le « droit des Etats à l’unité et à sa conservation » et le « le droit des peuples à la libre disposition ».
Cela revient à dire que le droit des peuples à l’autodétermination externe est réservé au domaine de la décolonisation et que, sans le consentement de l’État dans lequel il se trouve, un peuple non colonial ne peut accéder à l’autodétermination externe.
Pour attester de ce principe, il convient de préciser qu’aucune disposition de la Charte de l’ONU n’autorise les Nations Unies à intervenir dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un État.
Ce « domaine réservé des États » constitue l’ultime refuge de la souveraineté étatique et se trouve donc en totale opposition avec le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le droit l’autodétermination et à l’indépendance aux peuples coloniaux étant refusé à toute population ne portant pas l’étiquette coloniale.
Limiter le droit à la libre détermination uniquement à la libération coloniale, présumer la volonté des intéressés et déclarer qu’une fois l’indépendance acquise, rien ne peut être mis en cause, concernant le statut qui en résulte, est contraire à la conception du principe même du droit des peuples et à l’idée démocratique où prime la volonté des intéressés.
On introduit ainsi l’idée qu’une fois l’État constitué, celui-ci est le dépositaire et le garant de la libre disposition du peuple qu’il régit, ce qui amène à faire du droit des peuples un droit de l’État et non du peuple.
Dans la pratique internationale, il faut le déplorer, le droit à l’autodétermination externe, bien qu’il soit « un principe juridiquement obligatoire qui jouit de l’universalité et qui constitue une règle générale de droit international », n’est pas toujours appliqué.
De grands espoirs ont ainsi été trahis et le prestige des Nations Unies en a souffert ; les Pactes internationaux qui stipulent que « tous les peuples » ont le droit à l’autodétermination, ont pu entretenir de faux espoirs et ont laissé planer pour un temps une certaine équivoque sur l’étendue que la communauté internationale entend reconnaître au droit de sécession.
La pratique internationale, à travers les drames anciens du Biafra, du Bengale et du Kurdistan, ou actuels de la Catalogne, tend à refuser tout droit à l’indépendance aux peuples non coloniaux.
En fait, il ne faut pas compter, lorsqu’il est question de sécession, sur la bonne volonté des États et même l’autodétermination interne est rigoureusement marchandée dans tous les pays.
L’AUTODÉTERMINATION DES PEUPLES COMME PRINCIPE JURIDIQUE
Cette « répugnance » à l’égard de l’autodétermination interne caractérise nombre d’États, quels qu’ils soient ; ceux-ci ont presque toujours la même attitude à l’égard des mouvements qui revendiquent un droit de libre disposition.
Les États ne consentent guère volontiers à rogner leurs prérogatives et encore moins à perdre un territoire.
Aussi, les populations appartenant à un État déjà constitué peuvent difficilement revendiquer leur droit à la libre disposition ; ce qui est contraire à la notion de droit des peuples telle qu’elle apparaît dans la Charte des Nations Unies ainsi que dans les deux Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme.
Comment concilier le droit des États à l’unité et à la conservation et le droit des peuples à la libre disposition ?
Peut-on surmonter l’antagonisme entre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et l’intégrité territoriale des États ? Peut-être.
En effet, l’examen de la pratique internationale montre que l’antagonisme réel ou virtuel existant entre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et l’intégrité territoriale des États peut être surmonté, dépassé sur la base du rapport de forces entre le mouvement de libération d’un peuple et l’appareil d’État qui défend le maintien de l’intégrité territoriale et de l’unité nationale, c’est-à-dire sur la base de l’effectivité,
– soit au profit du mouvement de libération d’un peuple, situation assez rare eu égard à la pratique internationale ;
– soit au profit de l’appareil d’État, situation la plus courante ; la nouvelle synthèse provisoire qui en résulte permettant de rétablir la complémentarité entre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et l’intégrité territoriale des États sur des bases nouvelles.
La position spécifique de la France par rapport au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes :
La France, admet dans l’article 53 de la constitution du 4 octobre 1958 que :
Le principe des « cession, échange ou adjonction de territoire », mais déclare u travers de l’art. 88 du code pénal :
« Quiconque, hors les cas prévus aux articles 86 et 87, aura entrepris, par quelque moyen que ce soit, de porter atteinte à l’intégrité du territoire national ou de soustraire à l’autorité de la France une partie des territoires sur lesquels cette autorité s’exerce sera puni d’un emprisonnement de un à dix ans et d’une amende de 3 000 F à 80 000F».
DENIS GINGRAS demande à se séparer de celui-ci. Étant donné que le droit de sécession s’oppose à l’Etat, à son unité et à sa conservation, il y a presque toujours conflit entre le peuple revendiquant son droit à disposer de lui-même et l’État qui défend son intégrité territoriale.
Par ailleurs, il faut noter qu’en 2010, la France n’a pas ratifié la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail relative aux peuples indigènes et tribaux de l’Organisation internationale du travail, seul instrument juridique international contraignant relatif aux peuples indigènes et tribaux, qui reconnaît notamment leurs droits collectifs à la terre et leur droit à l’autodétermination10.
Dans un rapport publié le 27 août 2010, les Nations unies appellent le gouvernement français à ratifier cette convention.
LA VALEUR CONSTITUTIONNELLE DU CONCEPT JURIDIQUE DE « PEUPLE FRANÇAIS »
Le cas français illustre également parfaitement la réticence des États-nations à reconnaître le statut de « peuple » à des minorités régionales et l’ambiguïté de la notion.
Concernant la Corse, il faut noter que par la décision no 91-290 DC du 9 mai 1991, le Conseil constitutionnel, après avoir démontré que le concept juridique de « peuple français » avait valeur constitutionnelle, et rappelé que la France, ainsi que le proclame l’article 1 de la Constitution de 195811, est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale qui assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens quelle que soit leur origine, a jugé que la mention faite par le législateur du « peuple corse, composante du peuple français » était contraire à la Constitution, laquelle ne reconnaît que le peuple français, composé de tous les citoyens français sans distinction d’origine, de race ou de religion.
Concernant l’outre-mer, il y a contradiction dans le bloc de constitutionnalité.
Alors que le Préambule de 1946 dans son alinéa 16, parle des « peuples d’outre-mer » et donc parle de plusieurs peuples :
» En vertu de ces principes et de celui de la libre détermination des peuples, la République offre aux territoires d’outre-mer (…) « ) ;
Dans le même temps, l’article 72-3 la Constitution de 1958 distingue le peuple français des peuples d’outre-mer auxquels est reconnu le droit à la libre détermination (disposition ajoutée par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003) en stipulnt que « La République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d’outre-mer ».
La communauté internationale face aux inférences des luttes pour l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes :
Le principe de non-ingérence :
Du point de vue du droit international contemporain, toute lutte menée par un peuple pour la réalisation de l’exercice de son droit à disposer de lui-même fait partie de « la catégorie juridique des conflits internationaux ».
C’est à ce niveau de l’analyse juridique que se situe le problème de la relation entre :
-d’une part, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes,
-d’autre part, les principes de non-recours à la menace ou l’emploi de la force dans les relations internationales et de non-intervention.
En ce sens, l’article 2 § 4 de la Charte des Nations Unies stipule :
« les membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies ».
Les exceptions au principe : l’intervention en cas de menaces ou mesures coercitives à l’encontre d’un peuple revendiquant sont droit à l’autodétermination.
Bien que la Charte interdise aux Nations Unies d’intervenir dans une question faisant partie du domaine réservé des États, cette règle ne s’applique pas lorsqu’il y a menace ou application de mesures coercitives.
Ainsi, lorsqu’un État a recours à la menace ou à la force, l’exception prévue dans l’article 2 § 7 de la Charte concernant le domaine réservé des États ne peut mettre en échec l’application du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes :
L’article 2 § 7 de la Charte des Nations Unies relatif aux affaires intérieures des États est inapplicable ici, puisque le recours à la menace ou à l’emploi de la force contre un peuple revendiquant l’exercice de son droit à disposer de lui-même est susceptible d’affecter le maintien de la paix et de la sécurité internationale.
Ainsi, les relations entre un appareil d’État et le peuple qu’il gouverne sont régies par le droit international, s’agissant de l’exercice par ce peuple de son droit à disposer de lui-même, c’est-à-dire de faire prévaloir une norme de droit international le concernant.
La restriction de l’ouverture du droit des peuples aux seuls « peuples coloniaux » est-elle recevable ?
Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes se limite-il vraiment à la seule libération des peuples coloniaux ?
Rien dans l’expression « tous les peuples » ne laisse entendre que ce droit s’adresse exclusivement à une population déterminé ; le terme « peuple » n’admet aucune exception car il englobe « les populations de tous les pays, de tous les territoires dépendants, non autonomes ou sous tutelle ».
Le droit à la libre disposition concerne « tous les peuples qu’ils soient déjà constitués ou non en État indépendant », la signification du mot « peuple » étant plus large que celle du mot « nation », bien que les deux expressions soient parfois utilisées conjointement. Il ne faut pas cependant confondre le « principe des peuples » et le principe beaucoup plus complexe et restrictif des « nationalités ».
La décolonisation était certes l’un des principaux objectifs des Nations Unies, mais l’analyse, la mesure des désirs des peuples coloniaux ont été supplantées par une évidence idéologique ; en effet, l’article premier du Pacte international relatif aux droits civils et politiques réaffirme cette obligation :
« Les États parties au présent Pacte, y compris ceux qui ont la responsabilité d’administrer des territoires sous tutelle, sont tenus de faciliter la réalisation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et de respecter ce droit, conformément aux dispositions de la Charte des Nations Unies ».
Les « réponses souples » au droit des peuples :
S’agissant donc de l’application systématique du droit des peuples à l’autodétermination externe et hormis le problème des décolonisations, plusieurs situations conflictuelles peuvent ou pourraient se résoudre par le passage d’une structure centralisée à une forme de fédéralisme souple.
René Cassin l’un des auteurs de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, mettait à part le problème des décolonisations qui ne prête pas aux mêmes difficultés juridiques que les autres cas.
Il soutenait également que l’on était fondé à reconnaître la compétence des organes de l’O.N.U. face à l’objection tirée du domaine réservé aux États, rejetant ainsi les velléités des États existants à vouloir trancher par le biais de leur constitution les problèmes reliés à l’autodétermination d’un peuple que les hasards de l’histoire ont placé sous leur domination.
L’AUTODÉTERMINATION DES PEUPLES COMME PRINCIPE POLITIQUE
Pour René Cassin, le sens large que revêt l’expression « tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes » ne pose en fait qu’un seul problème : « c’est celui de l’inconvénient de la multiplication d’États nouveaux de dimensions et de population trop exiguës pour constituer de véritables entités indépendantes, donc jouissant d’une sécurité suffisante face à des entreprises prolongées ou à des crises subites dans le secteur de la terre où ils sont établis ».
En d’autres termes, les peuples accédant à la souveraineté doivent être en mesure de la conserver de façon à ne pas être entraînés dans des conflits qui leur sont étrangers et à ne pas être menacés par des disruptions passagères.
La multiplication éventuelle d’États nouveaux de dimensions et de population trop restreintes peut comporter un problème majeur au niveau de l’équilibre de la représentation dans les organismes internationaux.
La présence d’un trop grand nombre d’unités étatiques minuscules provoque inévitablement un déséquilibre au sein de la communauté internationale ; c’est pourquoi, écrit René Cassin :
« les Nations Unies devront tôt ou tard prendre certaines mesures, par exemple créer une deuxième assemblée générale avec droit de vote pondéré et non plus égalitaire » — afin de ne pas porter préjudice, dans l’intérêt de la société internationale, à « ce qu’il y a de légitime dans le principe du droit des peuples».
Quid du principe après l’ère de la décolonisation ? Y a-t-il un droit de la sécession ?
Nous sommes donc en présence de deux thèses apparemment opposées, mais en réalité complémentaire ; ainsi, le problème de la sécession reste entier et le droit des peuples à s’autodéterminer et à accéder à la souveraineté serait virtuellement éteint depuis la fin de la période des décolonisations et ce au détriment de revendications nationales.
En effet, la sécession échapperait encore complètement au droit car il n’existe pas de réglementation véritable du droit de sécession ; et lorsqu’on ajoute à ce défaut essentiel le peu de cas qui est fait, en réalité, de la volonté populaire reconnue cependant comme souveraine, force est, même, de reconnaître que le droit des peuples de « déterminer leur statut politique », tel que le conçoit maintenant la famille des nations, est, dans une large mesure, une caricature du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
On peut, non sans raison constater qu’il y eu et il a encore aujourd’hui de nombreux cas de peuples « sacrifiés » qui n’ont pas eu l’heur de « prendre le train de la décolonisation »….
Compte tenu de ces imperfections, certains juristes sont enclins à inciter les organes compétents de l’O.N.U. à adopter « une procédure spéciale visant au respect du droit des peuples de manière à empêcher que ce respect glisse du domaine juridique au domaine politique » et se réduise à un simple jeu des forces en présence.
C’est pour cela que l’institution de procédures adéquates, d’une part, et la soumission volontaire de tous les États à ce principe, d’autre part, peuvent avoir pour effet de bannir la violence et de faire fonctionner pour l’application du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, un contentieux pacifique universellement accepté.
Enfin, aujourd’hui, la mise en œuvre de ce principe ne va pas sans difficultés, aucun texte ne définissant clairement la notion de « peuple », de sorte que tant les Etats existants que les partisans des autodéterminations locales peuvent s’opposer des arguments valables. L’indépendance du Kosovo en 2008 et, plus récemment, la déclaration unilatérale d’indépendance de la Catalogne en 2017 ont relancé le débat international sur l’application de ce principe.
Mais peut-on réellement aujourd’hui considérer que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ne concerne que les relations entre les peuples et nations sans Etat et les Etats-nations constitués ?
Peut-on affirmer aujourd’hui que le droit des peuples se voit contester, par des modes de gouvernance interne dévoyés, y compris pour des peuples dotés d’institutions souveraines ?
Coordinateur thématique : Tony Fieschi