En politique en général, en Corse en particulier, les nouvelles s’enchainent, bonnes ou mauvaises. Dernièrement, deux d’entre-elles ont fait l’actualité.
La première, éminemment positive, concerne l’adoption par la commission des finances de l’Assemblée nationale d’un amendement excluant désormais du champ d’application du crédit d’impôts pour la Corse les investissements liés aux « meublés de tourisme ». En effet, cette disposition utilisée dans ce cadre favorisait évidemment la spéculation immobilière et accentuait de fait le légitime sentiment de dépossession de notre terre.
La seconde, plus récente, plus politique et donc plus polémique, correspondait à l’annonce de la création, au sein de cette même Assemblée nationale, d’un nouveau groupe de parlementaires nommé « Libertés et territoires », dans lequel figure les 3 députés nationalistes. La composition du groupe, éclectique diront les uns, de fortune diront les autres, n’a pas manqué de soulever quelques interrogations. Ces dernières se sont cristallisées autour d’une présence symbolique : celle du tristement célèbre Charles De Courson, connu pour sa farouche activité parlementaire contre les dispositions dont dispose la Corse en matière fiscale. Adversaire n°1 des nationalistes il y a peu, il devient donc l’allié de circonstance au sein de ce nouvel espace.
S’il est toujours possible d’aborder ce sujet par le petit bout de la lorgnette, l’analyse globale semble préférable. Car derrière cet événement au final assez dérisoire se cache en réalité toute la complexité du nationalisme depuis qu’il est aux responsabilités et en situation d’exercice du pouvoir.
En effet, depuis décembre 2015 et la victoire aux élections territoriales de la liste « Pè a Corsica », deux tendances et deux directions avancent en parallèle et sont les principales sources d’incompréhension.
La première consiste en la normalisation des rapports entre les nationalistes et le monde politique « traditionnel », avec l’exercice d’un pouvoir raisonnable et sage, loin des risques de rupture séparatiste que certains craignaient. Les exemples tendant à prouver que la force nationaliste, en devenant une force de gouvernement, a entamé un processus de « rationalisation » sont multiples : l’absence de chasse aux sorcières au sein des services lors de l’accession de « Pè a Corsica » aux commandes de la Collectivité territoriale de Corse, l’entrée de 3 députés nationalistes au sein du Parlement et leur intégration d’un groupe parlementaire républicain plus large, un exercice du pouvoir qui essaye de se centrer sur les préoccupations du quotidien, les relations entretenues avec les autres formations politiques qui témoignent de relations courtoises et non tendues.
La seconde tendance se matérialise à travers le maintien des symboles et des positions qui laissent à penser que le nationalisme continue de poursuivre le chemin de la rupture avec l’Etat. En se positionnant comme les héritiers de Paoli, en utilisant parfois le terme de Gouvernement de la Corse, en prêtant serment sur la Ghjustificazione en décembre 2015, en prenant toute une série de positions intrinsèquement liées à la volonté de conquérir une souveraineté politique pleine et entière (volonté d’exister sur le plan international, plus récemment demande de création d’une sélection internationale de Football affiliée à la FIFA), les nationalistes continuent de renvoyer l’image d’un pouvoir qui garde un seul objectif en tête : celui de la rupture.
L’incompréhension générée par ces deux tendances qui paraissent en contradiction génère de fait des frustrations de la part d’anciens militants mais aussi des interrogations chez ceux qui ne le sont pas.
Est-il possible de concilier l’exercice rationnel d’un pouvoir dans un cadre à améliorer et l’affichage d’une ambition claire et totale de renversement populaire ?
A titre personnel, prônant depuis quelques années la réconciliation avec l’Etat (pour des raisons déjà évoquées et qui relèvent avant tout des évidents liens existant désormais avec lui et que personne ne souhaite finalement réellement rompre), cette position d’exercice objectif des responsabilités me convient tout à fait. Elle permet à la Corse de dépasser le mythe, de ne plus éduquer des générations entières au biberon de la rancœur, en leur faisant miroiter le Grand Soir que personne ne prépare et en leur expliquant qu’ils ont une revanche à prendre sur l’Histoire.
Mais pour que la mutation soit comprise et pour que les actes et les mots coïncident enfin, la tenue d’un aggiornamento du nationalisme devient indispensable… jusque dans le terme même de nationalisme qui peut-être n’est plus adapté. Qui peut-dire aujourd’hui que, dans la Corse du 3ème millénaire, l’objectif absolu demeure la reconnaissance de la nation, terme qui connaît déjà une obsolescence programmée au regard des évolutions du monde ?
Le nationalisme a connu, depuis le début des années 2000 une extraordinaire mutation, dans la qualité de son travail et de sa communication, dans sa capacité à incarner une alternative et dans sa mise en place d’un rouleau compresseur jusqu’à atteindre des niveaux de performance électorale inespérés. Aux côtés de ces mutations politiques et stratégiques, le corpus idéologique est resté figé.
La tenue d’un grand aggiornamento du nationalisme pourrait avoir, parmi ses nombreux avantages, celui de remettre à jour une doctrine qui n’a pas été repensée depuis longtemps. En rénovant réellement sa boussole politique, dans ce monde instable, elle pourrait devenir une formation politique qui n’aurait plus à gérer les inquiétudes et ainsi afficher clairement des ambitions qui correspondraient précisément aux actes et aux choix opérés.
Cet aggiornamento pourrait permettre de distinguer ce qui, parmi tous les sujets mis en avant, relève des droits fondamentaux à défendre pour la Corse et ce qui relève de caprice.
Les fondamentaux doivent être l’essence d’une revendication et non un inventaire à la Prévert : il existe un peuple corse et il existe une île dont l’histoire, complexe et dense, ne peut être réduite à sa seule appartenance à un ensemble plus large, quel qu’il soit. Toutes les autres revendications ne sont dès lors que des conséquences de ce constat froid.
Plutôt que d’entretenir les chimères sur fond de roman national (même si celui-ci peut avoir son intérêt) et de se borner à défendre des concepts politiques qui ne sont que des cadres et non des projets de société, n’est-il pas possible de :
– Faire de la défense de notre singularité, en tant qu’île de Méditerranée, une priorité.
– Assumer notre appartenance à des ensembles plus larges, essentiellement dans l’Occident latin, qui sont un fil rouge de notre histoire et qui se matérialise aujourd’hui par nos liens avec la France (liens de force d’abord, mais aussi de construction commune ensuite) et l’Europe.
Être soi et être membre d’un tout. Être dans ce monde tout en étant quelque chose de ce monde. C’est une nouvelle chimère diront les sceptiques et ils auront raison. Mais cette chimère serait basée sur une paix, d’abord intérieure que les corses auraient avec eux-mêmes en arrêtant de ruminer une histoire dans laquelle elle se voit toujours perdante.
Vincent Gambini