La situation politique en Catalogne continue d’avoir des répercussions dans toute l’Europe. En Corse naturellement, qui plus est à l’aube d’une énième échéance électorale où le débat semble se cristalliser autour des notions d’émancipation politique, cette réalité est encore plus palpable.
Mais contrairement à un tic persistant visant à faire de la Catalogne l’exemple de la marche à suivre, le cas barcelonais prouve aussi que le rapport de force en politique ne peut tout résoudre.En d’autres termes, si les processus d’évolution institutionnelle ne sont abordés que par le prisme du rapport politique, nous allons droit dans le mur. En effet, ces processus, s’ils sont d’abord politiques, n’en sont pas moins juridiques. Et quand le politique et le droit sont aux antipodes, il ne peut y avoir qu’un blocage dont Barcelone est aujourd’hui la prisonnière.
En Corse, cet exemple devrait nous pousser à définir plus précisément encore ce que suppose l’autonomie sur le plan du droit et de la pratique. Car, revendiquer l’autonomie sans jamais la définir est une impasse.
Une impasse, car elle permet, dès lors qu’elle n’implique aucun contenu clair, à quiconque de s’en revendiquer sans prendre le moindre risque.
Une impasse, car elle permet à chaque partenaire de l’envisager sans jamais se soumettre à son application.
Une impasse, car elle devient un mirage, une arlésienne, inaccessible, car indéfinissable.
À cette urgence de définir l’autonomie s’ajoute donc, comme précisé ci-dessus, l’urgence de trouver un chemin juridique serein. Si la voie juridique n’est pas sécurisée dans la stratégie évolutionniste, le risque de déboucher sur d’interminables négociations vaines est grand. Avons-nous oublié la reconnaissance du Peuple corse votée à l’Assemblée nationale française et censurée par le Conseil constitutionnel ? En s’engageant sur des chemins qui ne respecteraient pas le droit en vigueur, comment se protéger contre des mécanismes qui ne sauraient être appliqués ?
La situation semble complexe, quasi-insoluble, et pourtant, au-delà des clichés, le Peuple corse et ses futurs représentants ont une arme en leur possession dont personne ne soupçonne la portée : la constitution de la Ve République française et le droit constitutionnel normatif français.
La France est présentée à raison comme un pays jacobin, centralisateur. En revanche, l’idée d’un État unitaire est une chimère que les nostalgies de l’idéal révolutionnaire agitent, mais qui n’est plus une réalité depuis bien longtemps.
Dans cette quête d’autonomie, il existe donc deux territoires français auprès desquels il serait bien pertinent de s’inspirer : la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie.
Pour la Polynésie française, son statut est ancien, mais il fut renforcé par la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant « statut d’autonomie de la Polynésie française ».
Dans les deux premiers articles, les premiers éléments de reconnaissance politique apparaissent. L’Article 1er de cette loi reconnaît la « population » de Polynésie, conformément à l’Article 72-3 de la Constitution. Dans l’Article 2, c’est la Polynésie qui est reconnue comme un « Pays d’outre-mer ». L’organisation est quant à elle ambitieuse avec la création d’un Président de la Polynésie française ainsi que d’un gouvernement et d’une assemblée. Si sur le plan pratique, l’autonomie déclinée est davantage administrative, la simple reconnaissance d’une population propre à un territoire et d’un « pays » constitutif est une avancée immense à laquelle la Corse pourrait aspirer.
Dans une tribune précédente, j’expliquais à quel point, dans l’immense tâche de réconciliation qui nous attend, la Corse était autant en attente de reconnaissance que de liberté. À n’en pas douter, un tel pas en avant serait aussi une manière d’apaiser un conflit vieux de deux siècles.
En ce qui concerne la Nouvelle-Calédonie, son statut est bien plus audacieux puisque le principe d’indépendance y est envisagé, avec la reconnaissance d’un droit à l’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie, qui s’exprimera par la voie référendaire sous peu.
Sur le plan juridique, le statut de la Nouvelle-Calédonie et son droit à l’autodétermination sont garantis par un titre entier consacré dans la Constitution, confirmant les avancées de l’Accord de Nouméa.
Dans différents textes publiés par notre cercle, la notion de « pays constitutif » a été présentée. Elle permet à une entité reconnue d’exister tout en étant rattachée à un État-nation. C’est notamment le cas des Îles Féroé vis-à-vis du Danemark, des Nations constitutives britanniques dans le Royaume-Uni ou bien des îles Aland dans le cadre de la souveraineté finlandaise.
Il y a donc, tant sur le plan du droit français qu’européen, des dispositions concrètes qui permettent de tracer un chemin pour la Corse.
Par conséquent, la Corse aurait tout intérêt à renforcer son projet en le motivant sur le plan du droit et des textes, en demandant à ce que son statut applicable soit calqué sur le modèle du « Pays d’outre-mer » comme cela est le cas en Polynésie française, et sur le modèle particulier de la Nouvelle-Calédonie.
Sur la base du droit français applicable, la Corse serait apte à obtenir, tout en respectant les impératifs de conformité constitutionnelle, sa reconnaissance en tant que « pays d’outre-mer » (ce qui est exact sur le plan sémantique), avec une population propre aux intérêts spécifiques, avec une autonomie administrative et politique en redéfinissant les compétences qui dépendent de l’État et celles qui dépendent de l’Île. La future majorité territoriale se doit d’avoir un projet précis à présenter au gouvernement, celui d’une insertion de la Corse aux articles 72-3, 73 et suivants de la Constitution est bien plus ambitieux que la seule Collectivité unique qui tient davantage de l’organisation des compétences et des moyens que de l’incarnation d’un changement politique. Il a aussi le mérite d’être un projet opérationnel et pas un énième amoncellement de concepts dont on ne peut évaluer la faisabilité à court terme.
En devenant un « pays » constitutif, en reconnaissant l’existence d’une population locale, la France reconstruirait un pont avec un partenaire, plutôt que de continuer à entretenir la défiance. Surtout, elle agirait en parfaite conformité avec son droit.
Une telle solution politique présenterait plusieurs avantages, dont un immense en particulier : celui de permettre à tous les Corses de se reconnaître dans l’organisation de son pays.
Le Peuple corse et notre pays auraient enfin une reconnaissance juridique et un cadre légal pour évoluer, ce qui correspond aux aspirations des dernières décennies, et au besoin de nous réapproprier notre identité méditerranéenne.
La nationalité républicaine des Corses serait préservée, en accord total avec l’aspiration des nombreux Corses qui ne souhaitent pas de rupture entre notre territoire et l’hexagone.
La citoyenneté européenne des Corses serait renforcée, comme l’exigent notre longue histoire et notre aspiration à incarner mieux encore cette Europe historique et politique.
Il est évident que cette solution sera considérée comme trop ambitieuse pour les uns, pas assez pour les autres. Mais la démocratie ne doit pas être la « tyrannie de la majorité », mais la recherche d’un cadre dans lequel chaque membre de ce petit peuple, de ce petit pays puisse être à l’aise.
En dehors de nos seules analyses et idéologies personnelles, si l’on regarde en face ce qu’est la Corse du XXIe siècle et ce qu’elle peut incarner sans rien renier de son héritage, le chemin tracé par plusieurs dispositions constitutionnelles françaises permettant la reconnaissance d’un pays « ultra-marin » et d’une population propre, dans le cadre d’un État avec lequel notre destin est aujourd’hui lié et d’une citoyenneté européenne réaffirmée, présente le double-intérêt d’être dans le domaine du droit parfaitement compatible et dans le domaine de la politique raisonnablement souhaitable.
Cette revendication, fruit du possible et non de la chimère, est une évolution d’abord politique. En effet, c’est en posant les choses de manière politique et juridique que l’évolution peut être positive. Le danger de présenter un « pack » de réformes aux applications différentes à un gouvernement est de considérer que la problématique est uniquement technique. En se dotant d’un statut juridique fort, dans le cadre de la République française et de l’Europe, nous affirmons que la solution est politique et non technocratique. Pour le Peuple corse et son pays, dont la reconnaissance entraînerait le coup de sifflet final d’une quête permanente de stabilité, pour en finir avec l’éternelle indécision.
Vincent Gambini