CONTRIBUTION : L’8 DI DICEMBRE, DA A LEGENDA À A STORIA

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Crédits : AirToon

« – Chimère ! Dites-vous. Une nation ne ressuscite pas quand sa mort remonte à plus d’un siècle. Je vous dis, moi : Blasphème ! Ce sont les hommes qui font l’histoire. »

A Cispra, marzu 1914

La Fête du 8 décembre gagne en ampleur chaque année.

Il nous faut, pour envisager ce phénomène, détailler chacun des éléments constitutifs de cette manifestation nationaliste par excellence.

Notre titre prend à rebours la phrase communément employée : de l’Histoire à la légende. Nous verrons tout au long de notre exposé en quoi cette démarche est voulue.

Nous allons donc envisager la fête du 8 décembre sous l’angle historique avant de nous plonger dans ses ramifications politiques et sociales au cours des siècles qui suivirent l’épisode bref mais néanmoins puissant de l’indépendance du Royaume de Corse. Enfin, nous aborderons le caractère constitutif national de cette fête et des éléments qui s’y rattachent.

I. De la légende 

I.1. Les faits 

1735.

Cette année-là, les révolutionnaires corses se réunissent du 6 au 8 janvier dans la Pieve d’Orezza, au couvent San Francè di Casabianca, lieu où ils s’étaient déjà réunis l’année précédente afin d’officialiser le mouvement de rébellion contre les génois.

Les insurgés mettent au point une organisation politique et juridique écrite et souveraine du royaume de Corse en 15 articles. Un certain Sebastianu Costa rédige le document.

Les chefs corses, Andria Ceccaldi, Luigi Giafferri et Ghjacintu Paoli proclament la Corse indépendante, en révolte contre Gênes et se réunissent en assemblée constituante.

La Constitution qui sera rédigée lors de cette assemblée clandestine aux yeux de Gênes établit plusieurs points fondamentaux :

  • L’organisation de la Nation :
  • Trois Primati di u Regnu (Ghjacintu Paoli, Luiggi Giafferi et Andria Ceccaldi): Sorte de Triumvirat basé sur le modèle romain de gouvernance.
  • Une Ghjunta di i Dodeci, avec les Primati à leur tête constituant l’Autorité Suprême de la Nation.
  • Un Uffiziu di a Guerra, composé de six membres : quatre lieutenants généraux nommés le 18 Avril 1734 (Ghjuvan Ghjacumu Ambrosi, Simone Fabiani, Ignaziu Arrighi, Orsu Vechju Paoletti), plus Anghjulu Luiggi Luccioni, de Pedicorti, et Tomasu Santucci, d’Alisgiani.
  • Un Office de l’Abondance ou bureau de prévoyance, Uffiziu di Abbundanza, gère l’approvisionnement des populations.
  • L’Uffiziu di i Padri di u Cumunu, composé de six membres, a pour charge l’arbitrage dans les litiges relatifs aux biens communaux;
    À la tête de chaque province, un chef, Capu è Commandante, juge toutes les causes qui ne relèvent pas du tribunal suprême, A Ghjunta Suprema ;
    ·  L’élection et la nomination d’un Secrétaire d’État et Garde des Sceaux, Secretariu di Statu è Guardiasugelli.
    ·  La nomination d’un Commandant en Chef des Armées, Capitanu Generale di i Armi et, à la tête de chaque province, d’un Lieutenant Général, Tenente Generale.
    ·  La création d’un Office de la Monnaie, Uffiziu di A Muneta, avec toutes ses prérogatives;
    ·  L’abolition de toutes les lois et statuts établis par Gênes ;
    ·  L’indépendance des Uffizie et de leurs décisions, qui ne peuvent être contestées que par la Ghjunta Suprema ;
    ·  L’élection d’un auditeur, Auditore Generale, auprès de la Ghjunta Suprema
    ·  La nomination des officiers des milices.
    ·  La nomination des chanceliers des Uffizii.
    ·  La fixation des tarifs des Uffizii, à observer sous peine de mort.

En dernier lieu, la Cunsulta adopte l’étendard blanc, peint de l’image de l’Immaculée Conception et non de la tête de maure, qui n’interviendra que plus tard dans les représentations de la nation corse.

Ici, nous allons quitter la route de l’histoire pour nous aventurer sur les sentiers tortueux de la mythologie (et n’y voyez ici aucune connotation péjorative de notre part).

La source textuelle la plus précise et impartiale de cette époque sont « Les Mémoires » de Sebastianu Costa, jurisconsulte émérite, secrétaire d’état et conseiller des chefs de groupes. Ce dernier, en fervent patriote, décrira fidèlement le règne du Roi Théodore de Neuhoff, les évènements de son époque et sera amené à rédiger la première constitution de 15 articles produite lors de la Cunsulta d’Orezza.

Or, la coutume veut que, lors d’une Cunsulta in Corti, les 30 et 31 janvier de l’an 1735, les patriotes corses procèdent à la rédaction d’éléments ajoutés à la première constitution. À savoir 7 articles qui comportent, entre autres choses, les items suivants :

  • L’Article 1 consacre l’Immaculata Cuncezzione di Maria Virgine, patronne et protectrice du Royaume.
  • L’Article 2 précise que la Ghjunta Suprema publiera un Codice, loi du royaume de Corse applicable à tous, dans les quinze jours à venir.
  • Le Dio vi Salvi Regina est adopté comme hymne national. La dévotion à la Vierge, publique et officielle, correspond à l’histoire religieuse de la Corse. Dans une île très tôt évangélisée (on parle du IVème siècle), Marie a toujours représenté l’image de la mère terrestre et céleste. Sous l’empire romain païen, de nombreux martyrs, parmi lesquels Dévote et Julie, patronnes de l’ile de beauté, témoignèrent de leur foi par leur sang. L’Empereur Constantin Premier, après avoir institué le christianisme religion officielle de ses États, offrit la Corse au Vatican et étendit le culte de la mère du Christ.

Le « Diu » se rattache donc au culte de cette dernière qui connut au XIII siècle un prodigieux développement. Le nom de son premier auteur ne nous est pas parvenu. On a parlé de Saint Bernard, puis on a invoqué un moine allemand du XI siècle, Hermann Contract de Reichenau, mort en 1054.

Cependant, quelques recherches précises nous permettent de dégager la réalité factuelle :

À la fin du XIe siècle, l’évêque du Puy, Adhémar de Monteil écrit, en latin, le Salve Regina. Il deviendra l’un des chefs de la première Croisade. Il meurt à Antioche en 1098.

En 1571, Les Capucins poussèrent les corses à participer au nom de la Vierge à la bataille de Lépante d’où ils ramenèrent le Rosaire, l’Angélus, le scapulaire et les litanies. L’influence des Franciscains ainsi que ces évènements pesèrent dans les décisions politiques de la République de Gênes qui proclama en 1638 la Vierge Marie patronne du royaume de Corse.

Plus tard, au XVIIe siècle, le jésuite Francesco de Geronimo, originaire de Grottaglie (province de Tarente) s’occupait des plus démunis des quartiers mal famés de Naples. Il désirait leur offrir une version du Salve Regina qui puisse être comprise par tous. Ce n’est pas exactement une traduction du texte latin d’origine mais il produit un chant qui se répandra comme une trainée de poudre dans les rues de la cité italienne.

C’est donc à Naples, où une forte présence de corses au XVIème siècle est à souligner, que prend naissance la forme actuelle du « Diu vi salvi Regina ».

Afin de défaire la prééminence des lois ligures et de mettre un terme à cette oppression centenaire, les chefs de la rébellion placent l’île sous la protection de l’Immaculée Conception et instituent le Dio vi salve Regina, hymne marial (c’est-à-dire louange et non marche militaire comme la plupart des hymnes) composé en italien sur le modèle du Salve Regina au début du XVIIIème siècle par un jésuite napolitain du nom de Francesco de Geronimo, en hymne national.

À la différence de la plupart des autres hymnes, le Diu précède d’une centaine d’année l’époque de construction des États-nations modernes qui se doteront aussi d’artefacts identitaires du même acabit.

Voici la traduction de l’article 1 de cette seconde version de la Constitution du Royaume de Corse :

« Nous élisons, pour la protection de notre patrie et de tout le royaume l’Immaculée conception de la Vierge Marie, et de plus nous décidons que tous les armes et les drapeaux dans notre dit royaume, soient empreints de l’image de l’Immaculée Conception, que la veille et le jour de sa fête soient célébrés dans tout le royaume avec la plus parfaite dévotion et les démonstrations les plus grandes, les salves de mousquetons et canons, qui seront ordonnées par le Conseil suprême du royaume. »

Le Roi Théodore lui-même, par souci de se ménager les faveurs du clergé et pour entretenir la ferveur populaire, fait battre monnaie à l’effigie de la Vierge.

En 1755, Paoli sera élu Général de la Nation corse. Une nouvelle constitution est rédigée, prévoyant la séparation des pouvoirs et les règles de justice à observer sur tout le territoire.

Aujourd’hui, les éléments de 1735 et 1755 se mélangent dans l’esprit collectif populaire pour ne plus former qu’une chimère historique qui procède de l’aspiration d’un peuple à la liberté la plus fondamentale.

I.2. Les problématiques 

Cependant, nous sommes ici face à deux questionnements historiques et pragmatiques d’envergure :

Le premier est soulevé par le professeur Jean-Yves Coppolani:

« Pour certains auteurs, il n’est pas envisageable qu’il y ait eu une consulte à Corte trois semaines après celle d’Orezza, et le texte du 30 janvier serait donc apocryphe ou du moins n’aurait aucun caractère officiel. »

Les dates sont trop rapprochées. Cela aurait été risqué pour les rebelles corses.

Une seconde problématique de taille se présente :

  • Sebastianu Costa ne mentionne pas une seule fois, dans son œuvre, l’existence d’une Cunsulta di Corti, le 30 janvier 1735, durant laquelle les patriotes auraient rédigé une constitution à 22 articles.

Jean-Marie Arrighi appuie ce propos:

« C’est bien en 1735, à Orezza et non à Corte comme on l’a longtemps cru, que s’est tenue cette consulta. Le texte adopté, connu par les Mémoires de Costa, est plus sobre qu’un autre souvent diffusé, et ne parle ni de l’Immaculée Conception patronne du Royaume, ni d’innombrables titres d’illustrissimes ou d’altesses royales. »

Cette seconde version augmentée de la Constitution, le scientifique l’explique ainsi :

« Toutes les délibérations des consultes donnaient lieu à des nombreuses copies ou prétendues telles qui couraient çà et là entre les mains d’informateurs, d’espions, de propagandistes, dont l’information s’abreuvait à toutes les sources, même les plus douteuses, et dont l’exactitude n’était pas le principal souci. »

Et Coppolani de préciser :

« Les deux textes ne sont cependant pas incompatibles et l’on peut admettre, comme le fait entre autres Marie-Thérèse Avon-Soletti, que le texte donné par Sebastianu Costa dans ses mémoires est le projet à l’état brut tandis que l’autre est le reflet de la version définitive ».

Pour Arrighi aussi ce n’est pas totalement faux :

« Cela ne signifie pas cependant que ces éléments n’aient pu être votés à côté du texte principal ».

Quoi qu’il en soit, les autres textes mentionneront l’Immaculée Conception « que l’on retrouve comme préambule des consultes suivantes » écrit Coppolani.

Déclarer ainsi la Vierge patronne de l’île était une manière de supplanter les génois qui la reconnaissaient aussi comme tutélaire et de poser ainsi la jeune Nation corse sur un plan d’égalité par rapport à la République génoise.

De plus, il faut savoir le rôle des théologiens dans la généalogie de la révolution corse. A Orezza, ils sont 20 à offrir l’hospitalité aux chefs de guerre corses. Ils seront 20 à déclarer ce soulèvement patriote saint et juste.

De fait, la sacralisation de cette révolution doit être placée sous les augures célestes les plus pieux et les plus miséricordieux. Cette révolte, comme le fut la conception de la Très Sainte Vierge, est immaculée, ne présentant pas les marques de souillure inhérentes aux autres nations conquérantes.

C’est ainsi qu’elle figurera sur l’étendard de la jeune nation avant même la Testa Mora que nous adoptons fièrement aujourd’hui.

Ainsi, afin de constituer une entité nationale cohérente et représentative, à l’instar des nations du monde, nous devons placer notre communauté de vie, notre communauté historique, sous la tutelle de ces 3 éléments fondamentaux de l’identité qui sont le drapeau, l’hymne et le corpus juridique suprême.

Il ne s’agit pas là simplement d’une revendication politique mais bel et bien du droit fondamental d’un peuple à disposer de lui-même sous l’arc des valeurs qu’il a choisies

II. De l’histoire 

Nous avons peu ou pas de témoignages sur les manifestations relatives au 8 décembre au cours du XIXème siècle ainsi qu’au début du XXème siècle. Nous ne savons pas si elle était fêtée ou célébrer de quelque manière que ce soit.

Pourtant, c’est au XXème siècle que l’esprit de la nation ressurgira.

Le 8 décembre 1966, le journal Arritti produit sa première parution officielle. Date éminemment symbolique se plaçant sous la tutelle de l’épopée paoline, quasiment une référence aux « Ragguagli dell’isola di Corsica ».

Par la suite, dans les années 80/90, les militants de l’UPC (Unione di u Populu Corsu) font de la Festa di a Nazione un cheval de bataille politique qui sera repris ensuite par les divers syndicats étudiants de l’île.

En 1998, « A Ghjuventù Paolina » obtiendra un jour de congé annuel, le 08 décembre pour le personnel et les étudiants de la Faculté de Corse. La Place Paoli devient le lieu de festivités, une messe est donnée, un banquet est dressé, les chants résonnent dans la cité paoline.

Ces mêmes étudiants occuperont deux fois l’Assemblée de Corse afin d’obtenir des élus une sacralisation de cette date qui cristallise les aspirations d’une jeunesse plongée dans une détresse sociale et culturelle qui n’a d’égale que la violence des affrontements entre nationalistes.

L’Associu di i liceani corsi leur emboitera le pas, propageant dans les centres d’enseignement de l’ile l’énergie nécessaire à la mise en route de projets pédagogiques relatifs au 8 décembre.

Depuis lors, A Festa di a Nazione continue à se propager et à produire des évènements liés, pour l’essentiel, à la communauté éducative.

Ainsi, de cette « délicatesse » historique, les corses des écoles, collèges, lycées et de l’université s’en sont saisis et l’ont faite Histoire, puisque désormais en voie d’institutionnalisation (rectorat…).

Car c’est par l’instruction, l’éducation et l’enseignement que nous reconquérons notre esprit de nation, par l’emploi de la langue, l’étude sérieuse de notre histoire et par la célébration des moments glorieux de celle-ci. C’est par le biais de l’éducation nationale que la France a tenté de nier notre passé et nous a forcés collectivement à l’adhésion aveugle à ses références mythologiques et politiques.

Or, nous assistons à la commémoration fertile et productive de ce jour et la réappropriation de ce jour par les corses.

Ainsi, en 2014, un certain nombre d’évènements ont vu le jour. Parmi les plus importants :

In Ruglianu incù Cunferenze, musica è spulendata.

In Conca, incu sfilata paulina, addunita cù e bandere, messa cantata, cannunate, veghja, cuncertu è manghjusca.

In Parigi, in Issy-Les-Moulineaux, pè i Corsi di Parigi è di u circondu, anu datu una messa è fatu festa a sera à a Casa di u Populu.

In Corti: Prugramma tutta a ghjurnata è veghja a sera.

In Bastia: Una sfilata era organizata da Voce Pupulare è dinò una corsa di a Spassighjata, a sera un cuncertu in piazza di u Mercà, tutti i cullegi è licei di Bastia à a sala pulivalente di Lupinu per una stonda musicale in giru à a Nazione.

In Aiacciu: L’APC organizò una cerimonia davant’à a statua di Pasquale Paoli.

È dinò In Ulmetu, in Fiumorbu è per tutti sti rughjoni.

III. De la légende à l’Histoire ou la construction des identités nationales 

Les nations modernes ont fondé leur unité sur des bases ancrées dans les mythes nationaux.

La France a instauré le 14 juillet en tant que fête nationale en sacralisant la prise de la Bastille (la Fête de la Fédération de 1790, s’il nous faut être plus précis). De même, son hymne ne date pas de 1789 mais de 1792 et ne sera adopté comme hymne officiel qu’en 1879.

La France a ainsi construit sa symbolique nationale au cours du XIXème siècle, tout en appuyant cette structuration sur le développement des musées (permettant ainsi le développement d’une histoire commune par l’exposition d’artefacts historiques ou naturels) et par l’école publique laïque.

La Corse s’est choisie, par son histoire contemporaine, le 8 décembre, le Diu et la tête de maure comme piliers fondateurs de son identité nationale.

Ce n’est pas la seule qualité de l’hymne corse. Si les autres hymnes célèbrent des dates, personnages ou évènements historiques relatifs à l’histoire ou à leurs mythes fondateurs, le Diu vi salve Regina célèbre lui la Vierge Marie. L’hymne et le jour de consécration de la nation se rejoignent en ce point de foi.

Les piliers symboliques de la nation corse possèdent une réalité chrétienne indéniable. Cependant, il y a une nécessité absolue à établir un distinguo : La Corse possède une culture chrétienne indéniable et irrévocable (environ 1800 de christianisation) mais il ne faut pas pour autant parler de racines chrétiennes, à moins de nier notre passé étrusque, carthaginois, romain.

Le 8 décembre est la date de l’Immaculée Conception.

L’hymne corse est un hymne religieux en hommage à la Vierge Marie. Le premier drapeau de la nation atteste de cet attachement à la Mère de Dieu.

Cependant, si nous nous référons à la notion de nation (cf. notre article précédent « Considérations sur l’être corse »), il nous faut, à notre tour, édifier ce qui se posera en qualité de fondations de cette dernière. Pour se faire, nous invoquerons ici la trilogie communément adoptée lorsqu’il s’agit de définir scientifiquement l’œuvre de construction nationale. L’identité collective se fonde sur :

  • L’identification des ancêtres.
  • Une langue commune.
  • Une histoire et une mythologie communes.

Nous avons déjà développé ces 3 items dans un article précédent.

Ces 3 axes principaux ne pouvant être solidifiés de manière stable et pérenne que par le biais de 3 autres éléments :

  • L’éducation populaire : l’introduction dans la vie pédagogique des élèves (et ce dès le primaire).
  • L’enseignement : La nécessité de conserver nos ressources humaines volontaires sur le territoire est d’autant plus forte dans ce projet éducatif d’envergure.
  • L’évènementiel socio-historique.

IV. Des bases de la nation                                                                                                       

Reprenons les 3 items précédents :

  • L’éducation populaire : « Educatio », à savoir élever (favoriser la croissance). Cela signifie que la mission fondamentale de l’éducation populaire favorise l’implication dans les processus pédagogiques et formateurs de concepts politiques, historiques et philosophiques par la mise en pratique des sciences et techniques, la participation aux activités culturelles, aux sports, aux actions citoyennes et aux activités ludiques.
  • L’enseignement : Réinscrire l’enseignement des humanités au cœur des dispositifs éducatifs en favorisant l’ouverture d’esprit, la curiosité. Transmettre le savoir, certes, mais avant tout l’appétit de découverte favorisant le développement et l’émancipation du système de perception/conscience de l’élève.
  • L’évènementiel socio-historique : Il s’agit ici de dépasser le stade de la commémoration. En effet, la science sur laquelle nous devons baser nos actions éducatives et émancipatrices est l’histoire.

Bien évidemment, le système « scolaire », quelle que soit sa forme, ne doit pas devenir un palliatif à l’absence d’éducation parentale.

Si les points que nous avons abordés précédemment sont incontournables dans la construction de la nation, le rôle de transmetteur des parents est inaliénable.

Il s’agit bien plus d’établir une alchimie qui consiste à impliquer de manière sacerdotale et solidaire les différents intervenants de la croissance physique, mentale, intellectuelle et spirituelle des générations à venir.

L’une des questions qui se posent à nous, au vu de l’analyse du phénomène de la Festa di a Nazione, est la place de la laïcité et, de fait, des religions, dans l’espace de vie que nous partageons dans l’île, de la manière dont nous envisageons un avenir qui, nous l’espérons, sera celui de l’autodétermination et du développement.

Ainsi, il nous faut revoir notre concept même de laïcité, à contre-courant du pays colonisateur tutélaire :

La France adopta, pendant plus d’un siècle, des lois permettant d’établir un modèle laïc qui ne visait pas à établir une neutralité entre l’État et le clergé mais bien à effectuer une séparation stricte et ferme entre la politique et la religion. Ainsi, la bourgeoisie prenait le pas sur le clergé et la noblesse. Les prêtres étant, selon leurs courants ou niveaux sociaux, très proches du peuple et/ou très proches des puissants. Ainsi, la classe des marchands prît le pouvoir dès la Révolution française.

Voyons ce dispositif dans ses articulations :

  • 1789 : Dans son article 10, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen institue la liberté religieuse « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses ».
  • 1791 : la Constitution établit la liberté des cultes et accorde des droits identiques aux religions présentes alors en France : catholique, judaïque et protestante.
  • 1881-1882 : les Lois de Jules Ferry (Ministre de l’instruction publique) mettent en place l’école publique laïque et obligatoire.
  • 1905 : la Loi de séparation des Églises et de l’État du 09 décembre 1905: « La République ne reconnaît, ne finance ni ne subventionne aucun culte » (article 2). L’Alsace-Moselle, rattachée alors à l’Allemagne au moment du vote de cette loi, bénéficie d’un statut dérogatoire accordé par le Concordat de 1801 conclu par Bonaparte (Aveu flagrant du caractère fluctuant de la notion d’indivisibilité de la République française toujours d’actualité aujourd’hui).
  • 1946 : le principe de laïcité est inscrit dans le préambule de la Constitution du 27 octobre (IVème République).
  • 1989 : la Loi Jospin accorde aux élèves des collèges et des lycées, « dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité », la liberté d’information et d’expression (article 10).
  • 2004 : une loi réglementant le port des signes religieux à l’Ecole est mise en place pour résoudre les conflits liés au port du voile islamique.

Nous pouvons en conclure que la mise en place du principe de laïcité en France s’est effectuée en 3 temps :

  • 1ère période de 1789 à 1791 : La jeune République française a pour objectif d’établir une cohabitation pacifiste entre les 3 religions présentes sur le territoire (catholicisme, judaïsme et protestantisme)
  • 2ème période de 1881 à 1946 : La laïcité passe de statut de simple loi à principe fondamental en s’inscrivant dans la Constitution, devenant ainsi partie intégrante de la norme juridique française suprême. L’état s’assure par ce biais la victoire absolue et totale sur ce qu’il a défini comme étant le « claricanisme » et génère la création de citoyens républicains modèles par l’institution d’une religion artificielle prêchée dans les écoles (Marianne remplace le Christ).
  • 3ème période de 1989 à 2004 : La laïcité se fait sociétale, tentant maladroitement de venir à bouts de problèmes issus de la paupérisation de la population et du creusement des inégalités sociales.

Il est évident que, dans un processus d’émancipation vis-à-vis de la nation française, la tâche de nous éloigner le plus possible et de manière raisonnable des erreurs commises par la France au long de son histoire nous incombe.

Ainsi, il convient de créer et de fonder une forme de laïcité dans laquelle la connaissance des religions et phénomènes religieux interviendrait afin de bâtir des ponts de connaissance qui permettraient de franchir les fleuves déchainés de l’ignorance.

Les partis traditionnels au pouvoir en Corse ont cru bon de négliger le fait religieux alors que celui-ci procède de facteurs sociaux spécifiques qui ne s’empêchent pas d’engendrer des causes, à leur tour, dans la société civile.

De fait, les deux seules mouvances à apporter des pistes de réflexion autour de cet axe sont les partis nationalistes corses. Il faut cependant prendre conscience que les solutions politiques officielles envisagées par nos courants nationaux constituent des solutions partielles si elles se content de couvrir en aval la problématique de choc des civilisations. Observer et établir le dialogue n’est qu’une partie du remède si nous ne prenons pas en compte l’éducation et l’enseignement dans l’équation. Car c’est bien à la source qu’il faut envisager la crise socio-religieuse qui agite le monde.

V. En conclusion 

La France, depuis la fin des années 60, a cédé une partie (si tant est qu’elle soit divisible) de sa souveraineté nationale et, de fait, de son identité nationale. Ce mouvement s’est accéléré avec la fabrication de la version moderne de l’Europe qui nécessite, par le biais de ses nombreux traités, ce sacrifice.

C’est à cette période précise que le nationalisme corse moderne a fait son apparition, établissant sa légitimité sur l’histoire de l’île au XVIIIème siècle.

Cette histoire, aussi floue fut-elle, bénéficie aujourd’hui des lumières apportées par les chercheurs en sciences humaines.

La construction de nos axes politiques (nous n’évoquons pas ici la position des partis traditionnels qui sont héritiers de la charge historique française) ne doit cependant pas s’effectuer contre la France en tant que référentiel négatif mais bel et bien pour un projet de société conscient, structuré et positif.

Cette société, cette nation que nous voulons construire, si elle ne considère par la formation de la jeunesse comme sa priorité absolue, ne peut prétendre à un avenir digne de ce nom.

Nous l’avons vu de prime abord, l’histoire permet de dégager la réalité factuelle de la gangue artificielle de la légende.

Il nous faut trouver le point d’équilibre entre Histoire et mémoire afin d’éduquer les générations à venir dans l’amour du travail pour la Nation et son peuple.

Allora, oghje, per stu 8 di dicembre, vi preghemu une bona festa di a Nazione corsa, una grande festa di u populu corsu.

E ch’elli fùssinu sempre vivi è ardenti, tremindui, cume u sangue chi batte indè u core di a nostra ghjuventù !

Paul Turchi-Duriani

Bibliographie :

– « Mémoires », Sebastianu Costa, Renée Luciani, 1972

– A Piazzetta, L’8 du dicembre

– Dictionnaire historique de la Corse, sous la direction d’Antoine Serpentini, Albiana 2006

– Histoire de la Corse et des Corses, Jean-Marie Arrighi et Olivier Jehasse, Perrin 2008

– La Vierge, les lycéens, la Corse – Eugène F.X. Gherardi in Ethnologie française, vol.38 – 2008

– Le Mémorial des Corses, sous la direction de Francis Pomponi, 1980

– La création des identités nationales, Anne-Marie Thiesse, Seuil 1999

– Ours-Jean Caporossi

 

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