TRIBUNE LIBRE : COLLECTIVITÉ UNIQUE. UNE ÉVOLUTION DÉJÀ DÉPASSÉE…

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Comme sous la précédente mandature (à travers la commission Chaubon notamment), le nouvel exécutif de la Collectivité territoriale de Corse semble avoir fait de la collectivité unique son projet phare au niveau de l’organisation des pouvoirs et des institutions sur l’île.

Alors que les pro-collectivité unique (les nationalistes et les forces progressistes pour faire simple) et les anti-collectivité unique (les élus inquiets pour leur siège et les campanilistes pour l’essentiel) continuent à s’affronter dans l’arène politique, il s’avère que les deux voies pourraient constituer une impasse.

L’impasse du statut-quo a tout juste besoin d’être développée car il est évident que l’organisation institutionnelle, politique et administrative actuelle de la Corse ne correspond en rien aux aspirations du peuple Corse.

Si on se place sur le plan du pragmatisme, la superposition des structures pour une si petite île n’est plus possible sauf à accepter de courir vers le précipice.

360 communes (alors même que des États de plusieurs millions d’habitants en Europe en comptent moins !), 2 départements, une collectivité territoriale et des EPCI[1] qui s’accumulent pour gérer le destin d’une île de 350 000 habitants seulement… Comment envisager que cette situation perdure ?

Si on reste sur le plan idéologique, il est certain que l’histoire de la Corse, son destin de peuple en marche et la volonté formulée clairement lors du dernier scrutin territorial attestent d’une volonté de changement profond et d’une nécessité de voir la Corse se doter d’institutions fortes.

Toutefois, l’héritage politique de ses 50 dernières années de (combats et de luttes) politiques nous oblige à admettre qu’une majorité nationaliste ne peut se contenter de cette collectivité unique, autant pour des raisons institutionnelles que politiques.

Sur le plan institutionnel d’abord, rappelons que la suppression des départements au profit d’une seule grande collectivité est un atout incontestable. L’échelon départemental n’a en effet, contrairement à certains territoires de l’hexagone, jamais représenté quoi que ce soit pour les citoyens corses.

Avons-nous seulement une fois entendu quelqu’un clamer « Je suis Corse, mais du Sud » ou bien « Je suis de Haute-Corse » ?

De plus, cette collectivité rapprocherait la gestion des affaires publiques de l’île de la notion d’optimum dimensionnel, très en vogue actuellement, et qui consiste à définir des territoires pertinents dans la gestion des collectivités publiques.

Tempérons toutefois cette notion, poussée à l’extrême, peut aussi entrainer une légitimation du discours visant à supprimer l’échelon communal et à rationaliser à tout prix chaque pan de l’organisation administrative et institutionnelle selon une seule logique comptable inadaptée.

Cependant, la collectivité unique, telle qu’elle se profile, semble être bien maigre.

Les ordonnances, censées faire le point sur ses modalités d’organisation mais aussi sur les éventuels transferts de compétences (et de moyens !), risquent d’être réduites au strict minimum.

De plus, alors que nous aurions pu nous réjouir de la disparition de l’échelon départemental pour les raisons évoquées ci-dessus et peut être d’autres encore (notamment sur les utilisations clientélistes des Conseils Départementaux), la tentation de les faire « ressusciter » à travers d’obscures ersatz comme la Chambre des territoires est grande (même si l’idée de la répartition territoriale des élus est une réelle question, mais qui peut se résoudre autrement que par la constitution d’un tel organe).

Il sera difficile de ne pas céder aux multiples pressions que certains, inquiets de voir le nombre d’élus baisser de manière significative avec cette réforme, mettront en place mais il le faudra sans inventer de nouvelles structures qui puissent les remplacer et ainsi mieux faire « passer la pilule ».

Attention donc à ne pas créer une collectivité unique qui réinvente le département sous une autre forme et qui ne soit qu’une version réduite de l’initial projet plus ambitieux.

Mais là où la collectivité unique marque véritablement le pas, c’est sur le plan politique.

Rappelons en effet que ce projet a été mis en place sous la mandature du président Paul Giacobbi, et sous la plume de conseillers exécutifs comme Pierre Chaubon, membre du Parti Radical de Gauche et républicain de conviction. La collectivité unique n’est pas le projet institutionnel de la famille nationaliste, il est le projet de réformateurs républicains qui cherchent à concilier l’esprit de la 5ème République Française avec l’aspiration au développement et à l’émancipation de la Corse. Le projet nationaliste est au contraire de chercher les moyens d’émanciper la Corse de cette même 5ème République, la différence est conséquente !

Faire de ce projet, un cheval de bataille nationaliste laisserait à penser que le projet institutionnel d’une majorité républicaine et celui d’une majorité nationaliste seraient similaires, ce qui serait dommageable sur le plan des idées.

Car ce projet de collectivité unique procède avant tout d’une vision de gestionnaire, et non d’une révolution pacifique faite par un peuple qui aspire à la vie et à la reconnaissance.

La nouvelle donne créée par le scrutin de décembre 2015 doit décomplexer les Corses et les institutions, qui ne doivent plus avoir peur d’être ambitieux, exigeants, qui ne doivent pas tout attendre de la politique des petits pas.

Il y a eu une révolution par les urnes, il faut qu’elle se transforme en réalité politique.

De plus, tâchons d’avoir à l’esprit qu’une mise en place de cette collectivité unique, dans sa matrice la plus petite, engagerait l’île sur les prochaines années, voire décennies.

En effet, qui imagine qu’un gouvernement acceptera de grandes mutations quelques mois après la mise en œuvre d’une collectivité unique ?

Le projet que doit mettre en place la nouvelle majorité sur le plan institutionnel va engager la Corse à moyen terme assurément, à long terme certainement, sur les 20 ou 30 prochaines années.

Par conséquent, il faut l’envisager comme un processus durable, suffisamment fort et nourri pour répondre à la volonté du peuple Corse.

Pour reprendre l’expression d’un militant de longue date, à qui je dois beaucoup : « La Corse ne se bat pas depuis 40 ans pour avoir la Collectivité unique ! ».

Evidemment, elle aspire à beaucoup plus. Et personne ne peut lui donner tort…

Vincent Gambini

[1] EPCI : Établissement public de coopération intercommunale (communauté d’agglomération, communauté de communes, etc.)

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