L’auteur(e)/écrivain(e) : pour espérer être édité, elle ou il doit affronter un vrai parcours du combattant[1].
Hommage à mes ami(e)s auteur(e)s et écrivain(e)s, poète(sse)s, historien(ne)s, essayistes, historien(ne)s, romancier(e)s, conteur(se)s… avec lesquel(le)s j’échange souvent lors de nos rencontres dans la rue, lors des dédicaces, ou plus souvent sur les foires ou les salons, à propos de nos expériences réciproques dans cette aventure enthousiasmante de l’écriture !
L’écriture
Certains s’imaginent qu’être auteur(e) ou écrivain(e) est une source de richesses, et que cela leur rapporte beaucoup d’argent. Malheureusement, hormis l’enrichissement intellectuel, c’est loin d’être le cas, sauf à s’appeler Brigitte Bardot par exemple, le seul nom de l’auteure attirant les acheteurs, souvent plus ou moins lecteurs, le contenu étant finalement peu important. De nos jours, hors certain(e)s auteur(e)s très connu(e)s, très peu peuvent vivre uniquement de leurs ouvrages. La plupart des auteur(e)s devant surtout avoir un métier et un salaire régulier pour pouvoir espérer en parallèle assouvir leur passion de l’écriture, car être auteur(e), c’est d’abord une histoire de passion.
Dans l’Île, les difficultés rencontrées par les auteur(e)s et les écrivain(e)s sont encore plus importantes. Et du début d’écriture à la conclusion de l’écrit, ‘‘l’accouchement’’ de l’ouvrage, durant le temps plus ou moins long de son écriture, sera tout sauf un long fleuve tranquille.
Après les longues nuits ou journées d’écriture et de transcription, écriture à la main et/ou transcription et traitement de texte numérique qui a remplacé l’antique machine à écrire, les recherches de documents, de références, d’articles de presse audio ou vidéo, sur internet ou aux archives, de renseignements concernant le thème abordé dans l’ouvrage, les confrontations et les demandes de conseils, d’avis des proches ou des amis, les cogitations incessantes tant l’ouvrage s’impose à chaque instant dans l’esprit de l’auteur(e), les remises en question, les questionnements permanents après des heures et des nuits d’insomnie, de travail, des maux de tête, des périodes d’incertitudes, d’anxiété, de doutes, de stress, d’irascibilité auprès des proches et des amis, de blocages, de l’impression de ne plus avancer, de ne plus avoir d’idées, de manquer d’inspiration, d’imagination, de la ‘‘peur de la page blanche’’, d’états d’âme, de la déprime lente, de la sensation de vide, de l’insatisfaction, etc. l’auteur(e) passant tour à tour par ces différents stades, alternant les bonnes et les mauvaises phases, l’euphorie et le découragement, l’envie de renoncer et d’envoyer ‘‘tout promener’’, de ne plus avoir confiance en ses capacités ‘‘intellectuelles’’, en son ‘‘talent’’, en son écriture, en ses idées, en son histoire, etc. Le tout sur fond de fatigue confinant parfois au burn-out, sorte d’état second qui redoublera une fois l’ouvrage terminé — accouchement dans la douleur —, quand il faudra trouver un éditeur et surtout le convaincre de publier l’ouvrage.
Faire publier
Cela est encore plus compliqué, sauf à être une ou un auteur(e) reconnu(e) et surtout à l’échelon français. Ces problèmes s’avérant encore plus importants s’il s’agit d’un ouvrage à publier en Corse. Plus dur encore lorsqu’il s’agit de faire publier un ouvrage en langue corse, le potentiel lectorat étant restreint. La perspective d’un lectorat plus ou moins grand est commercialement un argument que lui soumettra, voire opposera, immanquablement l’éditeur potentiel, souvent peu philanthrope, et dont l’intérêt ne coïncide pas toujours avec celui de l’auteur(e), car astreint à nombre de contraintes commerciales l’inclinant peu à faire du mécénat, et qui pèsera dans sa décision, sa sentence.
Puis si acceptation (de principe) d’édition, ce seront ensuite les discussions et confrontations sur le contenu, le style, les formulations, l’écriture, la longueur, la pagination, la présentation, la photo de couverture, la maquette du futur ouvrage… l’auteur(e) n’ayant plus au final qu’à se ranger à l’avis directif de l’éditeur ou de son ‘‘comité de lecture’’, plus ou moins compétent en la matière, avant relecture finale, puis envoi à l’imprimeur, réception de la maquette pour une ultime relecture et enfin son renvoi avec ‘‘Bon à tirer’’.
Le contrat
Après ce parcours du combattant, ce sera enfin la signature d’un contrat avec des discussions et des conditions (toujours) imposées sur les droits d’auteur. En règle générale, l’éditeur perçoit en gros 50 % du prix des ventes (frais de maquette, de corrections, d’impression et de promotion/commercialisation, et divers à sa charge), le distributeur 20 %, le libraire 20 %. L’auteur(e), si elle ou il est ‘‘connu(e)’’ ou ‘‘porteur(se)’’ par sa personnalité ou le contenu de son ouvrage, peut réussir à arracher 10 %. Mais en règle générale, l’auteur(e) n’aura d’autre choix, que d’accepter les 6 ou 7 % du prix de vente, que lui octroiera l’éditeur dans le contrat, sans avoir alors (et il s’en rendra compte par la suite) connaissance du nombre de ses exemplaires vendus. Parfois même, il n’aura pratiquement droit à rien du point de vue financier, car il faudra quasiment toujours attendre plus ou moins longtemps pour espérer avoir quelques ‘‘rares ’‘ rentrées financières et de maigres émoluments consentis par l’éditeur, sans savoir quand. Cela dépend alors quasiment toujours de la ‘‘gentillesse’’ et du ‘‘bon vouloir’’ de l’éditeur.
L’éditeur
À la décharge de l’éditeur, surtout en Corse, où les quelques maisons d’édition sont de petite, voire de moyenne, taille, la grande majorité des éditeurs font ce métier surtout par passion et ne gagnent guère d’or ; contrainte d’avoir d’autres activités dans le domaine du livre ou dans d’autres en complément, pour que leur entreprise ne soit conduite à faire faillite.
La législation en matière d’activités commerciales et de développement de leur entreprise impose à l’éditeur nombre d’obligations souvent difficiles à gérer, surtout au plan financier (impôts, charges de personnel, de fonctionnement, d’impression, de distribution et de vente…).
Il doit en conséquence s’assurer quelques bénéfices sur l’ensemble des ventes des ouvrages de ses auteur(e)s édités et distribués, pour que son entreprise, confrontée aux difficultés de toute la chaîne du livre et de l’impression et édition en général (concurrence des réseaux sociaux, d’Internet, du nombre de plus en plus restreint des lecteurs, les vieux lecteurs décédant et les jeunes générations lisant moins de livres, etc.). Difficultés auxquelles il faut ajouter en plus la situation particulière en Corse (marché restreint et prix élevés dans ce secteur) puisse vivre, voire survivre, en faisant face à ses obligations financières.
Sa maison d’édition devra obligatoirement rechercher des aides et subventions (Collectivités ou autres) pour pouvoir tenir la distance, et ne pas être conduite tôt ou tard à mettre la clé sous la porte.
Après la première étape
Au-delà des problèmes des éditeurs, l’auteur(e), lorsqu’elle ou il veut se faire éditer, doit donc dans un premier temps affronter un véritable chemin de croix. Mais, même une fois édité(e), il ou elle n’en aura pas pour autant fini avec les obstacles, n’étant pas au bout de ses peines, d’autres embûches et difficultés vont surgir.
Une fois réussie cette première étape, l’auteur(e) est au début si fier intellectuellement de sa publication, qu’il ou elle en oublie le reste notamment, dans un premier temps, tous les aspects plus matériels inhérents au cheminement et à la vie d’un livre après sa publication. Galvanisé(e) par la joie d’être enfin publié(e), elle ou il mouille le maillot pour en faire la publicité, multipliant les démarches chez les libraires, les dédicaces, les communiqués, les posts sur les réseaux sociaux, dans les médias (dans l’attente d’un article), d’un signe évoquant son ouvrage… Elle ou il multipliera les déplacements dans toute l’Île : foires, librairies, salons du livre… où souvent elles ou ils devront réussir à convaincre de s’y faire inviter, et le plus souvent à leurs frais, même hors de l’Île (hôtels, restaurants, essence, avion, bateau…), les organisateurs et les éditeurs lui réglant rarement tous ses frais, sauf pour les auteur(e)s plus ‘‘côté(e)s’’, voire ‘‘prétendument plus côté(e)s’’, venant de l’extérieur.
La confrontation vire au conflit
Et là, immanquablement, se pose tôt ou tard le problème de ses relations avec son éditeur. Les premiers moments d’euphorie passés, les intérêts plus matériels, pas forcément les mêmes pour l’éditeur et l’auteur, vont s’inviter dans les discussions et les relations. Et forcément, au-delà même d’une éventuelle empathie entre l’éditeur et l’auteur(e), les impératifs commerciaux prendront immanquablement tôt ou tard le dessus. Les relations en souffriront.
Les premiers moments de satisfaction et de fierté passés grâce au pari réussi de l’édition de son ouvrage, l’auteur(e) traversera une période de ‘’baby-blues’’ comme après une naissance. Il ou elle commencera alors progressivement à s’intéresser à l’après-édition. Il se posera alors d’autres questions concernant la manière dont son ouvrage sera commercialisé, distribué et vendu, voire s’il aura droit, à terme, à une réédition. Ce qui va le conduire inéluctablement à parler chiffre, bénéfices, perception des droits d’auteur et émoluments avec son éditeur. Les relations peuvent alors changer, et pas forcément en mieux.
Bref, celles et ceux qui y sont ou y ont été confronté(e)s connaissent cette situation où l’auteur(e) n’a d’autre choix que de prendre pour ‘‘parole d’Évangile’’ tout ce que son éditeur lui dira, ou voudra bien consentir à lui dire… sauf à payer un huissier qui partira à la recherche des ouvrages réellement édités et surtout vendus, tâche quasi impossible. D’où de nouvelles déceptions et souvent des relations qui se tendent avec son éditeur, voire même alors se résoudre à renoncer à l’édition d’un nouvel ouvrage chez ce même éditeur.
D’où, pour nombre d’auteur(e)s, la situation a conduit souvent (ou conduira) à la rupture avec l’éditeur, et elle ou il lui faudra alors soit en chercher un autre, soit se résoudre à éditer par ses propres moyens. Et beaucoup d’auteur(e)s devront ainsi, la mort dans l’âme, abandonner leurs projets d’écriture, n’ayant pas les moyens de poursuivre l’aventure. Et bonjour les dégâts psychologiques dus à cet échec que l’auteur(e) en toute logique et humainement trouvera d’une extrême injustice.
À compte d’auteur ou en microentreprise
Une minorité d’auteur(e)s animé(e)s de leur immense foi en la qualité de leur écriture qu’elle juge ‘‘méconnue’’ et injustement occultée, se résoudra alors — ultime décision pour ne pas abandonner leurs projets et leurs rêves d’écriture —, à éditer à ‘‘compte d’auteur’’ ou devenir ‘‘autoéditeur’’. Cela impliquera de trouver ou de disposer d’un apport d’argent pour l’impression et les frais en découlant (maquette, mise en page et autres), cela sans savoir si les éventuelles ventes réussiront à payer le règlement des frais avancés en amont ou restant à régler par la suite, au moins en partie, et cette situation obligée surviendra surtout sans savoir quel sera le sort réservé par les lectrices et les lecteurs à l’ouvrage.
Puis le chemin de la vente/commercialisation se révélera encore plus ‘’hard’’. Il faut alors tout faire tout seul, de la maquette, en passant par la mise en page, les relectures, les corrections éventuelles, à l’impression, puis à la promotion en passant pas la distribution et la vente dans les librairies et divers points de vente, ou de la main à la main auprès des amis, des proches de la famille, ou des connaissances. Impliquant des discussions avec les distributeurs ou libraires pour pouvoir exposer et y vendre son ouvrage, puis les visites répétées pour encaisser quelques maigres bénéfices pour un éventuel règlement des ventes.
Microentreprise
Certains, comme moi, ont opté pour la création d’une microentreprise. Mais tout alors doit être fait par le micro-entrepreneur. Dans mon cas, Fiara éditions[2].
Me concernant, je me suis résolu à me lancer dans cette expérience, suite à quelques divergences avec certains de mes éditeurs du début. Je n’édite que mes ouvrages.
Dans les faits, toutes les microentreprises/maisons d’édition, quand elles ne reçoivent aucune subvention comme la mienne, et cela même si elles éditent plusieurs auteur(e)s, n’auront au final pour perspective de ne réaliser, après plusieurs mois de vente, que quelques maigres bénéfices, l’objectif principal étant d’abord pour elles de rentrer — rapidement — au mieux dans leurs frais (maquette, mise en page, impression, commercialisation, frais de déplacement…), sinon au pire d’avoir commis un ouvrage avec une histoire et un contenu qui tiennent plus ou moins la route, et d’avoir réussi à le publier.
Du travail, des soucis, des problèmes financiers, de la sueur, des déplacements, chargés de boîtes ou de sachets pour distribuer nos ouvrages… ce sera le train-train des auteurs et des microéditeurs avec finalement, pour seule et réelle satisfaction, le plaisir réconfortant et stimulant de rencontrer des lectrices et lecteurs dans des échanges amicaux lors des séances de dédicaces ou dans des librairies, salons ou foires, qui nous mettront du baume au cœur grâce aux encouragements et parfois aux félicitations qu’on nous octroiera pour notre travail. Et cela nous fera alors oublier les embûches et les difficultés en tous genres rencontrées, nous incitant à persévérer et à poursuivre dans l’écriture, ce qui nous motivera amplement pour repartir de plus belle pour de nouvelles aventures d’écritures.
Pierre Poggioli
[1] À ce sujet, lire l’article paru il y a quelques années, rédigé par Anna Topaloff et Xavier Houssin résumant fort bien cette situation (Marianne – 27 octobre 2007). https://www.facebook.com/EditionsFiara/posts/153172552021312