Le drame qui s’est produit à Paris le vendredi 13 novembre 2015 commande que le premier et naturel sentiment humain que l’on ressente soit une empathie et une profonde tristesse.
Fidèle à son histoire de soutien aux peuples qui subissent un drame, la Corse a fait preuve d’élégance en suspendant aussi, à sa manière, le temps pour rendre hommages à ses innocentes victimes d’un drame qui puise ses forces dans des terrains fertiles très divers.
Mais, au-delà de l’inclinaison devant cette catastrophe et de ce deuil unanimement respecté par le peuple Corse, le débat a quand même été vif sur les moyens de ce soutien. La présence de nombreux drapeaux français en guise de soutien fut naturel pour certains, insupportables pour d’autres.
D’aucuns ont également fait preuve de nombrilisme, en mettant la douleur historique du Peuple Corse face au comportement du système français au milieu de ses événements, au risque, parfois, de frôler l’indécence. Toujours est-il que ces épisodes et ces quelques échanges par réseaux sociaux interposés ont mis en lumière l’immense nécessité pour la Corse de se poser enfin les questions identitaires que la situation et l’histoire commandent.
Quand une partie de notre peuple, dans des circonstances si tragiques, se pose la question de savoir s’il est « acceptable » de voir le drapeau d’une nation en deuil sur les réseaux sociaux, c’est que notre éveil identitaire est encore trop fragile. A contrario, l’interrogation qui consiste à se demander dans quelles mesures et au nom de quoi un drame à Paris susciterait une plus grande tristesse qu’un drame à Beyrouth ou au Japon, est réelle, et suppose qu’on la traite avec sérieux car elle dit des choses sur notre position dans le monde.
Il y a aussi eu l’affaire de la marseillaise en amont du derby Bastia-Ajaccio.
Cette polémique a été un élément de plus qui tend à prouver que la question identitaire en Corse mérite d’être posée tant elle est explosive.
A titre personnel, j’étais opposé à l’idée que la Marseillaise soit jouée à Furiani non par patriotisme déplacé mais parce que j’estime que ce drame tragique ne doit pas pour autant faire oublier que ce même terrorisme tue chaque jour, dans le monde entier.
En deux mois seulement, ce sont 1200 personnes qui ont perdu la vie à cause du terrorisme. 1200 morts, rendez-vous compte, en 60 jours seulement. De toutes nationalités, couleurs et religions. Unis face à la mort et la tragédie.
1200 personnes qui ont perdu la vie à cause du terrorisme. Et chanter le Diu vi Salvi Regina, chant qui honore les défunts depuis des siècles en Corse aurait été, à mon sens, la plus belle des manières pour rendre hommage à toutes les victimes
Car effectivement, la plupart des récentes victimes du terrorisme n’étaient pas à Paris, n’ont pas eu droit à leur propre bouton sur Facebook ou que sais-je encore.
Jouer le Diu, c’était rendre hommage à tous les morts comme on le fait depuis la nuit des temps, qu’ils soient blancs, noirs, chrétiens, musulmans, juifs, français, humains.
Ordonner la marseillaise, c’était ne penser qu’aux malheureux qui sont partis si tristement ce noir vendredi 13 et oublier les autres.
Que chacun individuellement ait la liberté de rendre l’hommage qu’il souhaite me semble évident (drapeaux sur les réseaux sociaux, etc.), mais collectivement, le mode de commémoration doit aussi être le résultat d’une réflexion qui dépasse le seul stade (sans mauvais jeu de mots) du sentiment.
Alors que les ignobles lâches d’une guerre perdue d’avance car la cruauté ne peut l’emporter, les immondes acteurs d’une civilisation dont ils sont indignes, les barbares sans cœur ont mis sur un même pied d’égalité chaque victime, en les assassinant avec la même froideur et la même inhumanité, il ne fallait pas céder à la tentation involontaire de la distinction, avec certains qui auraient droit aux hommages et d’autres aux omissions habituelles.
Mais la contribution qui suit ce cours prologue n’est en aucun cas une analyse de faits qui se sont déroulés à Paris. Elle fut rédigée il y a plusieurs semaines.
A la lecture des débats de ces derniers jours, il est peut-être temps de la publier pour qu’elle nourrisse le débat. Comme son nom l’indique, elle traite de la nécessaire réconciliation que doit opérer la Corse. Une réconciliation aux multiples visages, qui est le prochain grand défi de la pensée insulaire.
La première et naturelle réconciliation dont la Corse a besoin, c’est avec elle-même. En ce sens, le Riacquistu a été déterminant. Il a permis aux Corses de se réapproprier des pans entiers de notre patrimoine commun. En terme d’identité, de langue, d’histoire.
L’Histoire de la Corse, dans sa complexité identitaire et géopolitique au point qu’on a souvent parlé de la Corse comme « un bateau qui cherchait son port », doit être une force pour chaque Corse. La connaissance de ses héros, de ses idées, de ses textes forts est un préalable à la force de chaque peuple en mouvement.
Mais, au-delà de son propre travail endogène, la Corse doit enfin régler la difficile problématique de sa place dans le monde.
- Avec La Méditerranée
Tenter d’expliquer l’Histoire de la Corse sans aborder le monde méditerranéen est une impasse. Notre île est liée au destin de cette mer et notre peuple autant que nos institutions l’ont trop oublié.
La crise des migrants en est une tragique démonstration. Les nombreux bateaux de réfugiés qui affluent sur les côtes européennes chaque jour, dans les conditions précaires de sécurité que nous connaissons, transforment chaque jour notre « Mare Nostrum » en cimetière marin.
Alors que la Méditerranée a été, durant de siècles, le socle des plus grandes civilisations antiques (Grèce, Egypte, Rome pour en citer les plus fameux exemples), elle risque de laisser une trace bien moins lumineuse aux générations futures.
Malgré cette horreur quotidienne qui se propage au sein de notre bien commun, la Corse reste totalement absente de ce débat et ferme les yeux au moment où cette mer qui l’entoure devient synonyme de mort.
Pensons que, chaque fois que nous profitons d’un instant de paix sur une plage où les pieds dans l’eau d’un de nos magnifiques espaces du littoral, des cadavres se gorgent d’eau à des centaines de mètres ( ?)Seulement.
Au niveau culturel et politique, l’absence de prise en compte de la réalité méditerranéenne coupe totalement la Corse de son bassin identitaire.
Le cas de la Sardaigne est l’exemple le plus frappant. Une île de plus d’un million d’habitants (1.700.000) à quelques brasses de Bonifacio, un emblème commun, une histoire souvent liée (Province Corso-Sarde sous l’Empire Romain, spectatrices de la guerre entre Pises et Gènes, Rôle de la puissance pontificale, etc.) mais un lien complètement coupé alors que nos peuples n’ont eu, au fil du temps, de cesse de se mélanger.
Si cette omission, ce reniement de soi, pouvait s’expliquer dans des circonstances particulières (propagande française pour exclure la Corse de son bassin naturel, périodes de tensions comme lors de la seconde guerre mondiale), elle est une ineptie à l’heure de la collaboration transfrontalière, à l’heure des modes de communication et de transports toujours plus simples, et à l’heure d’un éveil des consciences.
La Corse et la Sardaigne s’ignorent en pensant qu’il suffit de regarder au Nord-Ouest pour l’une et au Sud-Est pour l’autre, pour se convaincre que des sœurs siamoises peuvent vivre chacune dans un coin.
- Avec l’Italie
L’Italie est l’Etat qui a, historiquement et politiquement, le plus de liens avec notre île. En effet, avant la défaite de Ponte Novu, la Corse était incontestablement une terre gravitant autour du monde italien : Province de l’Empire Romaine, possession pisane et génoise, protection pontificale, son destin est étroitement lié à celui des peuples d’Italie.
Notre héritage linguistique, comme le montre une étude récente sur les langues italiennes, provient directement de la grande botte, tout comme une grande partie de nos coutumes, de notre manière de vivre le christianisme, et notre mode de vie.
Les liens forts qu’ont entretenus les Corses avec l’Italie, bien après la domination française le prouvent. 100 ans après la défaite de Ponte Novu, un quart des étudiants de l’université de Pise était d’origine Corse. Pendant longtemps, les passerelles avec Gènes, Naples, la Toscane évidemment, ont continué à exister.
L’implication des Corses dans le Risorgimento a également été une nouvelle occasion de démontrer que le destin italien est tout sauf étranger au Peuple Corse.
Il aurait été intéressant, d’ailleurs, d’observer le comportement d’une Corse souveraine, vainqueur de la bataille de Ponte Novu, en 1848, au début du processus d’unification italienne.
Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l’idéologie qui consiste à recréer les liens forts qui nous unissaient autrefois aux peuples d’Italie est immédiatement taxée d’irrédentisme.
Ce dernier, dont une grande partie du fond philosophique a été détournée par le mouvement fasciste de l’Italie du début du 20ème siècle, est devenu totalement illégitime, au point qu’aucun Corse ne peut s’en réclamer sans être accusé immédiatement de fasciste.
Pourtant, en la ramenant à l’essentiel et en faisant le deuil de l’utilisation malsaine dont elle a fait l’objet, elle contenait en son sein plusieurs éléments de réflexion dont la Corse aurait tort de se priver.
Prétendre bâtir une Corse du 21ème siècle, respectueuse de son Histoire tout en oubliant de la fonder sur la base d’une forte collaboration avec Rome, Florence et d’autres cités ayant marqué l’histoire de la Corse serait une erreur.
- Avec la France
Aussi difficile soit-elle, parler de réconciliation sans l’envisager avec la France est un obstacle à l’unification du Peuple Corse
La Corse a changé, son peuple a changé et son mode de vie a changé. Mais elle n’arrive parfois pas à l’accepter ou à en accepter sa part de responsabilité. Le réflexe qui consiste à penser que tout ce qui reste de bon est dû à l’héritage de notre culture et tout ce qui est mauvais vient forcément de la présence française devient alors malsain.
La Corse devra trouver les voies idéologiques et philosophiques pour concilier son incontestable destin de peuple en marche avec celui des 3 derniers siècles. Il est difficile d’assumer publiquement cette position car elle constitue, pour celui qui ne lit qu’en surface, une forme de reniement.
Toutefois penser qu’on va balayer d’un revers de la main les 250 dernières années est un mythe.
Et le faire serait exclure de la construction nationale les Corses qui ont un lien avec la France.
Réduire l’ensemble des liens entre la Corse et la France au seul fait colonial et au seul lien de dominant à soumis procède d’une lecture incomplète de l’Histoire.
Parce que Paoli a été un des penseurs des Lumières les plus brillants et a inspiré à Paris, parce que le 1er président de la république Française était Corse et que le chef d’Etat le plus charismatique de toute l’Histoire de la France était un petit Ajaccien, parce que nos anciens (qui parlent Corse du matin au soir, sont restés vivre au village et ont un rapport à la terre bien plus forts que la plupart des habitants de la Corse) reçoivent comme une insulte l’affirmation qu’être Corse et être Français est incompatible.
Contrairement à un toc persistant actuel, qui réduit l’identité Corse à une forme d’opposition systématique à la France, notre peuple a une histoire, un héritage et un patrimoine tellement immense et puissant qu’il peut exister sans avoir besoin de se mettre dans la permanente comparaison avec une autre culture. Il n’est nullement besoin d’attribuer les pires qualificatifs au peuple français pour affirmer sa fierté d’être enfants du peuple corse.
Il y a donc une réelle réflexion sur l’identité à opérer, y compris dans notre rapport à la France. Le chemin se trouve surement à mi-chemin entre deux extrêmes. Le premier voulant fondre la Corse dans une France alors qu’elle n’en possède que peu d’aspects historiques, culturels et géopolitiques communs. Le second voulant coupant la réalité insulaire en deux camps, sans nuances, le bien Corse et le mal français.
NOTES ET AVIS DE L’AUTEUR :
« Je n’arrive pas à me sentir autre chose que Corse. Je n’arrive pas à détester la France ou l’Italie pour autant »
Non, c’est vrai, je n’arrive pas à vibrer pour un autre drapeau que le drapeau Corse. C’est ainsi. Je ne suis peut-être pas assez ouvert ou tolérant et on pourra toujours m’accuser de me « refermer » mais ce serait un mensonge que d’affirmer le contraire.
Je sais pertinemment que, sauf pour légitime défense, la seule cause pour laquelle je peux envisager d’y laisser la vie est celle de mon île, elle est dans ma peau, dans ma chair et dans ma tête, au quotidien.
C’est parce que j’aime son histoire, ce qu’elle est dans ses beautés comme dans ses excès, et ce qu’elle va devenir que je me revendique comme un nationaliste, au sens premier du terme : quelqu’un qui revendique la Nation Corse comme réalité objective et bientôt juridique.
Ce serait un autre mensonge, en revanche, que d’affirmer qu’il en fut toujours ainsi. Jusqu’à mes 18 ans, comme beaucoup de Corses, je ne me posais que peu de questions sur mon identité. Je me sentais français car j’avais été éduqué ainsi, je regardais la télévision française, je lisais des livres en français, je parlais français chaque jour et j’étais, il faut le dire, l’habitant d’une commune où l’identité corse ne se vit pas au quotidien.
C’est à ma majorité qu’est venu le temps de la renaissance, de l’apprentissage de ce qu’était la Corse, de ce qu’elle aurait pu être. C’est à ce moment que j’ai compris que je ne pouvais plus me définir tel que je l’avais fait jusqu’ici.
C’est en prenant conscience des causes qui ont rendu possible l’existence d’une « Corse Française » que j’en ai déduit qu’envisager cette réalité comme légitime serait faire preuve de malhonnêteté historique.
La réalité qui s’est imposée est claire : le peuple Corse forme une Nation qui est souveraine dans les limites des frontières de l’île. Cela tient en une phrase et c’est suffisant pour exprimer le fond de tout mon engagement.
Malgré cette réalité, malgré cet attachement viscéral à cette simple phrase, malgré une fidélité qui sera, je le sais, éternelle à la cause nationale Corse, je me dois de faire une autre confidence : je continue à être attaché à la France et à l’Italie.
Non, et veuillez m’en excuser, je n’arrive pas à détester la France car mes parents, qui m’ont éduqué et tant appris sur la vie, l’aiment. Et si je ne peux oublier ce qui s’est passé durant les derniers siècles sur l’île, je ne peux pas non plus faire semblant de ne pas me souvenir de l’enseignement que m’ont donné les miens. Durant un temps, j’ai cru que mon engagement national et sa conséquence évidente, « ne plus se sentir français », me condamnait à détester ce pays. La prise de conscience de la responsabilité des Corses eux-mêmes dans la situation actuelle a tempéré ce constat. Et j’ai admis avec le temps que je continuais à aimer une partie de son histoire, de ses personnages et de ses paysages. Je ne les voyais plus comme des éléments constitutifs de mon propre patrimoine mais je les voyais comme des éléments auxquels j’étais encore attaché. Et j’ai compris qu’on pouvait « être attaché» sans « appartenir », que l’on pouvait « respecter » sans « en être », que l’on pouvait « ressentir » sans « se fondre ».
Non, et veuillez m’en excuser, le nationaliste Corse, éduqué par des parents aimant la France, n’arrive pas à détester l’Italie non plus. Et pourtant, le rapport avec ce pays fut d’abord conflictuel. Parce que j’avais tendance à penser que l’Italie était un miroir de la France dans la situation de la Corse. L’un nous avait colonisé récemment, l’autre nous avait dominé pendant longtemps, l’un nous a acheté à l’autre qui nous a vendu. Encore une fois, j’ai pris conscience que le fait de détester ce pays m’était en fait impossible. Car le sang qui coule dans mes veines est le fruit de ces peuples d’Italie : la Toscane, la Sardaigne, la Sicile, Naples. Autant de villes qui ont vu des hommes évoluer durant des siècles et sans lesquels l’être qui écrit ces lignes n’aurait vu le jour. J’ai aussi perçu, avec le temps et la lecture, à quel point le destin de ma Nation était lié, sur plusieurs points, à celui de ce pays.
L’identité est réellement encombrante car elle laisse à penser qu’il faudrait être exclusivement l’un, ou exclusivement l’autre. Elle est pourtant davantage ce manteau d’arlequin, différent pour chacun. Sur ce manteau, le seul drapeau auquel j’ai décidé de me consacrer est un drapeau blanc frappé d’une tête de maure. Mais je garde en mois l’influence et l’affection de ces deux autres nations car elles sont une partie de moi. Ces deux Nations qui ne sont pas plus les miennes mais qui ont créé les conditions pour que je puisse être et penser en tant que Corse.
Je suis le fruit biologique de l’Italie car c’est la réalité de ma famille.
Je suis le fruit culturel de la France, car c’est la réalité de mon éducation.
En revanche, mon propre destin et ma propre construction se fondent solidement et irrévocablement sur cette terre nationale de Corse.
C’est une synthèse difficile à réaliser car elle suppose d’accepter la diversité des sentiments qui traversent une seule et même personne et qu’elle impose de refuser d’enfermer l’ensemble d’un peuple dans le même tiroir tout en demandant d’être dans la relativité et non dans le constat absolu et indiscutable.
Le prochain défi idéologique du mouvement national, c’est d’être le moteur de cette synthèse identitaire.
Car l’identité ne peut fédérer qu’à deux conditions : celle d’être une identité « suffisante », dans le sens où elle n’existe pas qu’en réaction à une autre. Et celle d’être une identité « en paix », qui a vocation à être tellement puissante qu’elle ne craint pas l’apport extérieur.
Vincent Gambini
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