La campagne territoriale qui s’esquisse ne manquera pas de remettre au goût du jour les déclarations d’amour enfiévrées en faveur de la ruralité.
Le gouvernement lui aussi s’y est penché au travers des Assises de la ruralité (organisées durant l’année 2014), dans le but de dégager des priorités pour adapter l’action publique en faveur de ces territoires.
Pour ce qui est de la Corse rurale, voici la représentation de la DATAR (Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale) en sa publication « territoires en mouvement n°7 de décembre 2012 :
Le zonage bleu : correspond à des campagnes vieillies à très faible densité, à faibles revenus, avec éloignement des services d’usage courant.
Gardons cette représentation à l’esprit pour juger des mesures opérationnelles qui devraient déjà être entrées en vigueur et qui se décomposent en 3 axes et 11 premières mesures.
Voici donc ce catalogue :
AXE 1 : ADAPTER LES POLITIQUES PUBLIQUES AUX BESOINS DES TERRITOIRES RURAUX
Mesure 1 : Renforcer la couverture en téléphonie mobile par la résorption des zones blanches et la réduction des zones grises. Un plan d’ampleur doté de moyens conséquents, en matière de développement du très haut débit, avec un objectif de couverture totale du territoire en 2022.
Observation 1 : la communauté d’agglomération de Bastia espère…. que dans quelques années son territoire sera desservi. Pour le rural ce n’est plus de l’espoir, mais d’espérance dont il faut faire preuve.
Mesure 2 : Faciliter l’accès aux services de santé par la création de maisons de santé pluriprofessionnelles, la pérennisation de la rémunération des équipes de soins et la possibilité pour un médecin spécialiste de faire des consultations régulières dans les territoires dépourvus de sa spécialité.
Observation 2 : il conviendrait de demander au docteur François AGOSTINI, à Calenzana, ce qu’il lui a fallu de persévérance et de travail pour un projet qui a mis 7 ans à aboutir, pour mesurer la distance qui sépare le « dire » et le « faire ».
Mesure 3 : Améliorer l’accès aux services au public pour maintenir des services marchands de proximité ainsi que la présence de services publics. Les partenariats avec des grands opérateurs doivent aboutir dès le premier trimestre 2015.
Observation 3 : il ne s’agit là que de la poste et des perceptions et de guichets sociaux. Mais il n’y a rien de concret sur les véritables services marchands, c’est à dire l’épicier, le boulanger et le boucher. Il aurait été bon que les politiques publiques favorisent leur maintien ou leur implantation par des mesures fiscales et sociales spécifiques.
Observation 3 bis : Pour rappeler la réalité de la Corse, les communes classées en zones de revitalisation rurale et pour lesquelles les entreprises qui bénéficient à ce titre de facilités fiscales et sociales, ne sont que 81 sur 360 : 51 en Haute Corse et 30 en corse du Sud. Au surplus elles n’atteignent pas les 5 % de la population de l’île[1].
Mesure 4 : Renforcer l’éducation, par l’accompagnement des collectivités qui s’engageront dans une démarche de réorganisation du tissu de leurs écoles dans un projet triennal. Généraliser le numérique dans l’enseignement : projet éducation internet doté de 10 M€ pour développer les ressources pédagogiques numériques vers les écoles primaires.
Observation 4 : la réorganisation des écoles est une réalité qui tient à la structure démographique de l’île et qui provoque de nombreuses réactions à chaque rentrée scolaire. Pour ce qui est du plan éducation par internet pour les écoles rurales des doutes sérieux peuvent être émis au regard de l’observation 1.
Mesure 5 : Renforcer les liens entre territoires ruraux et périurbains pour un aménagement du territoire de qualité, notamment pour la création de circuits courts alimentaires.
Observation 5 : ce sont de bonnes intentions qui laissent perplexes, compte tenu de l’expérience de coopération en matière de traitement des déchets, comme a pu le révéler le conflit du site d’enfouissement de Vico. S’agissant de circuits alimentaires courts, la Sardaigne donne l’exemple avec des magasins alimentés exclusivement par des producteurs et vendant aux consommateurs sans intermédiaire aucun, des fruits et légumes de saison.
Proposition : La mise en oeuvre d’une politique publique favorisant de telles implantations dans le rural par le biais de groupement d’intérêt économique d’agriculteurs par des exonérations fiscales et sociales aboutirait à un ou plusieurs super marché agricoles pour les deux micro région urbaines et les sept rurales au sens de l’INSEE : bassins de vie d’Ajaccio, de Balagne, du centre, de Bastia, de Casinca, de la plaine orientale, du Sud, du Valinco et du Taravo : (revue QUANT’ILE de décembre 2012 :
http://www.insee.fr/fr/insee_regions/corse/themes/etudes/quantile/quantile22/quantile22.pdf )
AXE 2 : ACCOMPAGNER LES COLLECTIVITÉS DANS LEUR QUOTIDIEN
Mesure 6 : Rééquilibrer les dotations et aides financières aux collectivités rurales au travers de la réforme de la DGF : prise en compte des charges réelles des communes rurales devant préserver des espaces agricoles et naturels.
Observations 6 : Le PLF[2] 2016 a bien intégré cet élément puisqu’il prévoit une réforme de la DGF qui, malgré la baisse de la dotation (maîtrise de la dépense publique oblige), prévoit dans les composantes de la DGF une dotation de ruralité dont le but est de compenser les charges de ruralité.
Mesure 7 : Développer des compétences d’ingénierie dans les intercommunalités pour l’eau, l’assainissement ou le logement (NB : il manque la collecte et le traitement des déchets dans ces compétences) avec le Nouveau Conseil aux Territoires devant remplir cette mission. La CTC deviendra donc conseil en ingénierie, alors que ce rôle sera dévolu au conseils départementaux dans les autres régions.
Observation 6 : Cette mission devra être prise en charge par les trois agences du développement (OE, OEHC ou ODARC) qui disposent de ces compétences techniques.
Mesure 8 : Simplifier les normes pour que leur impact financier sur les collectivités soit nul tout particulièrement dans des territoires ruraux.
Observation 8 : Il faut espérer qu’en la matière le résultat sera meilleur que pour le choc de simplification annoncé par le Président de la République pour lequel le Conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics a conclu en son rapport[3] : « la vérité oblige à dire que le choc de simplification tarde à trouver sa traduction, à raison de l’ignorance des sains principes de proportionnalité, de simplicité, d’accessibilité et d’intelligibilité comme garants de la meilleure sécurité juridique ».
AXE 3 : SOUTENIR LES INITIATIVES D’AVENIR
Mesure 9 : Soutenir les projets des collectivités grâce à l’augmentation de 200 M€ de la Dotation d’Equipement des Territoires Ruraux pour des installations des maisons de santé, des maisons de services, des actions en matière de rénovation énergétique, du soutien aux communes nouvelles.
Observation 9 : 200 M€ pour 7000 communes rurales[4] soit une attribution moyenne de moins de 30 000 € par commune : sans commentaire !!!!
Mesure 10 : Afin d’adapter l’offre aux attentes des touristes, quatre des cinq pôles d’excellence touristique concerneront directement les territoires ruraux : l’œnotourisme, le tourisme de montagne, le tourisme durable et l’itinérance douce et les savoir-faire et métiers d’art.
Observation 10 : sans doute le seul point où la Corse est déjà à l’oeuvre avec les routes des vins, le GR 20, et les éco-musés communaux ou intercommunaux.
Mesure 11 : Moderniser les outils au service des agriculteurs : site agrilocal.fr pour développer les projets collectifs territoriaux augmentant la part des produits locaux et de qualité dans la consommation alimentaire, en particulier dans la restauration collective. Objectif : atteindre 40% de produits locaux d’ici 2017.
Observation 11 : formulée dans la proposition faisant suite à la mesure 5.
SYNTHÈSE
Par delà ces mesures le gouvernement travaille à l’élaboration de politiques portées de longue date par les collectivités soucieuses de la proximité et du vivre ensemble. Ce travail, devait être entériné par le Comité interministériel à l’égalité des territoires qui a évolué en comité interministériel sur l’égalité et la citoyenneté comprenant le comité à l’égalité des territoires, le comité interministériel à la ville et le comité interministériel pour la jeunesse.
Pour tous ceux qui voudraient voir le génie de l’improductivité administrative de la France visitez le site[5] qui est dédié à ce nouveau « machin » comme dirait le Général :
Courteline revient et dépose plainte pour plagiat car c’est ce que tu as décrit dans ton livre en 1893 « Messieurs les ronds-de-cuir » !
Note : carte des 2 bassins de vie urbains et des 7 ruraux établie par l’INSEE
CONCLUSION : LA RÉALITÉ CORSE
1- Le présent
Ce qui est le plus remarquable dans ce catalogue de mesures, c’est l’absence de mesures fiscales et sociales à destination des très petites entreprises (moins de 10 salariés) et des petites et moyennes entreprises (moins de 250 personnes et CA inférieur à 50 M€) désireuses de s’installer dans les zones rurales.
Pour s’en convaincre il n’est qu’à voir la liste des communes classées en zones de revitalisation rurales (ZRR) par l’arrêté du Premier Ministre en date du 14 juillet 2014, liste importante, car les entreprises installées sur ces communes bénéficient d’une diminution progressive de charges fiscales sur une période de 9 ans.
Or seules 51 communes de Haute Corse (6 087 habitants) et 30 communes de Corse du Sud (8 969 habitants) c’est à dire 81 communes de l’île sur un total de 360, pour une population représentant 4,76 % de la population légale 2012 de la Corse y figurent !!!!
Qui croira qu’avec cette faible clientèle potentielle des entreprises sont en mesure de s’installer ou de perdurer (pour celles qui existent déjà) ?
NB : Le tableau Excel dans lequel figurent les communes concernées et le nombre d’habitants sera communiqué aux lecteurs qui en feront la demande auprès de notre cercle de réflexion à l’adresse suivante : ichjassi@gmail.com
2 – Le futur
L’installation de ces entreprises sur la base de mesures, non seulement fiscales, mais aussi sociales (avec une baisse importante de leur montant), associées à la sortie imposée de l’indivision, pour permettre l’installation de nouveaux habitants dans le rural, est la seule voie réaliste pour redynamiser la Corse rurale.
La sortie de l’indivision serait assurée par une loi transférant les terrains dans l’indivision depuis plus d’un siècle (c’est à dire 70 % de l’intérieur de l’île) à la CTC, qui les attribuerait aux communes et intercommunalités pour des projets d’intérêt public : école, lotissement communaux avec accès à la propriété, installation de commerces, zones artisanales, zones agricoles, etc.
Mais cette loi ne peut trouver sa validité juridique qu’après reconnaissance de la spécificité de la Corse par la Constitution. Cette spécificité permettrait de déroger au droit commun en matière de traitement de l’indivision et d’opérer le transfert décrit ci-dessus.
3 – Le retour d’expérience : c’est possible, ça marche mais il faut améliorer le système
Deux rapports de l’Assemblée Nationale [1] sur les zones franches urbaines (ZFU) et les zones de revitalisation rurales (ZRR), « qui ont pour objectif commun de créer de l’activité, de l’emploi et de la vie », aboutissent aux mêmes conclusions : le bilan est globalement positif tant en terme d’installations d’entreprises qu’en termes d’emplois crées, même si la crise de 2008 a freiné la progression.
Mais deux grandes critiques sont formulées :
– ces deux dispositifs sont à améliorer en matière d’accompagnement des entreprises car le système fiscal et social censé faciliter leur implantation est complexe ;
– ces deux dispositifs sont à simplifier tant pour leur pilotage qui doit se faire à une échelle supra communale, que pour leurs objectifs afin d’accentuer les aides (fiscales et sociales au regard de la démographie et de la richesse des habitants) qui présentent le plus fort intérêt en termes de création d’emploi et d’animation des territoires les plus fragiles.
Ces améliorations vont buter sur deux écueils en Corse : la propension à repousser les choix pour ne pas froisser d’électeurs potentiels et les conflits politiciens qui ne manqueront pas de surgir pour la prise en main du pilotage et de la délimitation du territoire pertinent pour transformer ces dispositifs en instruments de prise de pouvoir local.
Aux Corses qui partagent cet amour de la ruralité d’indiquer à leurs élus que ces orientations ne sont pas les bonnes, par les voies et moyens démocratiques qui leur siéront.
Roger Micheli
[1] Rapports du 14 mai 2013 sur les ZFU et du 8 octobre 2014 sur les ZRR
[1] Voir l’arrêté du Premier ministre en date du 30 juillet 2014 :
(http://legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000029314044&categorieLien=id)
[2] PLF = projet de loi de finances
[3] Le rapport est accessible à l’adresse suivante : http://www.cnen.dgcl.interieur.gouv.fr/
[4] Source : Insee Première N° 1374 – octobre 2011
[5] http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/contenu/piece-jointe/2015/03/06.03.2015_synthese_comite_interministeriel-egalite-citoyennete-la_republique_en_actes.pdf
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