TRIBUNE LIBRE : LES BASES DE L’INTÉGRATION

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Parler culture et intégration en 2015, c’est prendre le risque de voir un champ sémantique tout désigné rendre stérile la moindre réflexion. C’est s’assurer de voir se former et s’opposer les deux camps idéologiques desquels il est difficile de s’extirper. D’un côté, les « bobos » qui seraient pour un monde multiculturel et une affirmation des racines. De l’autre, les « fascistes » qui seraient pour une assimilation totale sous peine de déchéance de nationalité.

S’intégrer à quoi ?

Sous fond de crispation internationale, de peur religieuse et communautaire, n’espérez pas apporter la nuance ou l’analyse. Vous serez forcément classé dans l’un de ses deux clubs de pensée.

Mais parler culture et intégration en Corse, c’est d’autant plus délicat car cette problématique renvoie à une triple réponse à apporter.

La première consiste à permettre aux Corses de se réconcilier avec leur propre culture.

La seconde consiste à permettre aux « primo-arrivants » de s’approprier une culture que la majorité des « locaux » ont délaissé.

La troisième consiste à donner les moyens à la culture Corse de résister à une globalisation culturelle et à une expansion du « raisonnement hexagonal » pour conserver son propre logiciel de pensée.

Car derrière l’intégration et la culture, il y a une image. Celle d’un homme (ou d’une femme) qui vient poser ses valises dans un coin du monde qui n’est pas le sien. Et qui sera confronté alors à un choix : continuer à vivre selon son mode de vie antérieur, ou assimiler celui de la terre sur laquelle il est désormais.

La fabrique en panne

En Corse, pendant longtemps, une maxime a symbolisé le processus d’intégration à l’identité insulaire : « La Corse fabrique des Corses ». Sous cette phrase, répétée à maintes reprises, se cache les fondements de la communauté de destin (notion qui fera l’objet d’un débat organisé par la LDH, à l’Université de Corse le 21 octobre prochain). Celle d’une communauté qui repose sur des personnes qui s’agrègent à une culture ou la reçoivent en héritage, à égalité devant ce patrimoine matériel et immatériel.

Mais cette notion ouverte a été mise à mal depuis un certain nombre d’années. Des remarques fondées aux plus fantaisistes, l’idée selon laquelle il suffirait d’affirmer que la Corse arrive à intégrer des étrangers (qui ont vocation à ne plus le rester longtemps) pour que cela se produise a pris du plomb dans l’aile.

Ce qui est certain, c’est que le processus d’intégration est en panne et que les causes sont multiples.

La plus évidente, et celle que chacun cite volontiers, reprend l’argument démographique. Une intégration ne peut en effet se faire que sur la base d’une personne à l’identité culturelle minoritaire sur un territoire donné où une culture majoritaire s’observe.

Le faible taux de fécondité insulaire et l’augmentation exponentielle du nombre d’installation sur l’île chaque année laisse à penser qu’il n’est plus certain que la Corse soit majoritairement peuplée de personnes ayant grandi dans un environnement culturel propre à l’île.

Toutefois, derrière le constat se dresse souvent la solution… et la critique !

Les responsables seraient donc les personnes issues de l’extérieur qui ne ferait pas l’effort de s’approprier la culture corse.

Cette thèse n’est pas sans rappeler les débats continentaux ce qui renvoie à l’indépendance idéologique de cette pensée face à ce qui se passe outre-méditerranée.

Une intégration sans « intégrateurs ».

Mais, la raison n’est elle pas aussi à chercher parmi ceux qui sont censés constituer les « vecteurs » de la culture Corse ? Pour intégrer des personnes à une culture, ne faut-il pas, en premier lieu, s’assurer que ceux qui ont la charge de la transmettre soient en capacité de le faire ?

Une partie de la population Corse atteint donc un certain paradoxe en reprochant aux arrivants de ne pas vivre selon un mode de vie qu’eux-mêmes n’adoptent pas.

Car au final, qu’est-ce que la culture Corse ?

Une langue, avant tout. Mà quantu simu à parlà u Corsu ?

Une certaine idée de la solidarité, c’est certain. Mais n’avons-nous pas, nous aussi, privilégié le lotissement et le cloisonnement à la chaleur du quartier et des portes ouvertes à tous ?

Un héritage religieux, c’est incontestable, quoi que puisse en penser les militants de la laïcité. Mais avant de clamer haut et fort que la Corse est une terre chrétienne, combien reste-il de Corses pratiquants ? Au-delà des quelques messes et processions annuelles qui renvoient davantage au respect d’une coutume culturelle que d’une foi culturelle ?

J’ai eu l’occasion de développer ce propos, mais ces derniers mois, j’ai eu la chance de rencontrer une multitude d’habitants de Porto-Vecchio durant plusieurs semaines. Et j’ai été frappé de constater que la communauté maghrébine a été celle qui m’a le plus renvoyé l’image d’une société ancienne.

Pendant que les partisans d’une « Corse, terre chrétienne » s’enfermaient dans des établissements aux bouteilles hors-de-prix, des vieux maghrébins veillaient au pied de nos Églises et discutaient.

Quand on vous ferme la porte dans un hameau car le repos surpasse la volonté d’échange, on vous ouvre les portes dans les quartiers populaires et vous invite à diner.

Quand on préfère « bruncher » le dimanche, d’autres communautés se recueillent et prient.

Cultura 2.0

La vision binaire est donc à relativiser et sur ce vaste chemin qu’est celui de l’accession à une culture, beaucoup de ceux qui semblent avoir pris de l’avance, ou pire être déjà sur la ligne d’arrivée, sont en réalité très proche du départ.

Par conséquent, l’exigence d’intégration est une interrogation que tout un chacun doit se poser, peu importe son lieu de naissance ou son pedigree.

Les Corses doivent être les premiers à se réapproprier une histoire, une langue, des coutumes. Dans cette vaste entreprise, des initiatives comme CompruCorsu ou Les Exilés sont salvatrices.

C’est un défi pour l’avenir, afin de transmettre le flambeau à ceux qui arrivent et qui devront concilier ce qu’ils ont été et ce qu’ils deviennent.

Est-il seulement possible de concilier les deux ? Assurément même si dans un contexte de réflexion manichéenne, le contraste est audace.

En Corse, la communauté Sarde l’a parfaitement démontré, bien que la proximité des « îles sœurs » rend forcément l’opération plus aisée.

Au-delà de nos ambitions, il convient également de relativiser le caractère monolithique d’une culture et d’accepter une perpétuelle transformation à l’aune d’un monde qui bouge trop vite pour que nous n’en soyons pas les observateurs sous influence.

Seule une erreur de jugement pourrait conduire à penser qu’un Corse peut vivre sous la force motrice d’une seule et même culture.

Notre consommation alimentaire est similaire en tout point à l’urbain parisien ainsi qu’aux agriculteurs bourguignons. Notre mode vestimentaire est une copie des tendances présentes à Londres, Berlin, Milan.

Vivre en 2015, à l’heure d’internet et de la communication permanente, c’est déjà vivre au carrefour des cultures dans un monde où le dénominateur commun de l’Homme est de plus en plus grand. Écrire un article sur un blog, c’est déjà savoir qu’on en fait partie.

Vincent Gambini

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