TRIBUNE LIBRE : LA DESSERTE MARITIME DE LA CORSE… POUR LES NULS

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L’auteur de ce texte, Gilbert Terrisse, n’est pas membre du cercle « I Chjassi di u Cumunu ». Il a néanmoins décidé de nous faire part de son point de vue sur la thématique des transports maritimes. Texte initialement écrit en 2015.

Introduction 

Bilan des dernières années de la desserte maritime de la Corse.

La desserte maritime vue par la CTC, les usagers Corses et les continentaux.

Proposition pour une compagnie maritime régionale.

Analyse alternative 

La Corse est une île : nous-mêmes habitants la Corse pensons que c’est un handicap. Les continentaux en sont convaincus. Il est courant d’entendre : «  La Corse coûte chère » c’est le leitmotiv des vacanciers, des agriculteurs, des consommateurs, des transporteurs…

Or, dans le monde entier et depuis la nuit des temps, la mer est un facteur inépuisable de richesses, de nourriture, de développement technologique. C’est aussi le vecteur des civilisations, des rencontres, de l’ouverture du monde et du brassage des cultures.

La première condition de la réussite d’un projet de desserte maritime de la Corse est de l’intégrer dans un ensemble plus vaste de la politique de la mer, dans le cadre d’une autonomie, qui permettrait aux corses de choisir leurs destinations et de contrôler le bon usage de leur argent.

C’est ce que nous avions proposé lors des élections territoriales de 2010, avec la création d’un Office de la mer, proposition qui n’a pas été validée, et dont la fonction a été noyée dans un office de l’environnement, qui a surtout produit des fonctionnaires.

La base de toute solution alternative est de changer de paradigme, de logiciel, et de partir du principe que d’être une île est une chance, et de voir dans le territoire maritime, une source de développement.

Bilan de ces dernières années pour la desserte maritime

La desserte maritime de la Corse ne pouvait pas connaître un meilleur sort, portée par des intérêts catégoriels, conçue dans une vision tout tourisme du développement économique, bâtie sur un modèle colonial à base de subventions, orientée par le pouvoir central vers le développement du bassin d’emplois de Marseille et de la région PACA.

Ces préalables énoncés, toute l’histoire de la desserte maritime de la Corse a été frappée au sceau, en étant indulgent du désintérêt pour le sujet, en étant réaliste de l’incompétence.

La continuité territoriale : un leurre. Comme disait un de mes amis producteur de charcuterie nustrale, «  l’aiutu à i trasporti casca in l’acqua à u mumentu di a travirsata ».

Les compagnies de navigation et en particulier l’ex-Société nationale maritime Corse Méditerranée (l’ex-SNCM), ont bénéficié d’une manne destinée à établir une équité sur le plan des prix de revient des marchandises nécessaires à la vie économique insulaire, qui ne produit rien. Or force est de constater que la vie est plus chère en Corse que sur le continent. A qui profite cette marge ?

La continuité territoriale et la Délégation de service public (DSP) prévue pour permettre aux usagers, résidents corses, corses de la diaspora, touristes… ne tiennent en aucun cas compte des réalités.

On distribue des subventions à fonds perdus à la SNCM, dont la gestion financière est calamiteuse. On y reviendra plus loin.

La liaison avec Marseille et plus généralement avec le continent, est imposée par l’État et les intérêts du bassin Provence-Alpes-Côte-D’azur (PACA). La Corse est leur vache à lait. Un constat : le personnel de la SNCM est de 2600 personnes, basé et vivant à Marseille, le seul développement économique – si on peut dire – ou le produit de richesse vie, ne profite qu’au bassin de Marseille. La TVA, les taxes locales, le siège luxueux (qui a coûté le prix d’un ferry) génère des ressources pour Marseille. Sans compter tous les services annexes qui se greffent à cette activité (dockers, acconiers, shipchandlers, pétroliers).

Marseille est la destination la plus lointaine et la plus couteuse pour aller en France à partir de la Corse.

On comprend mieux pourquoi l’État et la région PACA sont si empressés de vouloir, sinon sauver la SNCM dont l’état est désespéré, mais de maintenir une structure basée à Marseille.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets il n’y a rien à en attendre et la Collectivité territoriale de Corse (CTC) se doit de soutenir une solution alternative.

La SNCM est une anomalie économique. Quelque soit la solution adoptée dans le futur pour la desserte maritime la structure choisie ne pourra s’exonérer de règles rigoureuses de gestion.

C’est le temps des vaches maigres, les subventions se font rares et limitées, le portefeuille des touristes se rétréci.

La SNCM n’a pas anticipé cette évolution. Au contraire elle a consolidé les « avantages acquis » qui ne sont en fait que des privilèges injustifiés.

La technologie et l’électronique permettent aujourd’hui de manœuvrer les navires avec un joystick. Les nouveaux ferry au Gaz naturel liquéfié (GNL) ou mieux, hybrides, ne polluent pas et consomment moitié moins de combustible. En agissant sur ces seuls paramètres, l’activité de la desserte maritime de la Corse devient rentable, avec des tarifs plus abordables pour les usagers.

Cela explique l’intérêt de certains armateurs exotiques pour s’approprier à vil prix, la dépouille de la SNCM, et surtout, la desserte de la Corse.

Le combat des sociaux-professionnels est légitime, mais trop catégoriel. Nous leur proposons d’être partie prenante dans un projet alternatif, dont ils seront les acteurs, au même titre que les agriculteurs, les industriels, les usagers corses résidents et de la diaspora.

Un projet alternatif

Ceci n’est que ma vision d’un projet alternatif. Ma première question pourrait être ? Ces dernières années et mêmes ces dernières décennies avez-vous été satisfaits de la manière dont nos responsables ont géré le trafic maritime et plus généralement les transports ?

Les grèves destinées à défendre des privilèges, le coût exorbitant des traversées pour une famille, le clientélisme et surtout le manque de vision d’avenir pour la Corse, gérée comme la Corrèze ou le Poitou, par des élus incompétents ou des préfets sans initiatives. La desserte maritime a été un facteur aggravant de la détérioration de la situation économique de la Corse et, en conséquences : une augmentation de la précarité et de la pauvreté, qui font aujourd’hui de la Corse une des régions les plus pauvres de France.

Le projet alternatif doit prendre en compte l’urgence, c’est-à-dire, faire face à la faillite de la SNCM, assurer le court terme, pour éviter l’asphyxie de l’Ile. C’est à l’État et à la CTC de faire face à leurs responsabilités.

Notre démarche s’inscrit dans un plan à moyen et long terme. Elle implique donc une réflexion sur le modèle de société que l’on choisira pour la Corse, sur l’évolution des technologies de propulsion des navires et leurs configurations.

Dans 20 ou 30 ans les ports actuels avec des quais de 250 mètres et des profondeurs de 6 mètres seront inadaptés, car soit les bateaux seront atteints de gigantisme (comme on le voit actuellement pour les grands paquebots de croisières et pour les porte-containers), soit ils seront plus petits, avec un tirant d’eau plus faible, plus rapides et plus économiques en carburant. Dans les deux cas les projets de ports actuels en Corse sont inadaptés.

Dans une perspective de développement des activités liées à la mer, dans le cadre des responsabilités d’un « Office de la mer » que nous souhaitons depuis dix ans, il est vital pour la Corse de mettre en chantier une véritable politique des transports maritimes, coordonnée avec les transports terrestres. Dans toutes les zones maritimes du monde et plus spécialement dans les îles, se sont développés des transports de tous types.

Dans la partie suivante nous verrons le problème de la desserte maritime de la Corse par la création d’une compagnie maritime régionale.

Il faut cependant rappeler qu’il serait dommage de ne pas développer dans ce cadre le cabotage qui relie les ports de Corse et de Sardaigne entre eux. L’usage des rouliers, navires peu couteux à l’exploitation qui ne transportent que des remorques et délestent nos routes sinueuses des semi remorques. Un roulier c’est 300 remorques. Le développement des navettes et navires à passagers pour des capacités autour de 100 passagers, capables de desservir les plages, en supprimant les embouteillages habituels. Ces navires, souvent conçus sur la base de catamarans sont très économes en énergie, peu polluant et plus rapides que les véhicules à moteurs coincés dans les bouchons.

On peut constater qu’il y a là un formidable gisement d’emplois pour les Corses.

La compagnie maritime régionale

Notre proposition est la seule qui soit viable pour la Corse. Il ne s’agit pas de se présenter en adversaire des compagnies privées qui desservent la Corse depuis des années.

Il s’agit de répondre à la juste revendication des corses d’avoir la maîtrise de leurs transports c’est-à-dire de choisir leurs destinations, de récolter chez eux le fruit de leur travail, de créer des emplois qualifiés et pérennes pour la population.

Cela s’appelle l’autonomie. La compagnie régionale Corse peut se créer et démarrer rapidement. Elle peut utiliser des moyens existants en location ou affrètement, sans contraintes ni obligations imposées éventuellement par l’État.

Mais la solution est de planifier sur trois ans l’acquisition de nouveaux navires dont la nature, la destination, les priorités à prévoir seront définies par un comité technique.

Le financement ne devrait pas poser de problèmes puisqu’il semblait acquis de la part de la Banque publique d’investissement (BPI) et de la Cours des comptes (CDC à une société en cessation de paiement.

Pendant ce laps de temps, seront mises en place les filières de formation des marins, mécaniciens, personnels hôteliers, commerciaux et administratifs. La CTC aura là l’occasion de permettre la « corsisation » des emplois en créant au préalable… des emplois !

La compagnie maritime régionale se devra d’être vertueuse, et même exemplaire et de plus rentable. Déjà quand on l’évoque certains ont un sourire narquois et pensent à la gestion calamiteuse de la SNCM, et à la gabegie des offices de la CTC.

Le métier du transport maritime est spécifique. Il faudra recruter non pas un énarque ou un administrateur patenté, mais un armateur.

Le président Giacobbi parlait d’une Société d’économie mixte : pourquoi pas. Mais le moment est venu pour la Corse de construire une structure de type Sociétés coopératives et participatives (SCOP), c’est-à-dire dans la mouvance de l’économie sociale et solidaire.

Dans cette structure, le personnel, la CTC, des investisseurs institutionnels, mais aussi les agriculteurs, les représentants des sociaux professionnels seront représentés.

La paix sociale, garante d’un service permanent, débarrassée des conflits d’intérêts, des corporatismes, sera négociée et actée dans une charte.

La rentabilité : pour une compagnie maritime, avoir une clientèle acquise, un marché captif est une aubaine. C’est ce qui explique l’engouement des candidats à la reprise de la desserte maritime de la Corse, à condition d’être débarrassé de la dépouille de la SNCM.

Encore faut-il employer une méthode récursive pour définir un budget prévisionnel réaliste. Partir des recettes prévisibles et attendues pour chiffrer les capacités de remboursement des emprunts et définir la politique sociale et salariale de la compagnie.

Les gisements d’économie de gestion et de marges financières, sont connus et répertoriés :

  • Avoir des navires dont la consommation en énergie et en personnel soit divisée par deux ;
  • Faire plus de rotations ;
  • Diversifier les activités comme expliqué plus haut : rouliers, caboteurs, transport de passagers ;
  • Diversifier les destinations : Sardaigne, Italie continentale, Barcelone, etc.

Les économies réalisées permettront de mettre en application une politique sociale et salariale intéressante pour le personnel d’une part et de proposer une politique commerciale et tarifaire concurrentielle vis-à-vis du marché et préférentielle pour les résidents, les familles, les corses de l’extérieur, d’autre part.

La tâche est importante, mais il n’y a pas d’autres solutions.

Gilbert Terrisse

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