LE POLITICIEN CORSE EST-IL PLUS PROCHE DE L’ÊTRE OU DU NEANT ?

Telle est la question qui m’est venue à l’esprit en lisant l’ouvrage « Modérément Moderne » de Rémi Brague, récemment paru chez Flammarion.

Cet éminent spécialiste de Platon et Aristote s’interroge sur l’évolution de l’Europe, confrontée à la modernité portée par la mondialisation. Cette mondialisation est le plus vaste mouvement d’échange de biens, de services, de capitaux et d’investissement connu sur la planète depuis la nuit des temps. La Chine et l’Inde sont venues se joindre aux USA et au Japon pour concurrencer une Europe qui a du mal à prendre corps.

À ce titre notre Corse est présente dans cette réflexion.

Pour analyser ce mouvement l’auteur fait référence aux concepts d’Aristote (précepteur d’Alexandre le Grand) qui analyse le monde et l’homme suivant des oppositions : blanc et noir, aveugle et doté de vue, juste et injuste, droit et courbe, simple et double, simple et multiple, etc.

Dans cet ouvrage Rémi Brague retient trois oppositions. La 1ère opposition est celle du bien et du mal, la 2ème opposition est celle du vrai et du faux et la 3ème opposition est celle de l’être et du néant.

La 1ère opposition (Bien/Mal) qui a traversé le 19ème siècle, repose sur une question sociale. En Europe et dans son empire, les hommes n’avaient pas de difficulté à voir l’injustice des structures économiques, reléguant les défavorisés à la lisière de l’humanité. Le mal était l’exclusion, la misère et l’exploitation des hommes. Le bien y a fait échec en les réintégrant au travers du progrès social au sens large : éducation, enseignement, droits sociaux, conditions de travail, accès à la santé, etc. Le 19ème siècle voit ainsi le triomphe du Bien sur le Mal.

La 2ème opposition (Vrai/Faux) qui a traversé le 20ème siècle est idéologique : nazisme et léninisme étaient fondés sur une nouvelle construction de la Vérité à répandre. Le nazisme se présentait comme une vision du monde fondée sur la « science des races ». Le léninisme se présentait comme une vision du monde fondée sur la science économique et l’évolution des sociétés. Le 20ème siècle a été le triomphe de la démocratie sur ces deux idéologies, qui ont conduit à des massacres humains dans des proportions que l’humanité n’avait jamais connu jusque là.

Le 21ème siècle voit se dessiner la 3ème opposition entre l’Être, détenteur du legs social du 19ème et de la liberté du 20ème siècle et le Néant. Par Néant, Rémi Brague entend la négation de l’humain absorbé et englouti par un progrès débridé, des dégâts environnementaux, la disparition des ressources naturelles et l’utilisation possible de l’arme atomique. Les triomphes humanitaires des 2 siècles précédents sont potentiellement en passe d’être niés au prétexte d’une libre concurrence (qui n’existe qu’en théorie), fondée au surplus sur le travail des enfants, des salaires misérables et l’absence de toute norme environnementale de protection.

Politiquement, le rempart contre cette mondialisation débridée et déloyale est la construction d’une Europe, plus grand consommateur du monde, et par là même, en capacité d’édicter des règles opposables à tous.

Ce contexte européen posé, que reste t-il des deux oppositions passées et de celle en cours dans notre île ?

Ces trois oppositions sont persistantes et imbriquées dans notre île.

Le refuge dans la fonction publique est une protection sociale recherchée par bon nombre de personnes qui ont eu à souffrir de l’arbitraire dans certaines entreprises.

Mais il y a un prix à payer : l’aliénation de sa propre pensée et la redevance envers celui qui a permis l’entrée dans ce filet économiquement sécuritaire (28 % de l’emploi salarié est dans la fonction publique, soit 7 points de plus que la moyenne nationale) La recherche du Bien s’accompagne d’une négation de soi, de son Être.

C’est un vieux sentiment humain fort bien décrit par La Rochefoucauld au 17ème siècle : « Il ne faut pas longtemps pour que nos idées et nos convictions prennent la couleur de nos intérêts. »

Dans ce processus y a là une double ignorance :

  • l’ignorance de la construction de soi au mépris du tapis de feuilles mortes de ceux qui nous ont précédés par celui qui «entre » ou « subit » ce mécanisme (le lecteur choisira le terme qui lui semble le plus approprié) ;
  • et l’ignorance de l’autre qui devient une marchandise électorale, générant au fil du temps une insatisfaction existentielle.

Celui qui exige cet abandon de soi, le pourvoyeur d’emploi, ne mise que sur le court terme, car il augmente les frais quotidiens de sa collectivité et diminue d’autant les sommes à consacrer à la préparation du futur, à l’investissement, à la Corse de demain. Il réduit l’Être au Néant, l’aliène de sa propre identité. Mais en même temps, le pourvoyeur d’emploi, celui qui exige un retour, se place lui-même dans le camp du Néant, car il ne voit pas l’identité, l’humanité de l’autre. En somme « le glaive corrompt par les deux bouts » (Simone Weil – La pesanteur et la Grâce).

La récente actualité politicienne des élections cantonales a révélé, s’il en était encore besoin, cette triste réalité : accords politiciens que nul n’aurait imaginés et tensions au sein de tous, je dis bien tous les courants politiques de Corse.

Le résultat est connu : régression culturelle au sens de perte d’autonomie de la pensée et fortes réactions identitaires au sens politique.

Mais l’histoire révèle que bien souvent :

  1. les opprimés y mettent du leur ;
  2. les dénonciateurs ne savent que dénoncer sans proposer d’alternative crédible.

Ce sont les deux ressorts de la perpétuation de la situation actuelle de la Corse.

Le but de ce blog est donc de présenter une réflexion afin de promouvoir l’autonomie de pensée politique et de proposer une alternative crédible au système actuel : poursuivre sur la victoire des 19ème et 20ème siècles et se placer du côté de l’Être en ce 21ème siècle.

Reste la question posée en titre : le politicien corse est-il plus proche de l’être ou du néant ?

À la lecture de ces développements vous connaissez notre réponse.

Mais l’essentiel pour le lecteur est d’y réfléchir dans le secret de sa propre conscience.

penseur_rodin

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