TRIBUNE LIBRE : FESTA DI A NAZIONI È UNIVERSITÀ

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Lors de la proclamation d’indépendance de 1735, la Corse s’est dotée des piliers dont la symbolique scelle une nation : un hymne, une bannière, et une fête nationale, le tout sur fond de symbolique divine, héritage des mœurs et traditions chrétiennes de l’île. C’est donc naturellement que l’île est placée sous la protection de la Vierge Marie, avec son hymne le Diu Vi Salvi Regina, sa Bandera sur fond blanc représentant l’Immaculée, et sa Festa di a Nazioni le 8 Décembre, jour de sa Conception.

Trois symboles qui, au-delà d’identifier une Nation, fédèrent un peuple tout comme un patronyme et deux parents caractérisent l’identité, la lignée, la maison d’un individu.

S’il est question d’une Université insulaire avant même l’indépendance, dès les années 1730, ce n’est que sous Paoli, en janvier 1764, que l’Università Corsa sera inaugurée. Dans une volonté d’émancipation intellectuelle du peuple par l’éducation, ici, sur l’île.

Fermée un peu plus de 2 siècles sous le joug français, ce n’est qu’au terme d’un long combat que l’Università rouvrira ses portes en 1981, et encore au terme d’un autre combat, en 1994, suite à une occupation de la CTC, que l’Università inscrira à son calendrier A Festa di a Nazioni comme jour férié. Cette année là, l’Università devenait la première institution insulaire à offrir un vrai cadre expressif au 8 Décembre, elle venait de traduire le caractère officiel d’une part de notre identité. Vingt et une années durant, les deux-tiers de la vie de l’Università depuis sa réouverture, le jour du 8 Décembre a été férié sur le campus de la cité Paoline. La présidence de l’Università était même en le Palazzu Naziunale, ancien siège de la Nation qui l’a fondée. Quelle symbolique que de vivre des séances plénières régissant l’Università, dans la Salle des Actes du Palazzu Naziunale.
Vingt et une années durant, l’outil d’émancipation intellectuelle du peuple Corse s’est montré l’exemple, le fer de lance, de la symbolique qui nous caractérise. Vingt et une années durant, jusqu’à un beau jour de Mai 2016. C’est lors d’un conseil d’administration de l’Università qu’il a été décidé, glissé entre deux motions et à une voix près, de ne plus chômer A Festa di A Nazioni dès le 8 décembre 2016, année durant laquelle l’ensemble des institutions de l’île obtiennent ce jour férié. Le fer de lance venait de casser, alors même que toute l’île avait rejoint les rangs, l’Università perdait une partie de son âme, enfoncée par le clou de la délocalisation de la présidence hors le Palazzu Naziunale.

Volonté d’entrave politique alors que l’île venait de passer sous mandature nationaliste quelques mois plus tôt ? Ou simple bourde d’une présidence -de qui émanait la motion- un peu trop schizofrançaise dans sa tête pour pouvoir conduire l’Università Pasquale Paoli dans sa mission émancipatrice originelle ? On ne peut même pas en vouloir aux membres du CA ayant voté pour cette motion, sincèrement séduits et convaincus par l’annonce fallacieuse du fait qu’en lieu et place de cours il y aurait des ateliers culturels et conférences sur A Festa di A Nazioni, que l’Università le 8 Décembre ne serait pas un lieu de labeur mais un lieu de fête, alors pourquoi pas ? Plutôt que d’inviter les badauds à rester chez eux et jouer à la playstation en fermant les portes, au moins les engager à prendre conscience de ce qu’est le 8 Décembre, ça se tient, c’est même défendable. Ce 8 Décembre 2016 devait donc être un test.

Fête Nationale ou Journée du souvenir ?

Dans les faits ça s’est passé tout autrement. Les cours ont été programmés le 8 décembre, en même temps que les ateliers culturels auxquels ont participé … des enfants venant de différentes écoles primaires et secondaires, les étudiants eux, devaient aller sur les bancs, et le personnel devait travailler, pour eux les ateliers et le 8 décembre c’était pendant les creux. La volonté cachée initiale était donc dès le départ de folkloriser une journée officielle, ne plus la chômer mais la transformer en journée du souvenir. Vous allez bosser et là, au détour d’un couloir entre deux cours, vous pouvez vous prendre en photo sur toile de fond avec u Babbu derrière. Si cette toile était vraiment magnifique au demeurant, toute la démarche une fois mise en pratique sonnait beaucoup trop comme la folklorisation d’une part de notre identité, on ne nous engageait plus à la vivre mais à s’en souvenir entre deux moments de travail. Dès lors qu’on doit s’en souvenir, c’est qu’elle n’est déjà plus.

Le 8 Décembre 2016 à l’Università

Constatant l’échec d’emblée de cette journée test, l’ensemble des cours et partiels ayant été programmés ce jour comme pour tout autre jour normal, un syndicat estudiantin opposé depuis le début à cette démarche a cadenassé l’ensemble des Campus dans la nuit du 7 au 8 avec l’intention qu’aucun cours n’ait lieu, seulement les conférences et ateliers culturels. De piquet dès le matin devant les portes des campus ce syndicat s’est heurté aux foudres de la présidence exigeant l’ouverture complète et immédiate des campus sans conditions. Oser entraver une décision démocratique qui n’avait même pas été respectée à la base, c’était là les valeurs républicaines françaises qui venaient d’être foulées au pied, c’était intolérable. Le président outré, haussant le ton devant les jeunes, s’en est même physiquement pris à une barricade pour la défaire. Au terme d’une heure et demi de débats houleux opposant présidence et syndicat, ce dernier obtint la banalisation officielle des cours pour la journée (par motion envoyée par mail à tout le corps universitaire par le vice-président). Tout juste 30 minutes après l’ouverture des portes, le syndicat délogeait une promotion d’étudiants d’une salle de cours et dont un partiel venait de débuter. Les administratifs et le personnel eux, se sont remis à travailler.

Pendant ce temps-là, les personnels des différents offices administratifs de l’île profitaient de leur journée du 8 Décembre, une première sur l’île.

A Festa di a Nazioni en question

L’intention de fond semblait être bonne (ou en tous cas l’intention défendue, car on a vu ce que l’intention initiale émanant de la présidence valait) voire excellente : transformer l’Università en lieu fédérateur de la Festa di a Nazioni autour d’ateliers et évènements visant à la célébrer. Mais pour qu’elle fusse réussie à ce compte encore aurait-il fallu banaliser d’emblée totalement la journée, laisser la porte ouverte à une journée de labeur en ce jour était incompatible avec la démarche.

Au final, le fait de rendre ce jour férié de manière obligatoire permet surtout une chose : imposer le respect de notre jour aux autres, ceux qui, étrangers à notre identité, entendent le travailler. Le rendre officiellement chômé c’est donc surtout dire à celui qui ne reconnait pas le peuple Corse « c’est MON jour, et j’en dispose, aujourd’hui je célèbre ma Nation, et puisque tu es chez moi, tu ne travailleras pas non plus ». D’aucun ne serait obligé de le fêter, français ou même corse, mais par respect, par entretien, par vie d’un des éléments fondateurs de son identité, chaque composante de l’institution devrait chômer.

2016 aurait pu être la première année où l’ensemble des institutions de l’île le chôme, et si l’ensemble y est venu par politique naturelle, à l’Università pour la première fois en plus de vingt ans cela a dû se manifester par la révolte estudiantine -et encore, seuls les étudiants ont pu y trouver leur jour.

Une journée d’ateliers comme celle qui avait été prévue cette année, au milieu des cours, serait une belle initiative le 7 décembre : « voilà pourquoi demain sera férié à l’Università ».

Nicolas Alfonsi

 

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