Il aura suffi que le nouveau président de la République, Emmanuel Macron, désigne une secrétaire d’Etat à l’égalité « homme-femme » d’origine corse pour qu’une vague, légère mais perceptible, d’enthousiasme s’empare soudain des foules sentimentales insulaires.
En acceptant la lourde charge de tendre vers une société plus équitable et moins crispée, Marlène Schiappa ne se doutait pas qu’elle pouvait réveiller une vieille tendance insulaire, un désir ancien mais tenace, une volonté ardue bien qu’inavouée : le besoin de reconnaissance.
Ce dernier est en effet une des caractéristiques insulaires au point qu’il n’est pas interdit de se demander si la Corse, dans sa majorité, n’est pas davantage en quête de reconnaissance que de souveraineté. Le terme même de « reconnaissance » est d’ailleurs lui-même, depuis longtemps, au centre de l’ensemble des revendications politiques : la reconnaissance du peuple Corse, la reconnaissance du fait colonial, la reconnaissance du « problème corse », la reconnaissance d’un statut de « prisonnier politique », autant de souhaits ou d’urgences contrariés et encore inassouvis.
Par l’observation aussi de toute une série de nos réactions, il est intéressant de constater que cette tendance peut, dans une certaine mesure, se confirmer.
Prenons l’exemple des journalistes hexagonaux dont les commentaires souvent inutiles à propos de la Corse entrainent systématiquement une foule de réactions en chaine, des plus argumentées aux plus vulgaires.
Quand le cliché s’exprime de manière décomplexée par la voie d’un Christophe Barbier ou d’un Pierre Menes, les corses réagissent en masse, en bande pour ne pas dire en meute, déferlant sur les réseaux sociaux à l’instar de la Grande armée à Wagram et cherchant à défendre l’intérêt d’un honneur prétendument souillé. Cette organisation militaire (seules l’extrême droit et les communautés algériennes et bretonnes peuvent se vanter d’une telle capacité de réaction) de défense de nos intérêts communs montre trois choses évidentes. D’abord, elle met en évidence le lien qui unit les corses entre eux et le sentiment d’appartenance. Aussi, elle démontre malheureusement souvent notre incapacité à avoir du recul et à savoir rire de notre propre sort. Enfin, elle affirme que nous sommes quasi-obsédés par l’image que l’on montre aux autres, et particulièrement sur le continent, ce qui n’a pas manqué d’être souligné par un de nos esprits les plus brillants en la personne de Jérôme Ferrari.
En revanche, si un même journaliste, par sincérité ou opportunisme, décide de rendre un hommage appuyé à un de nos éléments constitutifs ou à un de nos comportements, si une chaine du service public décide de rendre hommage à la Corse dans un reportage, sur le plan historique, géographique ou culturel, les réactions positives sont tout aussi nombreuses et font, le temps d’une soirée, la fierté de ceux qui en parlent.
La notion de reconnaissance s’est donc confondue avec celle de « liberté », au point de n’en former qu’une alors que pourtant, dans leurs motivations, elles sont bien distinctes. La demande de liberté provient d’une analyse politique qui tend à conclure que la dévolution est un droit pour les corses, indépendamment des rapports féconds ou stériles que nous pouvons entretenir avec un pouvoir central. La recherche de reconnaissance peut être source de colère mais cette dernière est une réaction à un manque d’affection exprimée par une partie d’un tout, un besoin d’amour en somme.
Les Corses sont-ils donc demandeurs de liberté, de souveraineté ou de reconnaissance et de respect ? Certainement un peu des deux. Mais interpréter chaque colère comme la preuve indéfectible de destins irréconciliables revient à méconnaitre notre désir viscéral d’être regardé sans jugement et préjugé et de légitimation de nos qualités et de nos bienfaits.
Peut-être qu’un jour, un chef politique comprendra que le rejet de l’Etat par l’île est le fait de l’histoire mais aussi d’un profond sentiment d’injustice que les faits divers et variés rend légitime en bien des occasions. Peut-être, qu’à la fermeté systématique et autiste, il saura opposer la tolérance et la gratitude pour ce que la Corse a donné et pour les injustices subies parce qu’elle-même. Peut-être sera-t-il précurseur en comprenant que la Corse aspire davantage à la réconciliation qu’à la rupture, cette dernière n’étant trop souvent qu’une illusion créatrice d’une réalité parallèle dans laquelle, à défaut d’idéaux à porter, nous aurions une guerre sainte à remporter. Peut-être aura-t-il compris qu’un méditerranéen sait ouvrir son cœur, pour peu qu’on ne cherche pas à l’empêcher de battre.
Vincent Gambini
Une réflexion sur “TRIBUNE LIBRE : S’IL SUFFISAIT QU’ON S’AIME…”
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