TRIBUNE LIBRE : L’ISLAM N’EST PAS UN PROBLÈME POUR LA CORSE AU CONTRAIRE DE L’ABSENCE DE SPIRITUALITÉ

Vincent Gambini

Saint Augustin, esprit des plus brillants, disait avec justesse : « Dieu est un être dont on parle sans pouvoir rien en dire, et qui est supérieur à toutes les définitions ».

Il convient donc d’abord, en avant propos, de bien comprendre qu’aucun langage humain ne peut prétendre à la vérité ou l’exactitude dès lors que nous abordons la question divine. Mais si la langue des hommes ne peut produire de termes adéquats aux puissances divines, il n’est pas interdit de trouver les moyens d’en parler, d’échanger.

La difficulté lorsque le thème de la religion est abordé dans un autre espace que celui de la naturelle intimité, c’est qu’il ne devient plus qu’un sujet de foi, il aborde aussi son aspect sociétal, politique et civilisationnel. Car quelles autres dynamiques que celles des religions ont changé le monde ?

L’autre fragilité de tels développements se situe dans l’objectif, dans le rôle et les enseignements escomptés. Si le but de la discussion est de comprendre, nous faisons fausse route car, pour reprendre encore l’enseignement de Saint Augustin, il n’y a rien de divin si nous comprenons, « la foi précède, l’intelligence suit ».

Parler de l’Islam en Corse est utile, intéressant et pertinent. En effet, une partie des citoyens de l’île est musulmane et l’Islam est incontestablement la deuxième religion la plus répandue en Corse. Malheureusement, trop souvent, les réflexions autour de l’Islam en Corse ont quasi-systématiquement débouché sur la même interrogation : A-t-il sa place en Corse ?

Il ne s’agit dès lors plus d’un débat mais d’un procès. Parler de l’Islam en se demandant uniquement si son corpus est compatible avec la Corse revient à orienter le débat autour de notions qui ne peuvent porter des fruits et être fécondes.

C’est pourquoi il me semble aventureux de jouer aux théologiens de pacotille en cherchant, dans le texte ou dans l’histoire, à démontrer que telle foi aurait sa place et telle foi ne l’aurait pas. Il y a évidemment des faits et des évidences comme la constitution d’une identité insulaire autour du développement du christianisme tout comme il y a une certitude et une permanence dans l’histoire de Corse de renaissance permanente de son peuple, au-delà des mutations de nos temps.

Il apparaît donc plus raisonnable de laisser l’étude de la religion entre les mains de ceux qui la connaissent et qui peuvent en parler avec le souci de la recherche et non du ressenti, et les précautions que tous les chercheurs s’imposent. En revanche, il n’est pas interdit de parler de l’Islam en tant que citoyens de ce petit peuple qui exprime sa part de sentiment autour d’un sujet sensible, non pour ce qu’il est mais pour ce que certains pensent voir à travers lui.

C’est pourquoi, à mon sens, la religion musulmane et sa pratique en Corse renvoie à deux dynamiques parfois liées dans notre société. Elles nous interrogent sur la place de la spiritualité dans la société corse et sur l’impact des rumeurs et des contre-vérités.

Sur la place de la vérité d’abord, il faut avoir le courage de nuancer certains aspects et au contraire d’insister sur d’autres.

Nuancer la menace sans cesse croissante de « l’islamisation de la Corse » en admettant que l’impression ou le sentiment supplante trop souvent le déroulé des faits. Ainsi, cette peur légitime dans un contexte international tendu et face à une menace terroriste qui doit être prise très au sérieux, y compris en Corse où nous serions bien naïfs en pensant qu’elle nous est nécessairement étrangère, ne doit pas être l’occasion, saisie par certains, pour remettre en cause le pacte social en Corse.

Ce sont donc deux dangers qui guettent l’île, d’importance différente évidemment mais sur lesquels il faut veiller sans restrictions. Le premier est celui d’une attaque qui mettrait en danger tous les citoyens de l’île, indépendamment de leurs croyances ou origines. Le second serait de laisser certains groupuscules se saisir de ce contexte difficile pour aiguiser les peurs et les utiliser pour diviser notre société.

À ce titre, la manipulation de l’information, notamment via internet est un sujet sur lequel nous devons réfléchir collectivement. Prenons l’exemple de ce simple adepte du Yoga qui, sur la plage de Siscu désormais tristement célèbre, est devenu malgré lui le porte-drapeau de l’État islamique durant quelques jours. Imaginons à quel point notre société est souffrante au point qu’une simple silhouette s’agitant sur une plage en plein exercice suffit à la rumeur pour annoncer la provocation ultime de supposés fondamentalistes venus se recueillir sur un lieu emblématique.

Dans le même temps, des associations se structurent, essayant de faire la synthèse entre le courant politique de défense des intérêts de l’île et le courant radical des idées de droite et cherchant à démontrer, pour l’instant sans succès, que la fameuse résistance (qu’ils appellent sans jamais l’incarner) est la seule voie possible. Quelle résistance ? Contre qui ? Evidemment, ils ne le disent jamais.

Si ces diatribes peuvent prêter à sourire dans un monde qui fait appel à la raison et à la pensée, elles deviennent dangereuses dans une société corse où la dématérialisation des échanges par le prisme des nouvelles technologies devient préoccupante. En effet, l’impact d’internet et des réseaux sociaux a, en Corse, une importance capitale. Si cette dernière a été un atout pour les forces nationalistes dans leur accession au pouvoir, avec une utilisation de ces nouveaux outils clairement plus fine du côté du mouvement national, elle a aussi été le fruit d’une organisation plus poussée de voix qui autrefois ne pouvaient exprimer leurs propres obsessions qu’à l’ombre de leurs influences réduites.

Aujourd’hui, des tendances émergent et se nourrissent par des individus parfois lucides, parfois aigris et cherchant à faire payer au monde entier la médiocrité de leurs propres expériences. L’envie de marginaliser ce nouveau courant est grande mais n’est-ce pas de cette façon aussi que l’hexagone a fait grossir il y a plusieurs décennies des structures aux similitudes apparentes ?

À l’heure où cette réalité devient inquiétante, et où la simple suspicion d’un pseudonyme cybernétique suffit à effrayer, le temps est peut-être venu de nous demander comment une société insulaire caractérisée à de nombreuses occasions par sa capacité d’abstraction peut céder à la radicalisation des peurs face à la radicalisation des menaces ?

Cette interrogation nous renvoie directement au deuxième aspect que pose la réflexion autour de l’Islam en Corse : celle de la place de la spiritualité en Corse.

Car, au-delà de la menace terroriste, réelle et préoccupante, il semble que, pour une partie des citoyens de l’Île, c’est bien la seule présence d’un culte musulman qui pose problème et non la menace d’une radicalisation de quelques-uns de nos concitoyens. Ce serait donc la simple perspective d’une communauté musulmane fidèle à son culte qui dérangerait une société où la consommation est devenue le nouveau Dieu.

Et comment ne pas y voir une corrélation majeure avec une communauté chrétienne qui, quant à elle, a relégué sa foi au rang de simple curiosité folklorique dont les manifestations se limitent à quelques processions et rendez-vous annuels où l’on se rend plus parce qu’il s’agit d’un rendez-vous semblable à un concert ou à une rencontre de football ?

L’Islam n’est donc pas un problème en Corse. Ce qui l’est en revanche, c’est bien l’absence de spiritualité.

Pendant 50 ans, la Corse a sombré dans une société de consommation qui a produit des anachronismes et des incohérences. Alors même que, démographiquement et infrastructurellement, nous peinons à rattraper notre retard face à d’autres territoires de la République Française, nous atteignons des records en terme d’aménagement de grandes surfaces et d’installation de franchises.

Les choix opérés en Corse, par les Corses eux-mêmes, ont produit aussi la mort de la spiritualité, la fin de la conscience d’une existence qui ne peut se limiter aux seuls aspects matériels. Peut-être que ce qui dérange aussi face à une communauté religieuse qui se retrouve, c’est qu’elle nous renvoie l’image de notre propre incapacité à avoir maintenu cette flamme.

Bien entendu, rien n’est blanc ou noir et tout est histoire de nuances mais plutôt que de faire croire aux gens qu’il existe des communautés qui s’affrontent, ce qui suppose que l’une doit forcément prendre le dessus sur l’autre, prenons le pari de l’optimisme.

Evidemment, parler d’amour, de tolérance, de paix va entrainer les rictus des nouveaux soldats du Web. Ces mêmes individus qui, après les attentats horribles qui frappent l’Europe, arrivent à concilier l’absurde prouesse de regretter la déliquescence du christianisme tout en se moquant de ceux qui font le choix de la prière pour exprimer leurs soutiens aux victimes.

Ces mêmes individus qui n’hésiteront pas à qualifier de « bisounours » ou de « bobos » tous ceux qui ne souhaitent pas céder à la radicalité des propos de comptoir, propos qui ne dépassent jamais d’ailleurs le stade de l’intention.

Et pourtant, c’est bien de la paix et de l’amour entre nous dont nous parlons et rien d’autre. Et à ce titre, n’est-il pas préférable de voir un seul et unique peuple Corse, composé de gens qui ont la foi et d’autres qui ne l’ont pas, composé de gens qui l’expriment dans une Église et d’autres dans une Mosquée ou une Synagogue. Est-il nécessaire de se ressembler pour ne faire qu’un collectivement ? N’est-il pas étrange de demander en permanence le droit à la singularité à Paris tout en rêvant d’une société Corse où les individus seraient tous habités des mêmes comportements ? Notre défi n’est pas de tendre à l’uniformité pas plus qu’il ne doit nous pousser à des dérives détaillant ceux qui sont légitimes et ceux qui ne le sont pas. Notre défi collectif, c’est de faire en sorte que, musulmans ou non, chrétiens ou non, croyants ou non, nous soyons tous attachés à cette Terre de Corse et que nous soyons tous, par delà notre manière d’accéder à Dieu, des enfants du peuple Corse.

Parce que chrétien et citoyen Corse, enfant de cette Terre d’Europe autant que de cette mer de Méditerranée, amoureux de mon peuple et de mon pays, je ne me sens pas la légitimité pour définir les limites et les frontières périmétriques, qui incluent et excluent. Ceux qui déplorent la « déchristianisation » de la Corse se trompent de cibles, ce ne sont pas ceux qui fréquentent d’autres temples qui en sont à l’origine mais bien ceux qui ne fréquentent plus les Églises et les Presbytères, désespérément vides à mesure que se remplissent les zones commerciales des supermarchés.

De récentes découvertes archéologiques ont prouvé qu’il existait en Corse, des lieux de culte dédiés aux divinités anciennes, à une époque où Jésus et les prophètes de toutes les religions n’avaient pas encore mis le pied sur cette Terre. Puisse donc le temps long nous aider à relativiser et nous inviter à ne pas séparer les gens au seul motif de leur pratique cultuelle.

À l’heure où la Corse cherche un projet de société nouveau, je suis de ceux qui pensent qu’un projet d’amour a été tracé il y a plus de 2000 ans et que nous serions inspirés de le reprendre en compte plutôt que de vouloir inventer de nouvelles vaines formules. Mais j’ai pleinement conscience que nous ne partageons pas tous cette vision.

En revanche, je sais aussi que Jésus a clairement dit « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix » et que dans toutes les langues et dans chaque texte sacré, ce message de paix existe.

Construisons-la dès lors, avec nos frères pour permettre à ce petit peuple de Corse de rester cette communauté méditerranéenne soudée.

 

Vincent Gambini

 

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