CONTRIBUTION : LES MOYENS DE COMMUNICATION EN CORSE

Coordinateur : P Medurio

PRÉSENTATION GÉNÉRALE

Le débat sur les transports concerne les différentes crises ponctuelles (maritime, aérien, etc. ) mais il aborde peu, en définitive, la finalité de nos moyens de communication, leur incidence sur notre développement économique.

Il semble donc tout à fait pertinent pour les Chjassi di u cumunu de se pencher sur cette question dans sa globalité. Il sera en effet difficile pour nos élus au pouvoir d’appréhender cette approche globale, dans un contexte où ils doivent faire face à des crises ponctuelles qui appellent des réponses immédiates, mais forcément sectorielles.

Il ne s’agit pas de faire le tour de la question dans le détail, mais plutôt, dans un domaine où l’information arrive de façon successive et parcellaire, de poser les problématiques dans leur globalité, et de les mettre en perspective pour une bonne compréhension.

Il ne s’agit pas non plus de livrer des solutions clés en main (nous n’en avons peut-être pas toute la capacité) mais de proposer des pistes de solutions.

L’exemple d’autres territoires est détaillé dans les annexes. Nous avons volontairement choisi des iles parfois très éloignées, à la géographie difficile, d’un niveau de richesse comparable ou inférieur au notre. Leurs pratiques peuvent nous éclairer, par comparaison.

L’importance des moyens de communication et d’échange dans le monde actuel

  • Le lien avec le développement économique :
    • Les transports jouent un rôle croissant dans une économie de plus en plus mondialisée.
    • La question de l’accessibilité est à l’évidence primordiale pour une ile
    • Souvent mise en avant, sur le plan économique, mais aussi « éthique », parfois avec des arrières pensées politiques, « l’ouverture » peut être plus ou moins importante. Non maitrisée, elle peut avoir des conséquences dommageables tant sur le plan économiques qu’environnemental.
    • Les transports sont aussi en tant que telle une activité créatrice d’emplois directs et indirects, avec des enjeux. Ainsi, une partie de la dépense touristique est constituée par les transports. D’où la bataille pour capter la plus-value.
    • Les politiques de transport déterminent les modes de développement économique. Le choix des destinations, la priorité donnée à l’avion sur le bateau etc…ont des incidences sur la forme de tourisme (de masse ou de qualité), sur l’étalement de la saison. Les aides aux transports peuvent avoir aussi comme incidence de freiner le développement des productions locales etc…

Problématique générale pour la Corse: insularité et moyens de communication

La question des moyens de communication en Corse est d’une actualité brûlante avec le problème des transports maritimes, et accessoirement celui des transports aériens.

Elle n’est abordée le plus souvent que sous l’angle social, conditionné, en particulier pour le maritime, par la situation des employés situés en majorité sur Marseille.

Une autre caractéristique est l’impasse sur la question des transports intérieurs, pourtant aussi déterminante. Cette question est passée au second plan et n’a, en particulier, pas du tout été abordée lors des dernières territoriales. Dans ce domaine, les insuffisances sont criantes, et, à certains égards, la situation s’est dégradée.

Les nouveaux modes de communication sont aussi un moyen de passer outre les inconvénients de l’insularité et de développer notre pays; Ils ne sont envisagés que de façon marginale dans les politiques, tout au moins dans ce qui en est médiatisé. Pourtant, il s’agit là d’un secteur essentiel pour le développement, notamment pour les iles, en raison de son aspect « dématérialisé ». Pour en situer l’importance, en 2013, la valeur ajoutée du numérique ramenée au PIB français s’est élevée à 5,5% (113 milliards d’euros). Pour donner une comparaison, celle d’un secteur traditionnel comme l’agriculture ne représente que… 2% ! Celui des services financiers 4,8%.

Les transports ont aussi des incidences sur d’autres secteurs économiques, et sur l’environnement. Ainsi, ils représentent environ 54% des consommations énergétiques finales régionales, soit 315 ktep (227 ktep hors transports aériens et maritimes) contre 32 % au plan national. On estime que les seuls résidents corses consomment 119 ktep, dont 98% liées aux véhicules particuliers, dont 65% liés à la mobilité quotidienne locale.

La situation est aussi marquée par la forte saisonnalité Du 12 juillet au 26 août, le solde des arrivées et départs de passagers se traduit par la présence quotidienne d’au moins 250 000 personnes supplémentaires, qui passe à 400 000 entre le 9 et le 16 août. La Corse compte alors plus de 700000 personnes. Outre les incidences sur la qualité de vie des autochtones, ces phénomènes de pointe posent des problèmes de capacité des infrastructures, en particulier pour les accès aux ports de commerce.

Les déplacements au sein du territoire sont inférieurs à la moyenne française. En revanche, la mobilité extérieure au territoire est à peu près du double. En le ramenant à aux seuls résidents corses, elle serait supérieure de 50 à 70 % à la moyenne nationale.

Observons enfin que le « handicap » de l’insularité relève d’une propagande, destinée à justifier des choix d’ailleurs néfastes pour la Corse. Des exemples autour de nous prouvent que dans le monde moderne, l’évolution des moyens de transport mais aussi des communications au sens large, permet d’effacer les contraintes géographiques.

Les moyens de communication en Corse

Les flux

PASSAGERS EN 2013 ( entrées + sorties) MARITIME AERIEN: LIGNES REGULIERES & CHARTER TOTAL
LIGNES REGULIERES CROISIERES
AJACCIO 1 061 097 560 443 1 350 729 2 972 269
BASTIA 2 161 553 9 866 1 125 774 3 297 193
BONIFACIO 255 533 15 303 270 836
CALVI 79 350 72 339 302 599 454 288
FIGARI 451 439 451 439
L’ILE ROUSSE 446 307 592 446 899
PROPRIANO 114 337 23 616 137 953
PORTO VECCHIO 136 744 8 719 145 463
T O T A L 4 254 921 690 878 3 230 541 8 176 340

Le trafic passager en 2013 (aérien + maritime), par destinations Tab2_Transport.png

Nombre de rotations commerciales en 2013         Tab3_Transport

Les chiffres du fret (en tonnes)Tab4_Transport

  • Les différents moyens de transports
    • La route La longueur totale du réseau routier corse est de plus de 8 000 km ( densité 0, 93 km/km² contre 1,9 km/km² au niveau français) dont 576 nationales, 4 458 départementales, 3 049 communales). Le parc est de : 187 000 véhicules particuliers, et 35 000 utilitaires légers. Mobilité principale aussi bien pour les personnes que pour les biens, le transport routier ne fait toutefois l’objet d’aucune mesure globale et cohérente. A la faiblesse des données s’ajoute une double imprécision géographique (les comptages des débits et non des flux) et fonctionnelle (motifs de déplacement non connus).

Selon le Padduc, «la Corse dans son ensemble souffre d’un sous-équipement routier mais particulièrement autour des deux principales agglomérations et au sein des bassins de vie ruraux. Ce sous-équipement induit d’une part, un engorgement des entrées d’agglomérations et d’autre part, un enclavement du milieu rural».

Les rédacteurs ont cependant oublié certains point : l’absence de liaisons fiables et performantes entre les diverses zones les plus peuplées (entre Ajaccio et Bastia en particulier), et l’absence de réponse adaptée aux problématiques liées au relief, au climat, ainsi qu’à la forte saisonnalité due au tourisme, variable selon les zones.

Il faut aussi noter le nombre croissant de ménages résidant de plus en plus loin du pôle urbain ont recours à la voiture individuelle pour leurs déplacements quotidiens.

L’extension anarchique de l’urbanisation le long des routes a aussi pour effet de prolonger d’autant les zone à vitesse de circulation réduite, et la construction a proximité des voies engendre par ailleurs des problèmes lors des travaux, sans oublier l’impact sur la sécurité.

  • Le maritime
  • 7 ports Ajaccio, Bastia, Propriano, Calvi, Ile Rousse, Porto Vecchio). pour 5 compagnies maritimes en 2013 (SNCM Méridionale Corsica Ferries Moby Lines SAREMAR). 2 compagnies assurent environ 90% du trafic (hors Sardaigne). Le trafic peut être multiplié par 10 entre la basse et la haute saison (janvier/août).
  • Avec la Sardaigne, la liaison est assurée entre Bonifacio et Santa Teresa par un bateau toute l’année (Saremar), renforcé pendant 7 mois par un second bateau (Moby Lines). La ligne fluctue selon les années entre 190 000 et 300 000 passagers, la moyenne étant de 250 000…
  • L’aérien
  • 4 aéroports principaux (90% de vols nationaux, 10% internationaux) pour 20867 vols et 3,2 M de passagers en 2013, en progression constante (+6,5 % de septembre 2012 à septembre 2013). Les destinations/origines sont à 80% Paris (qui connait depuis 20 ans une forte croissance), Marseille, et Nice, et le trafic est concentré les trois-quarts de mai à septembre.
  • La Corse est en moyenne à 1h30 des principales capitales européennes, mais peu accessible. La diversification en particulier vers des aéroports non français progresse de manière extrêmement limitée et fragile, et souffre d’une insuffisance d’interconnexions avec les principaux aéroports européens.
  • Le chemin de fer
  • Train : 2 lignes pour 232 km de voies 12 rames modernes AMG ; 7 rames et 6 remorques Soulé anciennes. Le matériel est thermique
  • 2 types de missions (grandes lignes et périurbain) ; En 2013 le total des passagers était de 825 000, dont 40% sur les « grande lignes » entre Ajaccio,Bastia et Calvi ; Entre 2006 et 2013, l’offre kilométrique a augmenté de 25% et la fréquentation de 55%
  • Les autres transports collectifs ( autobus)

Avec une mobilité globale territoriale légèrement supérieure à celle de la France métropolitaine, si on redresse la population en estimant la population moyenne résidente, la Corse utilise proportionnellement très peu le transport collectif (même en prenant en compte la fréquentation des touristes). La part de marché du collectif serait donc en Corse de l’ordre de 2 % environ des voyageurs.km.

  • Les autres moyens de communication (NTIC) feront l’objet d’une approche spécifique détaillée lors d’une prochaine réunion.

Les politiques menées en Corse

Dans un monde où les échanges sont un facteur essentiel de développement, la Corse a « quelques trains de retard ». La comparaison avec d’autres iles montagneuses et marquées par l’éloignement, autant voire plus que la Corse, est instructif (voir annexes).

Cette situation a des causes historiques. Au bénéfice de monopoles taillés sur mesure, l’État français a depuis deux siècles, coupé la Corse de l’ensemble de ses relations traditionnelles avec son environnement méditerranéen, pour la confiner dans un tête-à-tête obligé (et subventionné) avec le continent français. Dans le même temps, et c’est dire la mesure de son cynisme, le même Etat multipliait les déclarations incitant les Corses à « s’ouvrir aux autres ».

La dotation de continuité territoriale a pour contrepartie la prise en compte d’intérêts contraires aux nôtres et notamment ceux du lobby Marseillais, avec des aberrations telles que l’achat de navires (NGV, Car ferries) inadaptés pour maintenir à flot les chantiers navals français, l’achat scandaleux des AMG qui pénalisera pour longtemps la politique du train. Le caractère captif de nos échanges a déterminé une sorte de monoculture du tourisme français.

Si elle a pu perdurer tant que la Corse était un marché captif, cette politique a trouvé ses limites inéluctables avec la fin de la SNCM.

On voit maintenant se profiler l’irruption d’intérêts privés qui ont pour objectif la maitrise de l’ensemble de la chaine des transports et de la distribution, avec le risque de voir les monopoles privés se substituer aux monopoles public, pour satisfaire des intérêts tout aussi éloignés de l’intérêt général.

Ce qui frappe aussi, c’est que les différents moyens ne sont pas pensés en terme de complémentarité. Les infrastructures ( et les couts de fonctionnement) sont multipliés pour faire plaisir aux élus locaux, sans plan d’ensemble.

Malgré les annonces répétées, la Corse souffre d’un retard considérable en matière routière. Sur le plan technique, la réalisation du réseau routier pose question:

  • Ainsi les délais pour réaliser le pont d’Abra et le pont Baggioni (3 ans et demi, contre 2 ans pour le pont du vecchio au 19ème siècle),
  • les terrassements utilisés de façon abusive au détriment de techniques avancées,
  • des routes neuves avec des virages dangereux ( à l’issue du tunnel de Soveria, Barchetta etc…) et accidentogènes, etc…

Propositions Quelle maîtrise des moyens de communication au service du développement

  • Pour une approche globale, Il est donc impératif
    • D’opérer les choix en ayant à l’esprit leur finalité: Par exemple, le doublement de la capacité d’accueil du port de Bastia va se traduire par le doublement des touristes. Est-ce compatible avec nos capacités d’accueil déjà a saturation au plus fort de la saison, et avec la nécessité d’étaler le tourisme dans l’année et de lutter contre l’effet de crête de juillet Aout.
    • De penser les transports en termes de complémentarité : des choix doivent être opérés. Vouloir un port et un aéroport dans chaque région de l’ile génère des couts d’investissement et par la suite, de fonctionnement, que la collectivité ne peut assumer. Et l’effet paradoxal est de faire de chacune des micro régions dotées d’un port et d’un aéroport une annexe de paris ou de Marseille, alors que les relations avec le reste de l’ile ne sont assurées au mieux.
    • En contrepartie de mettre réellement à niveau notre réseau de transports internes.
  • L’accessibilité de la Corse : il nous faut prévoir avec des objectifs à terme,
    • La diversification des moyens.
    • La diversification des destinations.
    • La régulation sur l’année.
    • Les infrastructures transfrontalières (des financements européens sont certainement disponibles pour ce type de réalisations).
  • Quelques pistes d’utilisation des nouvelles technologies (point à aborder ultérieurement).

Des questions quant à la politique qui nous a menés à la situation actuelle :

  • La Corse a laissé passer sa chance: d’autres iles ont bénéficié à fond des financements européens. La Corse n’a pas les a exploités quand il était possible de le faire. Pourquoi ?
  • Il a fallu attendre 30 ans pour le Padduc Pour les transports, faut-il continuer dans la déresponsabilisation, l’absence de volonté politique, le refus de faire des choix ?
  • L’absence de choix clair est celui de la facilité, qui peut profiter à certains territoires sur le court terme. Toutefois, la multiplication des infrastructures (ports et aéroports) qui en résulte absorbe des ressources et génère des couts de fonctionnement qui grèvent le développement de la Corse. Cette situation pénalise in fine l’ensemble des corses, y compris ceux qui sont censés en bénéficier. Est-il donc sensé de multiplier les équipements, sans rationalité globale ?
  • Peut-on continuer à ignorer la nécessité de critères économiques et d’objectifs clairs ?
  • La prise en compte de la rentabilité sociale doit-elle exclure celle de la rentabilité tout court. Les déficits chroniques doivent il être maitrisés ( cf. train) ? Pour nous, c’est OUI !
  • Faut-il se plier aux surenchères catégorielles, aux intérêts installés ?
  • Peut-on développer un pays sans liaisons internes fiables et praticables ?

Quelques idées tirées des exemples pris dans notre environnement méditerranéen et européen :

  • Express côtier : nous inspirant de l’exemple de la Norvège, pourrait-on imaginer un bateau qui toucherait plusieurs ports lors d’une même traversée (exemple : Marseille, Lisula, Aiacciu, Prupia…). Tout le monde n’y gagnerait peut être pas, mais…
  • Porte container : cette solution peut-elle être envisagée pour le fret ?
  • Expertise technique : Pourquoi ne pas demander une expertise de notre réseau routier par les sardes, chez qui on peut à l’évidence prendre des leçons ?
  • Tunnel de Vizzavona à péage (cf. idée développée par G. Guidoni).
  • Pour une liaison ferroviaire rapide et compétitive Ajaccio Bastia. La liaison directe, en moins de 3 heures, avait été plébiscitée dans les années 60. Ce serait le seul moyen pour donner au train une utilité économique et éviter de recourir à la voiture.
  • Faire le point des financements européens. Même si nous avons largement laissé passer nombre de possibilités, des financements sont peut-être encore possibles,
  • Développer le maillage par autobus. Est-il logique de disposer dans chaque coin d’un port voire d’un aéroport, quand le déplacement entre régions n’est peu ou pas organisé ?
  • Le critère « création d’emploi en Corse » doit être intégré dans les choix.