Introduction
Les caractéristiques de la Corse, une île montagneuse, sont présentées comme un handicap pour notre développement économique La solution souvent avancée par les milieux politiques et économiques pour pallier le « handicap de l’insularité » est d’augmenter les liaisons avec l’extérieur et de « désenclaver » les territoires de l’île.
La question donc est de savoir si le fait de disposer de ces infrastructures est l’assurance d’un développement harmonieux.
Transports et développement : un lien à nuancer
Le couplage entre la croissance des flux de personnes et de biens et le développement économique tant au niveau global que local, est une idée communément admise. Il parait logique de conclure qu’en facilitant les flux intra-îliens et avec l’extérieur, les infrastructures de transport permettront de « booster » notre économie et de développer nos territoires.
Or, cette idée mérite d’être nuancée. Pour certains économistes et même des urbanistes, ce lien automatique n’est pas prouvé (Prud’Homme et al., 2014). La mise en place d’infrastructures de transport peut parfois même engendrer des effets pervers, allant de la crise écologique à la destruction de certains commerces dits de proximité.
Pour eux, n’y a pas d’effet mécanique (Offner, 1993) entre augmentation de l’offre de transport et développement mais seulement des potentialités à exploiter.
Ils démontrent surtout que la mise en place d’une nouvelle offre dilate les aires de marché et accroit la concurrence. À titre d’exemple, l’implantation d’une gare n’entraine pas forcément autour d’elle la multiplication des commerces et des immeubles.
La conclusion de cette approche est que le développement des moyens de communication ne fait pas forcément le développement économique.
Si l’on applique cette idée à la Corse, on peut imaginer que plus les liaisons sont développées, par exemple entre une zone rurale et Aiacciu, plus les gens pourront faire leurs achats à Aiacciu au détriment des commerces du rural. De même, la facilitation des liaisons avec le Continent, permettrait une meilleure accessibilité de l’ile à des entreprises extérieures, au détriment des acteurs économiques locaux.
À certains égards donc, l’enclavement protège de la concurrence.
Quelles options pour un développement équilibré ?
Nous sommes donc devant un dilemme.
D’une part, le statuquo est exclu. Nous devons développer notre économie et pour cela accroitre nos moyens de communication, internes et externes.
D’autre part, l’augmentation non maîtrisée ou mal maîtrisée des moyens peut engendrer la ruine du peu d’économie présente sur notre île, au profit d’une économie plus agressive et beaucoup moins bénéfique à l’ensemble de notre peuple.
Il est donc impératif, tout en organisant les transports, d’identifier les secteurs capables de profiter de l’extension des aires marchandes et ceux qui vont en souffrir, et prévoir en conséquence les mesures d’accompagnement (fiscales par exemple) nécessaires.
Il faudrait parallèlement miser sur la réduction de la part de la « mobilité » au profit d’autres moyens, tirés des nouvelles technologies. Grâce au télétravail et autres services, l’utilisation des interactions « à distance » qui s’appuient sur les réseaux numériques permettrait aussi de réduire la pression des transports sur l’environnement, ce qui ne peut qu’être bénéfique, dans une île touristique comme la nôtre.
Conclusion
Nous voyons donc que deux approches sont possibles.
La première soutient que la mise en place des infrastructures de transports engendre automatiquement une plus-value pour les territoires. Le rapprochement d’autres acteurs, ainsi que des services divers favoriserait les gains indirects réalisés par les acteurs économiques. Les infrastructures sont donc vues dans ce cas comme un soutien à la compétitivité et à l’innovation.
Pour la seconde, les moyens de communication ne sont qu’une partie du système économique, et jouer uniquement sur ce paramètre ne détermine en rien un gain économique local. La problématique est générale et s’applique à tous les territoires du globe, mais pour la Corse elle est encore plus aigüe. Pour reprendre une phrase d’un ancien enseignant en sciences économiques qui se reconnaitra sans doute : « Il est stupide de parler d’infrastructures de transport si on ne sait pas ce que l’on veut transporter, pour qui et dans quel but ! ».
Nous affirmons donc que les politiques de transport et de communication doivent être intégrées dans des problématiques plus générales, au service d’un développement économique conforme aux intérêts collectifs du peuple corse.
Dans ce cadre, il est donc nécessaire de répondre aux questions suivantes :
- Dans un monde de plus en plus ouvert, qu’elle est la place et l’influence des transports et des moyens de communication ?
- En quoi sont-ils déterminants pour un développement économique dans un territoire insulaire comme le nôtre ?
- Quelles incidences peuvent avoir les choix politiques opérés en matière de transports sur le mode de développement économique local ?
- Pour une île, quel est l’impact sur l’emploi, de l’économie des transports elle-même (grands travaux, services de transport des marchandises et des personnes…) ?
Paul Medurio et Jean-Louis Rossi
Références
- Rémy Prud’Homme, Jean-Marc Offner et Emmanuel Ravalet (2014, 27 Février), « Les infrastructures de transport font-elles le développement économique ? », Forum Vies Mobiles – Préparer la transition mobilitaire. Consulté le 18 Mars 2016, URL: http://fr.forumviesmobiles.org/controverse/2014/02/27/infrastructures-transport-font-elles-developpement-economique-2198.
- Jean-Marc Offner (1993), « Les « effets structurants » du transport : mythe politique, mystification scientifique », Espace géographique, 22 (3), 233-242, http://www.persee.fr/doc/spgeo_0046-2497_1993_num_22_3_3209.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.