TRIBUNE LIBRE : UN ROMAIN D’OPPORTUNITÉ ?

TL_Vergio

Ce début de 21ème siècle a été le témoin de toute une série de mutations géopolitiques à l’échelle de la planète. Sur le continent Européen, parmi les différents mouvements observables, la place des revendications des peuples sans États (ou Nations sans États) n’est pas marginale puisque l’explosion des revendications en ce sens a jalonné les derniers mois.

La Catalogne est en effet, depuis de longues années, engagée dans un processus de sécession avec l’Espagne que d’aucuns aimeraient accomplir dans un délai très court.

L’Écosse a récemment voté pour son indépendance lors d’un référendum souverain où le « Non » à l’indépendance l’a emporté d’une courte tête.

Cependant, malgré ce relatif échec, la reconnaissance officielle d’un tel vote par la couronne et le pouvoir britannique et le découpage par tranche d’âge des votes (avec un vote massif des jeunes envers le « oui ») semblent ouvrir la voie à une indépendance à moyen ou long terme.

Si, en tant que militants nationalistes, il est naturel de se réjouir d’une telle évolution du cours de l’histoire, il est tout de même autorisé de s’interroger sur les raisons d’une telle mode pour l’émancipation de nos peuples.

En effet, les revendications légitimes sur le plan historique, politique, sociétal, existent depuis longtemps. Les peuples Corse, Catalan, Écossais, Basque, Breton existent et leurs droits sur leurs territoires ne sont pas les fruits de la conjoncture des 30 dernières années mais plutôt la matérialisation d’une évidence séculaire.

Toutefois, comment ne pas voir une corrélation entre les crises des États centraux, qui éprouvent de plus en plus de difficultés à définir ce qu’ils sont et à répondre aux attentes et aux problèmes de leurs citoyens, et ces nouvelles aspirations de liberté ?

Dans les récents débats sur l’indépendance de la Catalogne, la puissance économique de cette dernière et le frein que constituait le reste du territoire espagnol pour son développement consistait un argument-massue pour convaincre les citoyens catalans.

En somme, le désir d’indépendance aurait davantage été justifié par une logique pragmatique, rationnelle et économique. Ce n’est pas le sentiment national ou le désir de constituer une communauté distincte pour participer à la construction du monde qui seraient déterminants mais davantage la possibilité de quitter une entité qui affiche des niveaux de chômage et de précarité inquiétants.

Ce n’est donc pas la fierté « d’être catalan » qui primerait mais la « colère » de devoir partager le même destin que le précaire madrilène.

De la même manière, la force économique de l’Écosse et ses nombreuses ressources ont conduit certains partisans de l’indépendance à développer un discours visant à persuader les écossais du bien-fondé de l’indépendance en appuyant sur une possible navigation indépendante bien plus vertueuse qu’en restant attaché à l’entité britannique.

Là encore, ce sont davantage les difficultés de Londres qui conduiraient à ce désir d’indépendance.

En Corse, nous connaissons ce phénomène, dans une proportion plus raisonnable. En effet, un « nationalisme » d’opportunité semble faire son chemin, en justifiant un désir d’émancipation sur la volonté de ne plus emprunter le chemin d’échec dans lequel s’engage l’Hexagone à bien des niveaux (économie, identité, sécurité, modèle social, justice, etc.).

Dans cette nouvelle perspective, l’héritage de Paoli, la nécessité d’une langue corse vivante, la volonté de conserver un logiciel et un mode de vie propres à l’île deviennent secondaires et l’idée première reste de larguer les amarres pour ne pas partager le déclin d’une puissance passée.

C’est pourquoi, tout en balayant l’essence même du nationalisme, dont les motivations résultent d’une lutte d’un petit peuple qui cherche à vivre, motif infiniment supérieur au seul intérêt temporel et factuel, de nombreuses personnes arrivent à concilier le sentiment entier d’appartenance à l’entité française et la volonté de voir la Corse s’en émanciper.

S’il est peut-être précoce d’agiter le risque d’une Corse souveraine mais vide de sens, devenue une simple construction artificielle d’une France que d’aucuns auraient considéré comme « Terre perdue » et qui verraient en l’île un « Eldorado », la vigilance s’impose sans aucune réserve.

Nous serions en effet une bien pauvre Nation si nous écrivions les premières pages de notre histoire en n’ayant pour seule ambition commune de tenter une aventure solitaire avec l’espoir qu’elle apporte de meilleurs résultats empiriques que notre précédente situation.

Il s’agirait même d’une forme d’opportunisme, d’égoïsme, contraire aux valeurs de solidarité de notre peuple.

Le nationalisme, sinon pour des raisons géostratégiques, n’a aucun intérêt à l’affaiblissement ou à l’effondrement de la France. Un idéal nationaliste qui a du sens se doit d’être aussi solide selon que Paris soit fort ou faible, selon que la France ait un taux de chômage à 3% ou à 30%.

Quelle crédibilité aurions-nous si notre envie de liberté était à géométrie variable, avec une forte manifestation extérieure à chaque difficulté française, avec une omission volontaire à chaque sursaut de Paris ?

Je souhaite de tout mon cœur que la France trouve les moyens de survivre à son agonie et qu’elle poursuive sa route de vieil État (sans aucune connotation négative) plutôt que de piétiner la mémoire de ses défunts, au propre comme au figuré, car le peuple français le mérite.

En revanche, j’espère ardemment, et avec encore plus de volonté, que la Corse poursuive son chemin de la liberté, indépendamment de la réalité métropolitaine.

Car le peuple Corse, la Nation Corse et la souveraineté de notre île sont autant de réalités qui se justifient en tout temps et en toute époque. Ce ne sont pas des notions qui peuvent s’effacer dès lors que l’intégration à la France soit en mesure de nous apporter ce que nous attendons.

Être nationaliste, ce n’est pas considérer que la Corse peut mieux tirer son épingle dans ce grand jeu qu’est la politique en dehors d’un cadre français affaibli, c’est considérer que, peu importe la puissance de l’occupant, la France est illégitime sur le territoire de notre île. C’est clairement le refus de reconnaître la France comme notre patrie.

Ce sont des idéaux pour lesquels il faudra se battre, quitte à perdre certains avantages.

La perspective de construire un pays et de ressusciter un rêve, même dans la difficulté, fera de nous des Hommes bien plus dignes d’intérêt pour l’Histoire que l’opportunisme de ceux de la quête du résultat présent.

Vincent Gambini

 

 

 

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