Avant-propos
L’exercice auquel nous tentons ici de nous essayer a pour but – et ce, dans sa plus grande faiblesse – d’être une réaction immédiate, voire une analyse de l’instant court, sans recul, ce qui en histoire est un comble. Afin de comprendre, ou plutôt d’énumérer ce qui nous semble être les mécanismes qui se sont mis en place pour l’accession au pouvoir insulaire des nationalistes, et pour saisir froidement les effets spontanés que la victoire nationaliste a provoquée en Corse, et sans émotion pour nous, sur le continent français, notre propos, se voudra le moins orienté possible.
Nous ne nous hasarderons pas ici à faire de comparaisons historiques qui soient autre que symboliques. Impossible, en effet, et chacun le comprendra, d’établir de liens véritables entre des événements dix-huitièmistes et d’autres vingt-et-unièmistes. Et pourtant, la donne politique a-t-elle vraiment changé ? Percevons-nous différemment les antagonismes qui existaient déjà sous l’époque révolutionnaire entre Corses et souverains extérieurs ? Nous pourrions y voir une forme de scotomisation intellectuelle, livrée à grands coups de victimisation vis-à-vis d’un oppresseur.
Avec les avancées des mouvements nationalistes (ou régionalistes) auxquels nous assistons depuis plusieurs mois sur le continent européen, avec ces mêmes régions qui cherchent à s’émanciper d’un pouvoir centralisateur, voire régalien, n’assistons-nous pas à la naissance (véritable) de cette Europe de la diversité ? Nous avons perçu l’évolution européenne comme une simple réaction de construction de paix suite au second conflit mondial et à une coopération économique. Nous trouvant en périphérie de cette Union et sous le coup d’un État jacobin, pouvions-nous avoir une autre idée de l’Europe que celle d’un niveau de hiérarchie supérieur ?
Nous essaierons également de dresser les premiers enseignements liés à la revendication identitaire que provoquent ces élections.
Cette humble contribution a également la volonté d’ouvrir des chemins de réflexion qui, certes, ne sont pas nouveaux, mais à renouveler. Elle appelle humblement donc à sereinement réfléchir sur le débat identitaire.
I. Constat historique, une symbolique manifestée et délibérément choisie
Durant les mois de décembre 2015 et de janvier suivant, beaucoup se sont risqués à effectuer de nombreuses comparaisons historiques entre la victoire des nationalistes insulaires aux élections territoriales et ce fameux 14 juillet 1755 où Pasquale Paoli fut proclamé Capu Generale Puliticu è Ecunomicu, Generale di a Nazione, Generale di u Regnu di Corsica. D’autres plus pragmatiques ont penché pour un rapprochement de l’événement avec la proclamation, le 13 septembre 1790, de Pasquale Paoli comme président du Conseil général de Corse (mis en place suite à la Révolution française, pour laquelle Paoli était favorable, sans réclamer la tête du roi !).
Les termes et la langue choisis par les édiles vainqueurs ont alimenté largement ce cadre. Après tout, depuis les événements d’Aléria, quarante ans auparavant, la lutte écolo-nationaliste menée plus globalement depuis le début des années 60 – au moins – et le Riacquistu culturel ont donné bien des certitudes et un ancrage finalement opérationnel, voire une légitimité à ces comparaisons, tout autant qu’à la victoire intrinsèque.
Au-delà de l’effet victoire, peut-on plausiblement effectuer des comparaisons ? Tout bon historien répondrait que seule la symbolique peut être comparée, les deux cent-soixante ans qui séparent ces deux événements ne peuvent en revanche être réduits à une chronologie passive. Cependant, et du fait que l’Histoire s’approche par des angles de vue différents, nous pouvons admettre que, pour les vainqueurs (Pè a Corsica), il y a bien plus qu’une élection : une quasi-revanche, un ré-enracinement dans une Histoire dont ils sont désormais maîtres, une ré-évolution recherchée. Il aura fallu vingt-six années de révolution en Corse pour voir arriver au pouvoir Pasquale Paoli. Vingt-six ans d’une lutte violente. C’est dans cette période que, plus qu’à aucun autre moment de son histoire, la Corse va se révéler pionnière, avant-gardiste et, somme toute, révélatrice du champ des possibles. La lourde charge qui incombe à Paoli, le poids des luttes et des sacrifices lui confèrent la dimension ultime du Patriote dans l’essence originelle et suprême du terme.
Il y a également dans cette vision un symbole identitaire qui en émane. Par-là nous entendons, non pas effectuer une classification de qui est Corse de qui ne l’est pas, mais intégrer à cette communauté de destin les âmes volontaires. Comprenez que ce vote peut à lui seul être une arme de revendication délibérée et active, au-delà des simples effets démocratiques. Là encore, nous intégrons la dimension qui fait qu’un élu devient le « dirigeant » de toute une population, pas uniquement d’une partie choisie. Cette communauté ainsi nommée entend répondre à la fluctuation d’une définition de l’identité, dégradée par le péril de l’Histoire, qui, dans ces tréfonds, est habitée par les images de la dureté des actes d’Européens des années 1930 et 1940.
Nous ne pouvons croire, nous qui raisonnons en Corse que nous sommes par nos actes, que la volonté révolutionnaire du siècle des Lumières soit un paradoxe dans l’esprit de reconquête en 2015 des nouveaux dirigeants de la Collectivité Territoriale de Corse. Aux confins de cette idée réside l’envergure de l’action menée, et donc de la participation offerte à l’émancipation du Peuple corse. C’est là que se situe précisément l’identité de cette Île et de ses habitants. Non que nous n’apprécions pas la démocratie du siècle passée (à l’évidence, non), mais elle nous est apparue contrariée. Il ne nous appartient pas ici de faire quelque procès que ce soit aux ex-dirigeants de l’Île (l’Histoire s’en chargera) mais de féliciter une victoire bâtie sur la force des idées. C’est la meilleure des comparaisons possibles avec les périodes paoline et révolutionnaire corses. Á notre sens, les révolutions de Corse n’ont rien de révolution de la faim mais de révolution des idées. Et le changement s’opérant, ou plutôt se concrétisant – se cristallisant – avec la victoire de Pè a Corsica, le bouleversement est le même que celui que les Corses connurent avec Paoli. Pour confirmer nos dires, nous irons même jusqu’à appuyer le concept de révolution des idées sur le symbole que représente le Ghjuramentu fait sur l’édition originale de la Giustificazione delle Revoluzione di Corsica de Don Gregorio Salvini. Cette œuvre théorise et défend les idées de changement d’une certaine élite de la Corse qui entend se libérer du Prince extérieur : le Prince contre-nature. En faisant un tel geste, les protagonistes ont eu un courage sans précédent pour cette assemblée, celui de se mettre en ordre de bataille sur les chemins de la désobéissance civile, avec pour maîtres-mots la diplomatie et la réflexion.
II. L’identité de partage contre le repli identitaire
L’esprit même de cette Communauté de destin (défendue par les vainqueurs) est à elle seule une réponse formidable à tout repli identitaire car elle appelle à la conversion par et pour l’amour d’une Terre. La vision la plus fréquente de l’identité véhicule l’idée qu’on aurait une identité en nous qui nous marquerait très profondément, qu’on retrouve dans les racines, les origines et qui définit ce qu’est la personne, et qui, dirons-nous même, nous donne une place. On a parfois tendance, sous le coup d’une discrimination administrative, à être identifié pour ne pas être confondu ! Or, ce n’est pas là que se situe l’identité corse, mais bien dans l’identité du partage, le partage d’une destinée commune. La Corse peut être vue comme un navire, sans cesse accosté, et qui, par son mode de vie (Cf. l’écrit de Vincent Gambini, De la complexité de définir son identité : la nécessaire réconciliation de la Corse avec son environnement) ne parvient plus à définir son identité. Si l’on observe la société, difficile est l’exercice qui vise à définir qui mieux qu’un autre peut se dire être dans la lignée d’une tradition. On assimile l’identité à la tradition aux gestes inlassablement répétés. Mais le temps déforme ces gestes, ou plutôt les transforme, les fait muter. C’est à ce point précis que survient la rupture et, somme toute, le danger. Dans ce transfert, dans cette passation, il y a la volonté de ne pas décevoir, la volonté de s’inscrire dans une lignée, celle de son clan. Le clan existe et est difficilement transgressable. Mais attention, le clan identitaire (famille, « u paese » …) ne doit pas être confondu avec le clan politique car, si l’on tient à soutenir l’idée d’une communauté de destin, il ne peut y avoir ségrégation des uns au profit des autres (Cf. l’écrit de Paul Turchi-Duriani, Considération sur l’être corse).
On ne parle d’identité que depuis moins d’un demi-siècle : les questions identitaires n’arrivent dans le débat public qu’au cours des années 60 (sans doute la décolonisation et la globalisation ont joué un rôle majeur dans ce processus). Auparavant, les gens avaient une identité en fonction de la place sociale qu’ils occupaient. Aujourd’hui, nous sommes entrés dans un nouveau type de société qui est fondée sur des individus qui sont de plus en plus libres, maîtres de leur existence. Désormais, la vie personnelle et privée est également vécue comme une contradiction d’avec sa « vie politique » : on vote nationaliste, mais on en oublie son histoire ; on milite avec violence, mais on oublie la force de la parole donnée. L’individu d’aujourd’hui est contraint de produire le sens de son existence. C’est ce que certains appellent le travail identitaire. C’est un espace de liberté extraordinaire mais qui peut être aussi épuisant et déstabilisant pour certaines personnes, en particulier ceux qui tendent à être des pédagogues.
On est passé de sociétés religieuses à des sociétés laïques et les religions sont devenues des croyances personnelles. La religion peut devenir un instrument, pour un certain nombre, pour calmer l’angoisse de la définition identitaire. Avoir une croyance religieuse peut apporter des réponses à des interrogations identitaires. La religion est pour beaucoup la dernière branche de l’identité à laquelle on peut s’attacher, d’où le nombre de confréries en Corse, en partie du moins.
III. Les mécanismes de la victoire…
- Le temps de la rupture. Alors que la Corse est étouffée économiquement, les familles régnantes sur l’Île, (pour certaines) depuis près d’un siècle et demi, ne donnent plus le sentiment de détenir les clés d’un bon en avant espéré. C’est ce que l’on appelle tout simplement la fin d’une époque. La volonté de voir de nouvelles politiques se mettre en place, face au monde globalisé qui effraie autant qu’il attire, a participé à la rupture.
- Gilles Simeoni. Le bon candidat se trouve bien en la personne de Gilles Simeoni. En effet, depuis mars 2014 avec la victoire aux municipales, puis sur trois des quatre cantons à Bastia pour les départementales de mars 2015, rien ne semble l’arrêter. Homme intègre, intelligent, fin politicien et surtout sans aucune ombre judiciaire au tableau, il offre une nouvelle vision de l’homme politique corse à la frontière entre technocratie et homme du peuple. On peut parler de talent politique pour les plus partisans, d’étoile bienveillante pour les plus superstitieux, mais il est clair que l’Histoire a décidé qu’il serait l’incarnation du renouveau national.
- Jean-Guy Talamoni ou la métamorphose. Homme politique sévère et tranché, voire clivant, il a longtemps divisé les nationalistes eux-mêmes. « Devenu » intellectuel théoricien et diplomate, arpentant les chemins de la maturité politique, il a su, sans rien renier de sa vision pour la Corse, adoucir son discours. Son cheminement fait l’unanimité.
- Les « affaires » qui entourent le clan Giacobbi. La présomption d’innocence est acquise à chacun, et ce n’est donc pas ce qui nous intéresse ici. Cependant, certaines affaires ont porté un grave coup à la confiance des Corses et de son électorat pour ce scrutin.
- Le dépôt des armes du FLNC. L’abandon des armes suit un processus européen (qualifié de moderne) de pacification des revendicateurs régionaux, à l’exemple de l’Irlande (abandon définitif de la lutte armée de l’IRA le 29 juillet 2005), du Pays Basque (abandon définitif de la lutte armée de l’ETA le 20 octobre 2011, Cf. « Déclaration de Bruxelles » ou « Accords de Guernica »). Les Corses découvrent que la clandestinité ne sera plus violente en ce qui concerne la lutte politique. Toutefois, le processus européen que nous citons n’est à nos yeux qu’un déroulement historique. Nous n’affirmons à aucun moment en connaître les tenants.
- Le nationalisme est désormais fiable. L’exemple de Bastia, d’une ville qui s’émancipe de son carcan, donne à la Corse entière une vitrine du nationalisme sans précédent.
- La cohérence de l’alliance. Á notre sens, elle est aussi un des facteurs déterminants de la victoire, d’abord parce qu’elle a libéré une force militante sans précèdent. Les différents partis nationalistes, par leurs incohérences et leur fonctionnement contestable (avec une présence permanente dans les périodes de campagne et une absence notable dans les intervalles qui nous conduisent à penser qu’ils ne sont plus que des interfaces de négociations politiques et électorales…) ont perdu en cours de route un nombre non négligeable d’hommes et de femmes convaincus. Cette alliance a fédéré l’ensemble des forces éparpillées autour du même objectif le temps d’une élection. En outre, après plusieurs mois d’alliances variables et de lignes difficiles à cerner, cette alliance, dont le maître-mot fut la clarté, a rassuré une partie du peuple. Á n’en pas douter, certains citoyens ont davantage salué la présence d’une liste aux contours clairs, quand bien même ils n’ont pas tout partagé du message, que les contorsions d’autres forces pour chercher un souffle et un espace d’action.
- La traîtrise du clan. Face aux démêlés judiciaires, vos amis vous lâchent, à gauche comme à droite. Les pistes ont été brouillées pour ce dernier scrutin : peu ou pas de lisibilité dans le scrutin. Reste à savoir ce qu’il en est réellement de l’électorat de Paul Giacobbi.
- Peu de renouveau à droite. Toujours les mêmes candidats. Et, somme toute, « vieux » candidats. Où sont les jeunes militants que prétendent avoir les Républicains ?
- Les divisions de la droite insulaire. Natali et Sindali ont été les premiers à montrer la fracture à droite. Mme Natali l’avait prévenu, sa défaite au sénatoriale, qu’elle a vécue comme un affront, n’est toujours pas digérée.
- L’équipe de conseillers et de campagne de Gilles Simeoni. Là où par le passé les « intellectuels » étaient peu nombreux chez les nationalistes, ils sont aujourd’hui légions. Mais doit-on penser qu’ils sont des conseillers de campagne ou de vrais conseillers techniques ? La question demeure.
- Le processus de l’Europe des régions : Catalogne, Écosse. Ces deux régions à elles seules stabilisent la volonté des identités régionales d’être reconnues.
- La mobilisation estudiantine. En particulier Ghjuventu indipendentista, sans pour autant établir de hiérarchisation des syndicats.
- Une volonté d’autodétermination ? L’idée de communauté de destin aurait-elle fait son chemin ?
- Les nouvelles technologies de l’information. La démocratisation du débat politique et l’accès à l’information sans cesse plus simple par les nouvelles technologies sont une donne nouvelle. En effet, le mouvement national a toujours eu la particularité d’avoir un rapport militant/électeur bien plus important que les forces du clan qui assoient davantage leurs forces sur les pouvoirs d’élus locaux, puissants dans le relationnel direct. Cependant, l’émergence d’Internet est un avantage pour les nationalistes dans la mesure où cet espace de débat permanent est un lieu où les nationalistes, habitués des syndicats jusqu’aux instances politiques à la confrontation permanente, sont plus expérimentés que les membres des forces traditionnelles, davantage concernés par une organisation pyramidale et une vision plus électorale de l’action politique. L’expérience militante du mouvement, où chaque réunion est une lutte d’idée, à laquelle on peut aisément ajouter le nombre important de militants aguerris aux compétences territoriales, a créé les conditions d’une plus grande légitimité du message de notre courant. D’autre part, à l’heure où le moindre abus de pouvoir ou dysfonctionnement de l’institution peut être porté à la connaissance du plus grand nombre par les mêmes voies de communication, les forces politiques traditionnelles ont dû redoubler de vigilance, occasionnant une paralysie relative des fonctionnements clientélistes. L’usage de la dérision (comptes parodiques, mises en scène burlesques) a également été un aspect de la communication politique dans laquelle les nationalistes ont été plus inspirés que leurs homologues républicains.
IV…Et ce malgré des faiblesses.
- Une liste de peu de maires. Pè a Corsica ne disposant que peu ou prou de maires sur sa liste, on ne peut parler d’un travail de terrain par l’achat individuel mais d’un travail de terrain par la conversion massive aux idées incarnées par G. Simeoni.
- Aucune institution ou collectivité impliquée dans la victoire. En effet, fort à parier que l’archaïsme de l’achat de voix est passé de mode, la démocratie parle-t-elle enfin ?
- Pè a Corsica dit se battre pour la jeunesse ; certes, mais sans la jeunesse. Si l’on analyse les listes de Femu a Corsica et Corsica Libera, les orientations sur ce point divergent. En effet, la liste Femu a Corsica ne comptait aucun homme de moins de quarante-deux ans dans les vingt-cinq premiers noms, alors que le benjamin de l’Assemblée de Corse est issu de la liste Corsica Libera (Petr’Anto Tomasi). Peut-on penser que la jeunesse masculine est perçue comme une menace pour la/les générations précédentes ? Sans misogynie mal placée, le mouvement national a toujours été porté par des hommes et ce, même si quelques dames gravitaient. Ce subterfuge tiendra-t-il longtemps ? Méfiance. Corsica Libera est le modèle inverse sur ce point puisque les deux benjamins de l’Assemblée de Corse sont issus de ses rangs.
- Les têtes d’affiches seules porteuses de voix. En effet, il est fort à parier que nous ne disposons malheureusement que de peu de relais locaux. Cf. les municipales où très peu de nationalistes se sont hissés au poste de maire, idem pour les départementales où seul Bastia diffère, sous l’impulsion du siméonisme.
- Un manque réel de transmission dans la formation. Certes, on agite la bannière de la jeunesse, mais là où Corsica Libera a sa succursale jeunesse avec la Ghjuventu Indipendentista, Femu a Corsica ne dispose d’aucune formation de ce genre. Pour sa défense, Femu a Corsica imagine une lutte transgénérationnelle.
- Les partis du mouvement autonomiste manquent totalement de lisibilité. Alors que la démarche Femu a Corsica aurait dû aboutir à la formation d’un parti unique dès 2010, les trois mouvements initiaux (IPC, PNC et A Chjama) ont décidé de perdurer par-delà la logique et la volonté exprimée. Si la question de l’intérêt de maintenir les structures existantes mérite un développement plus conséquent, la réactivation soudaine calquée sur les périodes électorales est un élément qui, décourageant une partie des militants, auraient pu conduire à de plus importantes difficultés.
- Le manque de lisibilité globale sur les notions élémentaires du nationalisme. En effet, l’absence d’une réelle collaboration en amont entre les deux branches du mouvement national conduit à l’actuel flou concernant les notions définies par les nationalistes : le Peuple, la Nation, l’État ; l’indépendance, la souveraineté, la dévolution, l’autonomie. Au milieu de tous ces termes trop interchangeables, alors qu’ils renvoient à des logiques parfois très opposées, bien malin celui qui pourrait définir le projet global actuel. Le déni identitaire et politique ne doit pas être remplacé par une conception nationale « fourre-tout » ; il convient donc de définir les différences entre les notions de Peuple corse, de Nation corse tout en précisant les volontés de traduction politique de cette réalité (un État, une communauté sui generis, une région transfrontalière corso-sarde). Le lien avec les notions de liberté est aussi primordial.
V. Les conséquences de la victoire
– Á l’échelle continentale, les débuts de la mandature ont été marqués par une forte irritabilité des médias et pouvoirs français. La simple utilisation naturelle d’une langue corse est perçue comme une provocation alors même que des personnalités comme François Bayrou ont utilisé les langues régionales à de multiples reprises.
Il paraît toutefois évident que l’époque moderne fait une distinction profonde entre la « provocation » (ce que l’usage de la langue corse n’est absolument pas) et le désaccord. Désormais, tout ce qui constitue un élément de désaccord aux yeux de l’opinion publique est analysé comme une provocation. Les médias français, qui une fois désœuvrés par la défaite du Front national et le non-événement qui s’en est suivi, ont donc choisi de faire du discours de Jean-Guy Talamoni leur cache-misère. Chacun, du premier ministre Manuel Vals à l’ex-président Sarkozy, y est allé de son rappel à la portée « unique » de la langue française au sein de l’État français. Nous ne leur en voudrons pas. Nous ne parvenons cependant pas à comprendre pourquoi, tandis que des linguistes comme Bernard Cerquiglini (recteur de l’Agence universitaire de la Francophonie de 2007 à 2015, « Les Bienfaits du Plurilinguisme pour un Pays et pour sa Science », Conférence, 25 juin 2015, Corti.), participant au rayonnement de la langue française à travers le monde, voient d’un bon œil l’utilisation d’un bilinguisme étendu, voire même d’une coofficialité alors que, toujours au sommet de l’État, une deuxième langue est perçue comme un ennemi à abattre. La société française, avec ses difficultés à retrouver ses racines aujourd’hui malmenées par une Éducation nationale en perte de vitesse et de réalisme, voit naître (renaître ?) les vents de la colère culturelle ; par le biais de l’État, elle n’a d’autre choix que de durcir le ton ! Inutile, ici, de reprendre le cycle infernal dans lequel la France déroute toute volonté populaire de politique de la terre.
– Á l’échelle nationale, la victoire nationaliste a été unanimement saluée et le début de la mandature également. Le binôme présidentiel semble fonctionner à merveille entre un chef de file aux discours de paix fédérateurs et un président d’assemblée dont la cohérence des engagements est saluée, à l’heure où tant d’hommes politiques n’hésitent pas à entamer de grands virages idéologiques une fois désignés par le Peuple. Il est évident que, pour une partie de la population corse, cette victoire sonne comme un second Riacquistu, la redécouverte d’une identité.
Toutefois, cette victoire ne fait que formaliser un besoin, bien présent depuis longtemps dans la société, qui dépasse le seul périmètre du nationaliste : les Corses souhaitent, en effet que, nationalistes ou non, ce soient les Corses eux-mêmes qui puissent être maîtres de leur destin.
Cette réalité conduit l’ensemble de la classe politique à se repositionner : Paul Giacobbi l’a compris dès 2010, mais l’original a prévalu sur l’ersatz. Une partie de la droite corse (Georges Mela en tête) essaie aussi de prendre le train en route même s’il est facile de prédire le sens du vent une fois que celui-ci a soufflé.
Propos conclusifs
De notre propos, il en ressort une grande fierté de voir la Corse enfin désireuse d’accompagner elle-même son destin.
Nous appelons nos dirigeants insulaires à cristalliser leur victoire par la création d’un grand et unique parti autonomiste, Femu a Corsica, qui apportera une grande lisibilité aux futurs militants et un rayonnement plus important.
Nous appelons nos dirigeants et le grand mouvement qui naîtra à la redéfinition des fondamentaux, orientés vers un nationalisme, certes moderne, mais pas amnésique. Nous sommes de ceux qui croient qu’une politique culturelle doit être à la base de tout autre politique ; il faut que le Peuple corse se retrouve dans son histoire, dans son art, dans son passé, pour qu’il sache mieux avoir l’ambition de son avenir.
Nous appelons nos dirigeants à mettre en place une véritable politique nationale, inscrite dans un combat pluri-décennal, sans oublier personne sur le bord du chemin.
Nous appelons nos dirigeants à aller au bout du processus qui leur a permis la victoire, en mettant définitivement un terme au clanisme politique de toute tendance et au clientélisme.
Le Peuple corse a un besoin immense de vérité…
Vincent Gambini et Stefanu Marchetti
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.